Avec la fin du rideau de fer, s'est révélée à l'Est toute une série d'imbrications de conflits nationaux. Partout dans le monde des problèmes de minorités provoquent des abcès permanents (Palestine, Kurdistan, Cachemire, Birmanie, Tibet...). L'Europe occidentale elle-même est touchée (Ecosse, Corse...).
I - Ces Questions de "Nationalités"
S'articulent autour des trois Pôles que sont l'individu, l'Etat-nation, les minorités.
1. L'individu voit, depuis le 18è siècle ("philosophie des Lumières"), affirmé son droit au bonheur , son droit de vivre et d'épanouir là où il veut. Cette vision triomphe à travers le thème des Droits de l'Homme. Elle donne lieu à toute une rhétorique et une construction internationale.
2. Sont le lieu où se rejoignent l'Etat et la Nation. L'histoire nous montre des Nations créées par l'Etat (cas français) et des Etats qui se fondent sur une identité nationale préexistante (cas allemand). Dans la vision français la Nation est faite d'une conscience commune; Dans la conception allemande, elle est un entité transhistorique faite l'éléments ethnique permanents (langue, culture...). Ainsi la Nation peut exister sans l'Etat, mais a besoin, pour s'épanouir, d'un Etat, entité souveraine.
Dans le système international, qui se construit en Europe en depuis le Moyen-Age et qui tend à à l'universalité l'Etat se veut le cadre normal d'expression de la collectivité, le garant d'un "contrat social" à travers lequel l'individu voit ses droits définis.
La crise spécifique que connaît l'Etat-nation tient à plusieurs éléments :
. le problème de l'ennemi : les Etats-nations se construisent dans une lutte permanente contre un ennemi extérieur et même souvent intérieur - et même souvent intérieur - qui confronte leur besoin d'exister et leur donne le sentiment d'être engagés dans une lutte totale...
. la désacralisation de l'Etat : son instrumentalisation, sa fonctionnalisation font que - dont toutes les institutions de base sont en crise (armée - Justice - Ecole...) - n'est plus perçu comme une fin en soi, la source d'une forme de religion ("mourir pour la Patrie"...), mais comme le cadre où l'individu peut le mieux réaliser son bonheur.
Il faut aussi se rappeler que l'idée de nation, qui s'est épanouie dans la 2ème moitié du 19 siècle, apparaît comme une réponse adaptée au progrès industriel - le cadre national permettant le développement de l'industrie et la réalité économique coïncidant alors avec la réalité nationale. Aujourd'hui il y a tension entre les interdépendances économiques et les identités nationales. D'un côté la nation est perçue comme une protection contre l'uniformisation (communiste à l'Est, technocratique à l'Ouest...) et même comme un refuge (dans le cas où le pays ne réussirait pas son intégration dans les circuits économiques internationaux). De l'autre, elle est ressentie comme un système purement utilitaire - le cadre national résultant d'un contrat établi pour la convenance de l'individu.
Ainsi le jeu est complexe entre l'individu, à la recherche de sont bonheur, l'Etat-nation, ébranlé dans ses fondements, et des minorités dont l'effervescence exprime le besoin de se protéger contre un Etat, auquel on se sont étranger mais qu'on est tenté de reconstituer en tant que tel...
3.Le problème des minorités apparaît avec la définition des frontières de 1919-1920. Le principe est établi que toute nationalité a le droit d'exister par elle-même ; mais en même temps la conscience s'impose de la nécessité d'un Etat, qui sera plurinational dès lors que sont reconnus les droits des minorités.
Le système qui en résulte va mal fonctionner du fait de la fragilité des Etats (Tchécoslovaquie, Yougoslavie...) et de l'utilisation perverse qui sera faite de l'existence des minorités (par Hitlet avec les Suèdes et en Pologne...). Au lendemain de la 2ème guerre mondiale, l'Etat-nations se trouve consacré et le droit des minorités devient son affaire. L'ONU n'en fait pas mention dans la déclaration universelle des Droits de l'Homme, probablement par crainte d'ouvrir une redoutable "boite de Pandore" (problème des indiens ?). Et ce n'est que dans la seconde moitié des années 80 que réapparaît en Europe toute cette thématique des minorités qui revient au premier plan de la scène.
II - Les conséquences sur les relations internationales : Elles sont plusieurs ordres.
1. Relance du débat sur les frontières. Dans l'ordre mondial actuel, il y a à la fois morosité et sacralisation, perméabilité et intangibilité des frontières. Le Nouvel ordre européen est enquête de frontières", celles qui permettraient de délimiter des collectivités nationales homogènes. Mais cela entraînerait -outre de douloureux transferts de population - des nations enfermées dans leurs différences. Sans parler de la difficulté à définir le territoire historique d'une nation (exemple : Kosovo).
2. Opportunité de la renégociation du contrat national, pour résoudre la contradiction existant entre les tendances à la fragmentation et à l'éclatement, et le besoin de préserver la cohérence de l'Etat et l'identité nationale (redéfinition tragique dans l'ex URSS, tranquille en Espagne...).
3. Acceptation de mécanismes internationaux par les pays soucieux de se faire reconnaître comme "Etat de droit". La situation d'interdépendance est telle en effet que tout Etat doit, en vue de son insertion dans les circuits mondiaux, prouver qu'il est en règle avec le droit international. Ainsi des pays de l'Est qui, pour obtenir un brevet de démocratie, n'ont eu de cesse que de rejoindre le Conseil de l'Europe. Ainsi de l'URSS de Gorbachev, soucieuse de sa modernisation et de on développement économique. Ainsi de l'Afrique du Sud, face aux désinvestissements des multinationales, ainsi de la Chine même...
4. Cette pression internationale peut-elle aller jusqu'à la mise en place de mécanismes juridiques spécifiques ? Ne peut-on, face aux revendications des groupes sociaux, - et plutôt que d'affronter le problème sans fin de la révision des frontières - organiser un régime de protection des minorités dont la crédibilité reposerait à la fois sur l'acceptation d'une surveillance internationale (Cour européenne d'arbitrage, comme le propose R.Badinter) et sur l'adhésion aux règles de Droit à l'intérieur de chacun des Etats. Cela supposerait cependant une dédramatisation du problème des minorités que la force des comportements nationaux rend bien aléatoire... Pour s'en tenir aux exemples serbes et afrikaners, on voit bien les difficultés que les peuples sont à surmonter : orgueil national, provincialisme et surtout peur (de disparaître ou d'être absorbés)...
Lettre de septembre 1992 Notes de Francis Plateau, non revues par le Conférencier