Le rapport de la Banque Mondiale intitulé " Global Economic Prospects and the Developing Countries" examine l'évolution de structure entre 1971, 1981 et 1991 des flux financiers destinés au Tiers Monde. Ces données synthétiques remettent en question nos idees reçues et nous encouragent à pratiquer comme d'autres une ingénierie financiere moins dépendante des procédures gouvernementales classiques .
I- ON NE FINANCE PLUS LE TIERS-MONDE ?
Ce n'est pas exact. Pour l'ensemble des pays en développement, les transferts nets (apres déduction des paiements d'intérêts et transferts de bénéfices), largement positifs entre 1971 et 1985, légerement négatifs de 1986 à 1988, ont repris leur cours excédentaire depuis 1989.
L' Asie du Sud, les pays arabes et l'Afrique subsaharienne sont constamment positifs avec, pour l'Afrique, un pourcentage moyen supérieur à 7% du PNB. L'Asie Orientale et l'Europe de l'Est, déficitaires dans la deuxieme moitié des années 80, redeviennent positifs apres 1989. L'Amérique latine, fortement négative depuis 1981, améliore sa position à partir de 1990 et s'approche de l'équilibre quand s'amorce nettement une politique d'ouverture et de réformes structurelles.
Cette reprise de confiance dans la solvabilité du monde en développement s'explique aussi par les perspectives de croissance de 1992 à 2002. Alors que les pays du G7 se contenteront d'une croissance moyenne de 2 à 2,7%, l'ensemble du Tiers Monde devrait atteindre 4,7 % grâce aux réformes introduites récemment. L'Asie Orientale devrait croître de 7,3%: la zone économique chinoise connaîtrait un taux de 9,8%. En 2002, le produit national chinois dépasserait de beaucoup celui de l'Allemagne ou du Japon et s'approcherait du niveau américain, et cela même si on continue de l'évaluer aux prix mondiaux et non pas rapportÆ aux prix intérieurs chinois convertis en dollars.
Les projections de la Banque Mondiale évaluent à 5,3% la croissance moyenne de l'Asie du Sud pendant cette période, à 4,5% celle des pays arabes et du Moyen-Orient, 3,7 celle de l'Afrique subsaharienne, 2,1 celle de l'Europe Centrale et Orientale et l'ancienne Union Soviétique.
II-LES BANQUES COMMERCIALES ONT UN ROLE PREDOMINANT ?
C'était vrai en 1971 quand les crédits bancaires représentaient 35,7% des flux financiers. A fortiori avec 46,1% en 1981, à la veille de la crise de remboursement, quand les banques attirées par des marges élevées, rivalisaient dans l'offre de lignes de crédits aux pays les plus risqués. La désillusion a été rude, comme le prouve la chute à 17,4% de la part des banques dans les flux de financement pour 1991.
La structure des financements classés par preneurs de risques évolue ainsi:
1971 1981 1991
Milliards $ 19,5 156,9 205,3 Portefeuilles privés: (1,2%) (1,3%) (8,5%)
Actions 0 0,1 3,7
Obligations 1,2 1,2 4,8
Entreprises: (23,1%) (19,3%) (28,8%)
Investissement direct 12,3 8,3 16,5
Crédit fournisseur 10,8 11 12,3
Banques: 35,7 46,1 17,4
Crédits publics et dons: (39,9%) (33,3%) (45,3%)
Crédits publics 30,9 26 30,8
Dons 9 7,3 14,5
Ce tableau montre que les banques, défaillantes depuis 1981 dans la prise de risques directs, ont été relayées principalement par l'aide et la prise de risque publics ( crédits garantis) , par les entreprises et par les particuliers.
III- LE CONTRIBUABLE ASSURE LA CHARGE DU FINANCEMENT ?
C'est assez largement vrai, malgré un recul en 1981 quand les conditions étaient favorables aux crédits bancaires. Les pertes bancaires liées à la crise de la dette des années 80 ont d'ailleurs été partiellement absorbées par le contribuable occidental par le biais des provisions défiscalisées.
Ce sera moins vrai dans l'avenir sous l'effet de plusieurs facteurs: le mouvement général de désengagement de l'état et le souci de maîtriser les dépenses publiques en Occident, les perspectives de croissance et la confiance engendrée par les réformes de structures dans les pays en développement, la globalisation des portefeuilles financiers et des gestions d'entreprises.
Plutôt qu'au simple effet physique des financements accordés, les organismes publics nationaux et internationaux semblent vouloir s'attacher à la mise en place d'un climat favorable à la croissance ( réformes de structure, ouverture à l'extérieur, acces aux marchés riches).
IV- L'EPARGNE PRIVEE N'INVESTIT PAS DANS LE TIERS MONDE ?
Faux: son rôle, stabilisé autour de 1,2% de 1971 à1981 est brusquement passé à 8,5% en 1991 avec des parts à peu pres équivalentes pour les obligations ( 4,8%) et pour les actions( 3,7%). Si on ajoute les investissements directs des entreprises et les crédits fournisseurs des entreprises, cela porte à 37,3% la part de financement traduisant la confiance privée contre 17,4% pour les banques et 45,3% pour les organismes publics. Le changement d'attitude n'est pas négligeable par rapport à la situation de 1981 (20,6% pour le privé non bancaire contre 46,1 pour les banques).
Les avoirs des investisseurs institutionnels( compagnies d'assurances et fonds de pension ) détenus par 5 grands pays industrialisés ( USA, Japon, Allemagne, Royaume Uni, Canada) sont estimés à 8,3 milliards $ et à 14 milliards si on ajoute d'autres types de fonds d'investissement.
Le mécanisme des ADR ( American Depository Receipts) a joué un rôle important. Il s'agit d'un certificat représentant une compagnie non américaine, négociable en dollars sur le marché américain sous la responsabilité d'une banque américaine, ce qui lui donne indirectement acces au marché mondial des capitaux. Il existe en fin 1991, 886 programmes de financements à base d'ADR émis en provenance de 34 pays en développement. Il s'y ajoute les cotations directes d'actions de ces pays soit dans les places traditionnelles, soit sur les nouvelles bourses créées dans certains pays émergents avec l'aide des organisations internationales.
Cette évolution pourrait se renforcer si les pays d'accueil poursuivent l'amélioration de leurs institutions boursieres ( visibilité de l'information comptable, protection de l'investisseur étranger) et si les grands pays occidentaux aménagent leurs réglementations fiduciaires sur les placements des compagnies d'assurances et des fonds de pension. Il ne serait pas choquant d'inviter les entreprises qui vivent largement de l'outremer à y placer une partie de l'épargne de leurs employés dégageant d'autant la part demandée au contribuable national des pays industrialisés.
Une source de fonds privés mérite une attention particuliere: celle qui procede des fuites de capitaux auxquelles la Banque Mondiale consacre un intéressant développement. Contrairement à ce qu'on pense généralement, ce n'est pas un monopole de l'Amérique Latine.
La part émigrée du PNB est ainsi estimée par les experts de la Banque Mondiale en % du PNB
Asie du Sud: 14,9
Asie Orientale et Pacifique: 18,9
Europe Orientale et Asie Centrale 27,8
Amérique Latine 30,8
Afrique subsaharienne 80,3
Afrique du Nord et Moyen-Orient 94,9
58 pays en développement 32,3
Pour certains pays le stock de capital détenu à l'étranger va de 80% environ du PNB (Jamaïque, Jordanie, Venezuela, Ouganda) à plus de 100%( Bolivie, Syrie, Soudan) pour avoisiner 200% au Nicaragua, en Egypte et au Gabon. Ceci pose évidemment d'une autre maniere le probleme de la mobilisation de financements envers ces pays.
Ces ressources retournent partiellement dans leurs pays d'origine à l'occasion de rachats de la dette sur le marché secondaire qui permet aux notables des pays endettés puis défaillants de réaliser un bon profit aux dépens du contribuable des pays emprunteurs et prêteurs. Le retour de la confiance politique est évidemment un facteur majeur.
Savoir localiser les réservoirs financiers des citoyens des pays à risques, les inciter à des coentreprises rentables, réaliser une ingénierie juridico-financiere appropriée, fait partie des tâches normales d'un exportateur imaginatif et compétent des lors que les capitaux émigrés retrouvent confiance dans leur pays d'origine comme suite aux importantes réformes introduites sur pression des organismes internationaux.
V- QUELLE INGENIERIE FINANCIERE ?
Les entreprises ont accru leur part de prise de risque, surtout depuis 1981, passant de 19,3 à 28,8 % des flux financiers.
La croissance de l'investissement ( de 8,3 à16,5%) est plus sensible que celle du crédit fournisseur( de 11 à 12,3%). Elle traduit une certaine reprise de confiance dans les pays émergents nouvellement réformés et l'expansion des stratégies de globalisation surtout de la part des multinationales techniquement mieux équipées que les petits exportateurs.
Les flux d'investissement direct destinés aux pays en développement sont estimés à 36 milliards $. Les plus importants destinataires sont:
Apport net %PNB %FBCF
Tous pays en développement: 35,895 1,1 4,5
Mexique 4,762 1,7 7,4
Chine 4,366 1,2 3,3
Malaisie 3,455 7,4 20,5
Argentine 2,439 1,9 15,1
Thaïlande 2,014 2,2 5,6
Venezuela 1,914 3,6 19,2
Brésil 1,6 0,4 2
Indonésie 1,482 1,3 3,6
Corée 1,116 0,4 1
Turquie 0,810 0,8 3,9
Les programmes de privatisation ont fourni d'excellentes opportunités dans des secteurs jusque-là protégés pour leur intérêt stratégique. Les privatisations ont mobilisé environ 206 milliards $ entre 1988 et 1992 dont 56 pour les pays en développement. L'Amérique Latine a été de loin la plus active avec 70% (notamment le Mexique), puis l'Europe de l'Est et l' Asie Centrale (18%), l'Asie du Sud et de l'Est. L'Afrique subsaharienne est presque absente à l'exception de transactions mineures au Kenya et en Nigeria.
L'essentiel des privatisations a été réalisé avec des capitaux locaux; une partie procede d'échanges dette-participations (80% au Chili, 60% au Brésil, 30% en Argentine). La privatisation ne vise donc pas seulement à solliciter des capitaux frais mais à créer un climat économique plus efficace pour les capitaux locaux.
Les nouvelles techniques financieres( swaps, options, futures) permettent de limiter les risques de fluctuations des taux d'intérêt, de change et des cours de matieres premieres auxquelles les pays en développement sont fortement sensibles. Le Mexique fournit un bon exemple de couverture du pétrole destinée non à faire des profits spéculatifs mais à réduire la volatilité des recettes d'exportation.
Une autre forme de risque résulte de la sensibilité des pays en développement aux chocs macroéconomiques d'origine externe: elle suffit à décourager l'initiative. La Banque Mondiale souligne la nécessité de politiques propices à la flexibilité et à la capacité de répondre aux signaux de prix; de programmes d'investissement solides sous diverses alternatives et, enfin l'usage approprié des techniques de couverture.
VI- QUELLE POLITIQUE ECONOMIQUE?
L'évolution récente et les perspectives des dix prochaines années paraissent montrer:
- qu' il n'y a pas de fatalité économique du sous-développement ( la question de l'avenir politique est une toute autre histoire, comme disait Rudyard Kipling, écrivain colonial);
- que le Tiers Monde ne releve pas, en tout cas pas exclusivement, de l'assistance qui, selon une formule célebre, est un transfert des contribuables pauvres des pays riches vers les habitants les plus démesurément riches des pays pauvres.
Les capacités de financement existent ainsi que les techniques d'ingénierie financiere pour organiser la croissance là où elle est vraiment souhaitée. Le FMI estime que 95% de l'épargne mondiale est une épargne domestique.
Ce qui manque le plus souvent c'est, au niveau microéconomique, des chefs d'entreprise capables de concevoir et gérer des projets mobilisateurs en dehors des schémas classiques des aides publiques; d'autre part au niveau macroéconomique, des programmes cohérents de mise en oeuvre des formes d'organisation qui ont fait leurs preuves.
Dans les pays en développement: Les programmes d'ajustement offre-demande (notamment la réduction du déficit public) et surtout les réformes structurelles (ouverture aux échanges extérieurs, dérégulation, privatisation) ont donné de bons résultats en Asie Orientale et plus récemment en Amérique Latine. A côté des politiques d'hospitalité et de transparence, les incitations fiscales diverses ont un rôle négligeable et peut-être nuisible.
Dans les pays industrialisés: Il est sans doute aussi vain de maintenir des aides massives liées ou non: elles ne sont plus à la mesure des énormes besoins de l'Amérique latine ou des "économies en transition". Il est par contre souhaitable d'entrer avec les partenaires d'outremer dans des mécanismes stabilisateurs de l'environnement et donc favorables à la croissance collective: organisation de marchés, garanties multilatérales recherchées dans des assurances de type MIGA et dans le respect du droit international des affaires, techniques financieres permettant de lisser les risques courants .
Rien de tout cela n'est vraiment impossible même pas un acces raisonnable aux marchés des pays riches. C'est le prix à payer pour soutenir la croissance des pays en développement, croissance nécessaire pour rechercher des débouchés ailleurs que dans un Occident momentanément saturé. C'est aussi souhaitable pour résorber un hiatus de bien-être riche de tous les conflits possibles. A.Garcia 1993
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