La Thaïlande laisse flotter le baht en juillet 1997 et, effet domino, la crise se propage ensuite du fait de la globalisation financière. La réflexion doit englober le champ plus vaste d’une crise dont les prémisses se manifestaient en Corée du Sud à partir de 1995 (avec plusieurs faillittes de chaebols mettant les banques créancières en difficulté) crise non seulement financière, mais aussi sociale et politique (comme on le voit en Indonésie), impliquent aussi le Japon et l'économie mondiale dans son ensemble.
Retour sur les causes
En premier lieu : une croissance à 10% l’an en Asie ne pouvait être éternelle. Il faudra en revenir à une croissance plus mâture (après de nécessaires ajustements, "dragons" ou "tigres" en récession retrouveront des taux autour de 5%) ; ensuite une mauvaise politique de taux de change : Corée du Sud, Brésil, Russie, avec un cocktail explosif : forte dette extérieure à court terme et surévaluation du taux de change (l'idée d'un taux de change d'équilibre n’est pas toujours aisée à définir).
Le déficit extérieur n'est pas un indicateur absolu : la Russie (en crise à partir d'août 1998) avait une balance commerciale excédentaire. Mais les non-résidents se sont inquiétés de la stabilité du couple dollar-rouble ; alors qu'ils anticipaient une dévaluation, ils ont vendu massivement leurs GKO (bons du Trésor aux taux très attractifs). La Banque centrale a dû alors laisser flotter le rouble, qui s'effondrait. La crise a atteint les banques, qui détenaient aussi des GKO (avec l'argent des épargnants) et se sont retrouvées avec des pertes. Les pays asiatiques gagnaient de la compétitivité-prix avec un dollar à la baisse ; ensuite, leurs monnaies ont décroché. Ajoutons la dimension proprement financière de la crise, qui touche la plupart des pays émergents ou en transition avec la correction de bulles spéculatives par des krachs boursier, immobilier ou financier. Les rapports incestueux entre la sphère politique et le monde des affaires enfin n'ont rien arrangé. Même le Japon a du mal à s'attaquer vraiment à la crise dans laquelle il est empêtré depuis des années.
La théorie du grand frère,
Pour mieux comprendre, il faut se reporter à l'hiver 1994-95 : la 2ème crise mexicaine annonçait alors les crises d'aujourd'hui, typiques des pays émergents ou en transition; Michel Camdessus ne l'avait-il pas baptisée "1ère crise du XXIème siècle"? La mobilité totale actuelle des capitaux fait contraste avec la période des années 1970, et les pays qui font appel aux capitaux à court terme s'exposent...à leur départ. La mondialisation implique le jugement - permanent - des marchés, et donc leur sanction : à l'époque d'Internet, un contrôle des changes n'est plus guère efficace. L'effet domino peut-il atteindre la Chine et Hong-Kong, qui ont résisté à la dévaluation jusqu'à présent puisque la compétitivité chinoise n'était pas vraiment en jeu ? Pour le conférencier, la question est : quand la Chine doit-elle dévaluer, afin d'opérer à froid ? Car "lorsque les marchés veulent avoir la peau d'une devise, ils l'ont ". Un éclairage régional conduit C. de Boissieu à exposer sa théorie du Grand frère : derrière le Mexique en 1982 puis en 1994-95, derrière le Brésil aujourd'hui, se profilent les Etats-Unis. Leur économie est en expansion, ils se portent caution pour ces pays, ne serait-ce que pour protéger leurs propres débouchés (50 à 60% des exportations états-uniennes sont absorbés par Canada+Brésil+Mexique+Argentine). Le FMI intervient facilement en Amérique latine, la Fed peut accorder des prêts en dernier ressort...Tout cela, les marchés le savent. Mais en Asie, le Grand frère Japon est moins concerné par son environnement ; et surtout il est malade : crise bancaire et récession l'avaient frappé auparavant, et la crise asiatique a accentué cette fragilité (ses banques avaient beaucoup prêté à la Corée du Sud, la Thaïlande, l'Indonésie).
Regard sur les conséquences
Elles dépassent les pays en crise. Les pays touchés connaissent la récession (dépression même, pour certains) en raison aussi des politiques d'ajustement mises en place, pas forcément efficaces de surcroît. Ainsi, la hausse des taux d'intérêt brésiliens n'a pas permis d'éviter le flottement du réal. Faut-il abaisser les taux, dans une optique keynésienne, pour retrouver de la croissance quitte à laisser filer la monnaie(et à se passer de capitaux étrangers) ? Mais en économie ouverte, on importe alors de l'inflation ce qui provoque une nouvelle baisse du taux de change, etc. Des taux d'intérêt (courts) assez élevés peuvent éviter la dépréciation de la monnaie, mais récession et chômage sévissent alors que la protection sociale est faible ou inexistante.
D'après le FMI, voici le taux de croissance pour 1998 (et prévision pour 1999) : - 7% (-1%) en Corée ; -8% (+1%) en Thaïlande ; -15.3% (-3.4%) ; en Indonésie ;
- 5.7% (-8.3%!) en Russie. A Taïwan et en Chine, la croissance se poursuit même si le chiffre de croissance annoncé (7.8% pour 1998) est certainement gonflé ; mais le chômage progresse.
Nos pays se trouvent affectés par la concurrence sur certains produits (automobiles sud-coréennes) et la réduction de nos débouchés. Un effet psychologique joue aussi, comme on l’a vu à partir de l'été 1998 (crise russe, après crise asiatique) : des chefs d'entreprise français ont brusquement retardé leurs projets d'investissements, même s'ils n'avaient rien à voir avec la Russie laquelle n'absorbe d'ailleurs que 0.9% de nos exportations !
Les effets financiers nous sont plus favorables, par le report des capitaux vers les Bourses des grands pays industriels et sur leurs obligations d'Etat ; du coup, les taux d'intérêt à long terme ont baissé, ce qui favorise la croissance et l'investissement. L'euro a encouragé le redéploiement des portefeuilles internationaux et la zone euro s'en est trouvée plus attractive. La tentation du protectionnisme financier est relancée (Malaisie, Russie, Chili même), ainsi que les débats sur les systèmes de change. La nécessité éclate pour ces pays d'adopter des mesures prudentielles de réglementation bancaire et financière - et de les faire appliquer.
Notes de L.E. Kaercher
6 Regards sans frontières d’avril 1999
L’empire de la finance PROJETLa sphère de la finance apparaît a beaucoup comme un monstre incontrôlable échappé des mains de ses manipulateurs apprentis-sorciers. Ce dossier de Projet souligne les enjeux des évolutions actuelles et les conséquences des crises récentes en Asie, Russie et Amérique Latine. Une première partie aide à mieux comprendre l’univers complexes des marchés financiers, leur fonctionnement, le rôle des produits dérivés et des fonds de pension, ou encore les mécanismes qui expliquent des emballements de méfiance ou de confiance. La seconde partie examine quelles valeurs règlent le comportement des divers acteurs, elle avance des propositions pour réguler les marchés, et redonner à la finance sa juste place au service de l’économie.Parmi les grandes signatures de ce dossier : J.L. Nakamura, J. Pelletier, Et. Perrot, M. Camdessus..
Thème du prochain numéro de Projet : L’Europe de l’Est dix ans après.
Projet " L’Europe de la finance ", n° 257, printemps 99, 156 p. 70 F 14 rue d’Assas 75006 Paris T. 01 44 39 48 02 F. 01 40 49 01 92
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