I. Ampleur des enjeux : C'est la pauvreté, le manque de revenu, l'insécurité civile, les retards dans la transition démographique, qui sont les causes principales de l'insécurité alimentaire, manifestée d'abord par la sous alimentation chronique. En 1995 donc, 21 ans apres la Conférence mondiale de l'alimentation qui s'était engagée à éradiquer la faim du monde en 1984, elle touche encore 840 millions d'habitants (M hab) ; elle en touchera encore 680 en 2010 et le sommet s'est engagé à la diminuer de moitié en 2015, soit encore 420 M hab. Mais la malnutrition handicape aussi 180 millions d'enfants et pres d'un milliard d'adultes.
II. Etat des lieux. Les ressources naturelles sont abondantes, mais fragiles. Les sols sont en danger (érosion, appauvrissement, latéritisation) et les terres cultivables peu extensibles. La compétition pour l'usage de l'eau douce s'accroît et sa gestion est un probleme majeur en zone tropicale. Les délais de mise en valeur des grands projets d'irrigation sont énormes et réhabilitation et drainage s'imposent. La déforestation pour la mise en culture et le déplacement de la frontiere forestiere permettent d'étendre un peu la surface cultivable. Le bois de feu représente 70 % de la consommation nationale d'énergie des pays les moins avancés.
Les ressources de la biodiversité phytogénétique et animale sont une richesse pour les pays en développement et l'Afrique. La pêche continentale et maritime atteint ses limites. Les contraintes du climat et la désertification accompagnent les déficits vivriers. Les ressources agricoles et aquacoles sont énormes, mais leur taux de croissance ralentit. Les agricultures modernisées sont coûteuses. Le riz est la céréale des PED. Les agricultures orphelines (mil, sorgho, maïs et riz pluvial) sont tres économiques, mais ne se développent pas. L'élevage est lié aux espaces ou aux productions végétales. L'aquaculture est difficilement intensifiable.
L'urbanisation, à la fois chance et danger pour la sécurité alimentaire, joue un grand rôle dans la lutte contre la pauvreté rurale. Les agents économiques, c'est à dire la société civile, sont au coeur des solutions à l'insécurité alimentaire. Les agriculteurs et leurs organisations, doivent devenir les acteurs de leur propre développement. Les ONG, confréries et églises sont des appuis indispensables. Les fabricants ruraux d'outils de production et de matériels de transformation, les transformateurs, artisans ou petits industriels, fournissent les plus économiques des investissements.
III. Propositions. La dimension locale devient le niveau essentiel. C'est là que la lutte contre la pauvreté peut se réaliser; la pauvreté rurale représente 80 % des pauvres dans le monde dont 70 % de femmes. Le meilleur acces à la terre et à l'eau est un élément fondamental de cette lutte. Le cadre actuel des politiques économiques doit donner sa place aux collectivités locales et aux organisations de producteurs.
Tout se tient. La sécurité alimentaire dépend de la prospérité des agriculteurs et celle-ci dépend de leur connexion avec les marchés des villes, notamment grâce aux infrastructures de transport, de transformation et de commerce. Si cette double relation a déjà permis de grands progres en Asie orientale, l'Afrique pose un probleme à part qui dominera l'ensemble du XXIeme siecle. Ce continent qui ne recense que 9 % de la population mondiale, accueillera 15 % de celle-ci en 2050. Il y a donc une urgence rurale et aussi une urgence urbaine en Afrique, urbanisée à 63 % en 2050.
Les voies que nous proposons sont les suivantes et pourraient faire l'objet de programmes en concertation entre les Etats et les bailleurs de fonds qui s'engageraient à soutenir les nouvelles stratégies alimentaires :
- Traiter les problemes aux niveaux adéquats: - local, avec l'aide des intéressés, les collectivités locales et les organisations professionnelles agricoles ; - national, pour l'établissement de stratégies réalistes ; - sous-régional (Afrique de l'Ouest, de l'Est, Australe, des Grands Lacs du Nord), pour les échanges de produits ;
- Jouer la cohérence entre bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, Etats et leurs groupements sous régionaux, bons niveaux pour assurer le libre échange de leurs produits à l'abri de protections flexibles ;
- Confier l'assistance à la mise en place de stratégies alimentaires nationales ainsi que la production et la diffusion des informations pertinentes sur les bilans de l'agriculture et des ressources à la FAO dont c'est une mission essentielle et motivante, garantie d'une surveillance universelle de la sécurité alimentaire durable;
- Assurer l'acces aux moyens de production et aux droits fonciers (sols, eau, intrants, outils) à l'ensemble de la population agricole,
- Améliorer la connexion entre les marchés urbains et les zones de production agricoles en créant, réhabilitant et renforçant les infrastructures de transport, de communication et de services (eau, transformation, stockage, commercialisation),
- Accentuer l'effort de recherche internationale et nationale, la protection des ressources naturelles et l'équité. C'est la clé du développement durable, passant de la révolution verte à la révolution doublement verte, soucieuse des plantes orphelines et appuyée sur les savoir faire des paysans...
- L'organisation de la filiere du progres agricole et rural et l'éducation de base (particulierement celle des filles) et la vulgarisation doivent s'étendre à toutes les zones rurales y compris les plus pauvres et les nouvelles technologies du vivant (cf. les ateliers de biosynthese prônés par "Terre Nourriciere") doivent aussi être mobilisées pour contribuer à l'alimentation des 8 à 10 milliards d'habitants que comptera notre planete en 2050.
Notes d'Alain Revel La Lettre d'Alerte aux réalités internationales de mars 1997
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