C'est à l'Anglais Richard Trevithick qu'il revint dit-on d'avoir, en 1804, inventé "le roulement sur rails en fonte" où il installa sa locomotive "catch me who can". Consolation : rail vient d'un vieux mot français raille signifiant barreau ! Bientôt le monde entier s'équipait, Britanniques en tête et dès cette époque héroïque date l'écartement de 1,435 m. propre aux mines de charbon anglaises. Russes et Espagnols exceptés. Depuis, le chemin de fer a tissé une toile gigantesque, évoluant en rapport étroit avec le progrès technique. Or à notre époque, sous les coups de boutoir de l'automobile, tout n'est-il pas en train de se défaire, déclin inexorable sur trente ans, après un apogée ?
L'intervention de la Commission Européenne
Depuis 1970 a rappelé Neil Kinnock commissaire européen à la DG7 la part du fret sur rail dans l'Union Européenne est tombée de 52% à 14%, alors que le tonnage routier passait de la moitié aux 3/4. En tonnes kilomètres, le rail a perdu 15% dans la période. Pour ce qui est du trafic passagers, de 10% en 1970, le rail ne transporte plus que 6% en 1996. De nombreuses carences, un accroissement des délais, une faiblesse de la vitesse moyenne en fret international (16 km contre 50 km par camion) font que face à l'agressivité de la concurrence routière, les cheminots battent des records mais en matière de grève ... signe d'un trouble profond. Or les records de la route, ce sont aussi 45 000 morts annuels, les embouteillages, la pollution. S'il faut revitaliser le rail aujourd'hui, ce n'est pas en injectant encore de l'argent mais en créant des conditions d'organisation et de structure nouvelles telles que ce mode de transport parmi d'autres redevienne efficace et compétitif dans la perspective européenne.
La directive 91-440 adoptée pas le Conseil des ministres de l’Union européenne en 1991 définissait les piliers de la politique européenne, directive qui fit alors l'effet d'une bombe dans le milieu feutré des directions générales de réseaux. Le conférencier en expose les grands traits. "Une entreprise ferroviaire fournit des prestations de transport avec moyens de traction... plusieurs entreprises peuvent se regrouper dans le transport international... l'infrastructure doit être gérée en tant que telle et il convient de séparer la gestion de l’infrastructure de l’activité de transport proprement dite ; avant la réforme, on devra procéder à l’assainissement financier des entreprises ferroviaires désormais séparées des Etats ; enfin toutes les entreprises auront un droit d’accès ou de transit à l’infrastructure de l’Union.
Les directives 95/18 et 95/19 sont venues compléter la directive 449 : pour "l'institution de licences pour les dites entreprises effectuant des transports internationaux, avec les conditions d'obtention et de validité", elles créaient "un organisme de répartition des capacités d'infrastructure, pour les modalités de répartition et de perception les redevances, les certificats de sécurité, les procédures de recours". De tels dispositifs venaient casser les habitudes et les traditions des réseaux, dont celles propres à la SNCF. Six ans après la directive européenne de 1991, la France prenait enfin l'initiative mais avec prudence et mesure.
La réforme française de 1997 : création du R.F.F
L'Etat reste omniprésent tout en faisant un pas : un établissement public nouveau Réseau Ferré de France, - décret 91-444 -, débarrassé de la dette (134 milliards de F.) gère celle-ci, prend en charge les infrastructures ferroviaires et en devient propriétaire "à la place de l'Etat". La SNCF nouvelle, entreprise de services (exemptée du souci du réseau ferré) devra mener une politique hardie de transport - fret et personnes - et sa modernisation permettra une reconquête - espérée - de la clientèle en liaison avec les Etats voisins.
Dans le cadre de la décentralisation, sept régions vont avoir une large responsabilité dans l'organisation et la desserte des réseaux locaux. Ainsi, cette réforme n'est ni une privatisation ni une libéralisation, mais en instituant une séparation avec des modalités originales elle reste dans l'esprit de la directive 91-440 de la Commission européenne.
Précisons que R.F.F., établissement public à caractère industriel et commercial, est administré par un C.A. de sept représentants des services de l'Etat, cinq personnalités compétentes externes et deux représentants des salariés. Un contrôle administratif et technique est opéré par un commissaire du gouvernement de la direction des transports terrestres tandis que le contrôle financier est assuré par une mission de contrôle. La base de son indépendance est de n'accepter un projet qui lui serait demandé que s'il est financé (exemple TGV-Est et autres). Le budget d'investissement pour 1999 est de 13,6 milliards de F. assuré par des redevances de péages, des subventions et la valorisation du patrimoine (80 000 ha de terrains, 49 230 kms de voies, 30 000 ouvrages d'art, passages à niveau, bâtiments).
Réforme des réseaux dans l'Union Européenne"Tous les pays de l'Union ont réalisé au moins la séparation comptable de l'infrastructure et de l'exploitation". En outre certains ont opéré une séparation institutionnelle (Espagne, Finlande, France), d'autres une séparation organisationnelle (Allemagne, Pays Bas), enfin une séparation totale (Danemark, Portugal, Suède et surtout Royaume-Uni). Dans ce dernier pays on assiste, au prix d'énormes subventions en principe décroissantes, au démantèlement, ligne par ligne, selon des critères stricts de rentabilité. C'est un cas extrême de privatisation. Toutes ces réformes sont trop récentes pour être estimées avec précision, et d'autant moins que les opérateurs enjolivent volontiers leurs résultats.
Demain une autre organisation ferroviaire
Rien n’est encore gagné. Partout on parle de sillons, d' « interopérabilité », de standards. Mais, seule la rentabilité retrouvée sauvera le rail face aux camions et autres automobiles. « S’il survit au 20ème, le chemin de fer sera le mode de transport du 21ème siècle », avait déclaré Louis Armand, cité par le conférencier. Aujourd’hui une certitude : les réseaux seront très différents de ce qu’ils furent et seront unis entre eux dans l’Europe.
Notes d’Henri Douard Regards sans frontières mars 1999 5
Réforme ferroviaire
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