Pour Monsieur Petit-Pigeard, il s'agit de clarifier le débat actuel de l'impact de la recherche scientifique sur les composantes de notre alimentation. La position du conférencier est de soutenir les avancées de la science ; non seulement de rester très attentifs aux découvertes des foyers de recherche les plus novateurs mais aussi de participer activement à ces recherches. Il estime que les Anglo-saxons n'accepteront jamais que d'autres parties du monde s'opposent aux produits nouveaux qu'ils élaborent et mettent sur le marché, et qu'un dialogue d'égal à égal est indispensable appuyé sur des budgets en conséquence. S'il passe au peigne fin les objections qui fusent dans de nombreux secteurs de l'opinion, il insiste sur la nécessité d'une information large et sincère et se défend de confondre prosélytisme et accès au développement. Une position critique doit s'appliquer tout autant à ceux qui refusent tout progrès et changement qu'à ceux qui risquent d'entraîner les biotechnologies dans des voies purement mercantiles ou aventuristes. Il reconnaît à l'opinion le droit de s'interroger sur le sens des manipulations annoncées et d'avoir des réponses.
La question est-elle nouvelle ?
"Tout le monde en parle". Les nouvelles concernant les biotechnologies font maintenant "la une" des organes d'information. La presse rurale et agricole ne cesse d'évoquer les fameux organismes génétiquement modifiés, tout en restant calme dans l'ensemble, (1), alors que les polémiques naissent ici ou là. "Chacun peut penser ce qu'il veut de cette science du vivant", mais "les sciences de la vie ont toujours existé" ! Plus précisément, et sans revenir sur un darwinisme simpliste, les sélections ont toujours donné des disparitions ou des créations d'espèces, qu'il s'agisse de plantes ou d'animaux. Soit un exemple simple et rassurant : le seigle et le blé se croisent naturellement, ou encore la pomme de terre et la tomate (pomate). Dans son empirisme, la nature est fertile et créative, elle nous a conduit des bactéries premières (dont l'origine même remonte sans cesse dans le temps selon des découvertes récentes) à l'homme. Le Savant a toujours voulu élargir sa compréhension. N'oublions pas Erasmus ou Léonardo !... Ce qui est nouveau aujourd'hui tient à ce que, de découvertes en découvertes, nous sommes au cour du sujet avec la prochaine connaissance du génome humain dans son entier et la capacité d'intervenir sur le vivant. Le conférencier nous rappelle que, dans le domaine végétal, nous entrons dans l'ère de production possible de masse sur des produits de base alors que nous balbutions encore pour le règne animal.
La science en passe de triompher
"L'homme se prend-il pour Dieu" se demande le conférencier ? Non ! La science avance à l'aveuglette et nous propose ses outils. Est-ce bien ou mal ? La biotechnologie a tendance à répondre affirmativement. Elle nous dit aussi qu'elle se pose en priorité la question de l'économie et du progrès. Les manipulations encore expérimentales sur les génomes des plantes obtiennent
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(1) Depuis, la Confédération Paysanne a formulé des revendications radicales sur plusieurs problèmes.
d'insignes résultats : blés auxquels une protéine procure une résistance nouvelle à la cuisson (face "au mauvais blé français" dont 50% n'est pas panifiable ...) ; riz ou soja sans les maladies qui réduisent dramatiquement leur production pouvant sauver de la famine des millions d'Asiatiques ; maïs débarrassé de la pyrale ; palmiers, sorgho, cacao, manioc, qui apporteront un "plus" inespéré aux Africains. Il n'y a pas de frontière à cette liste incomplète d'ailleurs. Les biotechnologies peuvent s'attaquer à pratiquement toutes les espèces végétales les débarrassant d'insectes ravageurs, facilitant leur transport ou leur conservation, améliorant taille et qualité, sans oublier la possibilité de multiplier les espèces nouvelles que la nature avait, à son rythme, réalisé dans certains cas.
Biotechnologies et inquiétudes sociales
Les opinions publiques - et semble-t-il surtout européennes - ne sont pas acquises dans leur majorité aux manipulations génétiques malgré le tableau optimiste dressé par leurs promoteurs. La transformation de la nature, même limitée à quelques éléments du capital génétique, suscite des angoisses compréhensibles ; n'allons-nous pas, apprentis sorciers, être dépassés pas nos créatures, détruire notre environnement, pire, lâcher dans le milieu naturel des "monstres" qui nous supplanteront ? Ainsi un certain papillon, le monarque, meurt s'il se nourrit exclusivement de maïs OGM. La fertilisation croisée, la pollinisation par insectes vont, sans conteste, être perturbées. Et de dénoncer les intérêts des grands Groupes (Monsanto, Bayer, etc ...), l'absence du "principe de précaution" que ces changements radicaux appellent indiscutablement. Qu'en est-il ?
Avoir une méthode face à la complexité
Nous sommes embarqués dans cette aventure et s'opposer serait aussi absurde que de refuser l'informatique lorsqu'elle est apparue, nier la télévision, internet ou intranet ... Après un bon départ (Geneton), la France hésite. Les USA ont un budget de dix giga dollars, notre pays, dix millions de francs ! "On connaît chez nous la théorie, mais pas la pratique". On estime à 70 millions d'hectares les surfaces ensemencées en OGM dans le monde et dans deux ans, ce sera 350 millions. En France, quelques essais ont lieu dans l'hostilité générale. Or dans la lutte commerciale mondiale tout retard se paie, toute infériorité s'accentuera. Ne pas oublier Microsoft qui règne en maître sur notre destin d'individu informatisé. Qui détiendra les semences de demain ? Tel est le dilemme ... Préfère-t-on utiliser indéfiniment "les 30 pesticides" dont notre agriculture a besoin ("il faut se promener en Beauce au moment des vaporisations !") ou inventer autre chose ? L'amélioration et la sélection des espèces donnent 1% l'an de productivité. Les OGM auront des rendements supérieurs dans le monde entier, même sous les climats les plus durs et chez les plus pauvres. Quant aux semences, elles sont déjà achetées aux fournisseurs chaque année, dans leur majorité. Il y a 30 ans, personne ne voulait des colorants, des essences synthétiques ... et la fameuse nourriture naturelle tuait 5000 personnes l'an contre 43 aujourd'hui en France. Il faut une volonté politique, des laboratoires, des structures industrielles, de la coopération et beaucoup d'investissements. Et ne pas cesser d'informer, d'expliquer et d'en débattre.
Notes d'Henri Douard Regards sans frontières octobre 1999
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