15. Les implications de l'ouverture à la concurrence
15.1. La nécessaire évolution de la gouvernance des entreprises publiques
Les relations entre l'État et les entreprises publiques doivent être reconsidérées dans un contexte économique qui a profondément changé. Ces relations s'inscrivent dans ce qu'on appelle communément aujourd'hui la gouvernance de l'entreprise. Pris au sens large, ce concept regroupe en fait de nombreux aspects touchant la répartition des pouvoirs dans et sur l'entreprise (prises de contrôle, rémunération des dirigeants, responsabilité des dirigeants et des administrateurs, composition et rôle du conseil d'administration, production de l'information, pouvoirs des actionnaires, etc.). Même si ce concept renvoie à des situations caractéristiques du secteur privé, il garde toute sa pertinence appliqué aux entreprises des secteurs de service public en réseau, dans la mesure où bien des problèmes rencontrés dans la gestion publique présentent de très nombreux symptômes communs avec ceux qui retiennent l'attention lorsqu'on analyse en général le gouvernement des entreprises.
Trois évolutions viennent renouveler le débat sur les relations que l'État entretient avec les entreprises publiques.
- La première évolution décisive se situe du côté des entreprises privées. Dans le secteur concurrentiel, les actionnaires, et notamment certains fonds de pension, réclament de la part des dirigeants d'entreprise une plus grande efficacité de gestion et une plus grande transparence dans le fonctionnement de l'entreprise et des organismes sociaux. On voit ainsi se dessiner au niveau international des normes et des conventions qui progressivement encadrent les relations entre les entreprises et leurs actionnaires.
-La deuxième évolution, non sans lien avec la première, se trouve du côté du secteur public. L'évolution de la réglementation communautaire, le poids de plus en plus grand du droit de la concurrence, les règles de transparence en matière d'aides d'État conduisent à reconsidérer tout un ensemble de pratiques et à repositionner les responsabilités des États vis-à-vis des entreprises publiques.
- Enfin, la troisième évolution, plus récente, vient de la mutation des secteurs de service public : ces secteurs, jusqu'ici très protégés, s'ouvrent à la concurrence ; les règles du jeu s'imposent à l'ensemble des acteurs, privés comme publics ; le statut des entreprises de ces secteurs change pour se rapprocher du droit commun ; la multiplication des partenariats européens, qui ne cesseront de se renforcer dans l'ensemble des secteurs à l'avenir, peut conduire dans certains cas à ouvrir le capital de ses sociétés, l'État devenant un actionnaire parmi d'autres, majoritaire dans certains cas, minoritaire dans d'autres. L'introduction de la concurrence, l'intégration des marchés européens, l'internationalisation des activités des opérateurs publics, voire l'ouverture de leur capital sont susceptibles de bouleverser la problématique sous-jacente aux interventions de l'État, tant dans son rôle de régulateur que dans son rôle d'actionnaire.
Comme l'ont montré les chapitres sectoriels, l'ensemble des secteurs et des entreprises ne sont pas amenés à évoluer au même rythme. De ce fait, l'urgence des réformes en matière de gouvernance des entreprises publiques ne se pose sans doute pas avec la même acuité suivant les cas. Néanmoins, l'effort de modernisation des relations que l'État entretient avec ces entreprises, devient jour après jour une nécessité pour les entreprises qui opèrent ou opéreront dans le secteur concurrentiel et, en particulier, pour celles dont le capital sera ouvert à d'autres actionnaires. Il est clair notamment que l'exercice efficace des prérogatives de l'État suppose de sa part, une démarche prospective et stratégique de grande qualité, ainsi qu'une coordination extrêmement précise de ses services dans la mise en œuvre des orientations résultant de cette démarche. Par ailleurs, les modalités selon lesquelles l'État exerce son contrôle sur les grands opérateurs de service public revêt une importance considérable s'agissant de la capacité de ces derniers à élaborer des stratégies de moyen-long terme pertinentes et de développer des politiques managériales efficaces. L'ensemble de ces éléments conduit à réexaminer les outils de gouvernance existants en particulier les contrats de Plan, la procédure du CIES, et le rôle du conseil d'administration.
15.2. La contractualisation pluriannuelle : un chantier inégalement avancé
L'idée de contractualiser les rapports entre l'État et les entreprises publiques a été exprimée pour la première fois dans le rapport Nora de 1967. Ce rapport insistait sur la nécessité d'accroître l'autonomie des entreprises publiques, de séparer les activités du domaine concurrentiel tourné vers la recherche de profits, des activités de service public pour lesquelles le manque à gagner lié aux obligations imposées devait être compensé par les pouvoirs publics. La contractualisation cherchait donc à fixer les engagements réciproques de l'État et de la direction des entreprises, en laissant à ces dernières, au moins en théorie, un maximum d'autonomie de gestion dans un cadre de cohérence négociée. Les premiers contrats État-entreprise publique ont été établis en 1969 avec la SNCF (1969-1973), puis avec EDF (1971-1975). Ils n'ont pas été une réussite : les résultats n'ont pas correspondu aux objectifs dans le cas de la SNCF, le principe du retour à l'équilibre budgétaire n'ayant pas été atteint ; le contrat avec EDF a été interrompu en 1974. Cette procédure a été réactivée fortement par la loi du 29 juillet 1982 qui a défini un système de planification et de contractualisation entre l'État et les entreprises publiques mais aussi éventuellement avec les entreprises privées. Dans les " contrats d'objectifs ", l'objectif était d'assurer la cohérence entre l'action des entreprises et les grandes orientations de la planification nationale tout en laissant un maximum de liberté d'initiative aux opérateurs et en limitant les interférences de nature politique. De tels contrats ont été signés notamment avec EDF (1984-1988) et avec la SNCF (1985-1989). Ils visaient la baisse des prix, l'établissement de normes de qualité et, dans un contexte de crise énergétique, la substitution de l'électricité aux autres énergies. La SNCF devait quant à elle respecter des objectifs de développement. Le contrat fixait aussi les contributions de l'État et le montant des investissements.
Cette contractualisation s'est étendue à partir de 1989 à l'ensemble des entreprises de réseau. En théorie, l'objectif de tous les contrats est identique. Chacun cherche à clarifier les attentes de l'État vis-à-vis des entreprises, à défendre les intérêts de l'État actionnaire en s'assurant de la performance économique de l'entreprise, à fixer des objectifs à moyen terme et éviter ainsi des logiques budgétaires annuelles trop contraignantes et peu en phase avec les évolutions du marché. Ces contrats visent également à mettre en cohérence les divers objectifs à atteindre : les montants d'investissement d'une part comme le niveau d'endettement et de productivité d'autre part. Ils doivent permettre enfin aux entreprises d'acquérir l'autonomie dont elles ont besoin pour améliorer leur gestion et ne pas se trouver, par exemple, tributaires de la politique des prix menée par l'État, l'évolution des tarifs acceptés par l'État étant, en l'absence de contrat, liée prioritairement aux grands équilibres macro-économiques. Même si les contrats de Plan font l'objet de critiques notamment en raison de la lourdeur de la procédure, leur préparation apparaît un exercice salutaire ne serait-ce que pour harmoniser les différentes fonctions de l'État et faciliter le dialogue avec l'entreprise. Le contrat de Plan permet de mettre régulièrement l'ensemble des partenaires autour d'une même table. Le Trésor, le Budget, l'Industrie sont incités à sortir d'une gestion pointilliste, souvent enfermée dans le court terme et, à travers un dialogue multilatéral, d'exprimer et de formaliser une voix commune, celle de l'État. Même si ces négociations ont du mal à aboutir, elles permettent d'établir un diagnostic partagé par l'ensemble des partenaires, et de donner de la visibilité à l'entreprise en précisant les objectifs de service public portés par l'État et les mécanismes de prise en charge que celui-ci entend mettre en place.
Si la procédure des contrats de Plan apparaît donc salutaire pour l'entreprise publique, elle paraît plus difficile à mettre en œuvre et inadaptée lorsque l'État n'est plus le seul actionnaire et ce, même s'il reste majoritaire. Par ailleurs, si l'intérêt du contrat de Plan demeure dans la mesure où il favorise une clarification des responsabilités des pouvoirs publics et de l'entreprise, cet outil n'est qu'un outil parmi d'autres. Cet outil qui devra s'adapter à l'ouverture des marchés, notamment en simplifiant et allégeant la procédure de mise en œuvre, ne peut en effet répondre à lui seul aux problèmes de gestion publique de ces entreprises. Il doit s'établir en cohérence avec d'autres outils qui cherchent à renforcer la fonction d'actionnaire de l'État et les instances de régulation qui deviendront des partenaires incontournables dans la définition, le suivi et le financement du service public. Enfin, l'accent peut être mis également sur la notion de lettre de mission donnée aux présidents de ces entreprises, notamment au moment de leur nomination, mandat susceptible de confirmer les orientations stratégiques du contrat de Plan ou d'orienter les négociations lorsque celui-là doit être renouvelé.
15.3. La procédure du Comité des investissements à caractère économique et social en examen
Les entreprises publiques d'une certaine taille et dont l'activité ne s'exerce pas sur un marché pleinement concurrentiel (transport, énergie, La Poste) soumettent leurs programmes d'investissement à une instance qui regroupe, sous la présidence du ministre de l'Économie, les ministres de tutelle des dites entreprises et ceux concernés à titre habituel ou fortuit par les investissements examinés : le Comité des investissements à caractère économique et social (CIES). Il se réunit avant le 30 juin et le 15 décembre de chaque année après examen approfondi des dossiers de chaque entreprise par des comités spécialisés agissant en tant que délégations techniques du CIES. Ce dernier approuve ou modifie les conclusions de ces comités et, surtout, rend les nécessaires arbitrages en cas de désaccords entre administrations. Cependant, son pouvoir est limité par des enjeux politiques interministériels plus larges. En effet, des décisions sont parfois prises à un niveau plus élevé lorsqu'elles portent sur des investissements jugés stratégiques ou politiquement " sensibles " : par exemple, dans le cas du canal Rhin-Rhône la réalisation fut décidée malgré l'avis défavorable du CIES, puis annulée directement par le gouvernement ; cette situation se retrouve pour l'autoroute Bordeaux-Clermont-Ferrand, ou la ligne à grande vitesse Est, etc. Le CIES, dont le fonctionnement et l'organisation sont régis par le décret n° 96-1022 du 27 novembre 1996 a succédé au Fonds de développement économique et social (FDES) .
La réforme engagée cette année-là a permis non seulement un " toilettage " des textes pour les mettre en conformité avec une pratique qui avait fortement évolué, mais a rendu possible une amélioration et une modernisation du fonctionnement de la procédure. C'est ainsi que l'examen des programmes d'une année se fait désormais à la séance du printemps de l'année précédente et non plus à l'automne (consacrée en principe aux ajustements des programmes), ce qui permet aux entreprises de connaître suffisamment tôt les orientations de l'État et facilite ainsi la programmation de leurs investissements. En outre, pour éviter la logique d'enveloppe, qui pouvait conduire pour des raisons tactiques à une inflation de demandes, les principaux projets doivent faire l'objet d'une présentation justificative, comportant en particulier une évaluation de la rentabilité socio-économique et, le cas échéant, de la rentabilité financière, calculée selon une méthodologie d'évaluation unifiée et conforme aux recommandations émises par le Plan depuis 1994. Enfin, les données financières, qui rendent compte des conditions de financement des programmes, sont harmonisées, de façon à faciliter les comparaisons entre entreprises et secteurs.
En dépit de ces progrès, la procédure fait toujours l'objet de quelques critiques. Elle continue parfois d'être jugée comme une survivance archaïque d'un système révolu, où la planification constituait la référence principale d'une économie nationale beaucoup plus administrée qu'aujourd'hui. Plus précisément, elle est souvent ressentie comme une contrainte forte qui restreint l'autonomie des entreprises publiques et ne répond pas au souci de conférer à leurs dirigeants une plus grande responsabilité. Par ailleurs, l'annualisation des décisions ne favorise pas une vision suffisamment étendue de la politique d'investissement. À cet égard, il convient d'indiquer que les comités examinent, outre le programme de la prochaine année, les avant-projets des deux années suivantes. Enfin, la focalisation du traitement des dossiers sur des débats ou des différends entre administrations peut conduire dans certains cas à s'écarter d'une optimisation des politiques d'investissement des grands établissements publics. Un premier bilan de la réforme de 1996 sera présenté par la Direction du Trésor dans le courant de l'année 2000. Il pourrait s'accompagner de propositions de modifications touchant notamment le périmètre du CIES, plusieurs entreprises étant en effet dépendantes de contrat pluriannuel avec l'État alors qu'elles pourraient être incitées à modifier leurs choix d'investissement pour répondre aux sollicitations d'un marché qui se libéralise. Dans ces circonstances, les marges de manœuvre sont plus restreintes, bien que la procédure actuelle ne constitue pas un obstacle à la contractualisation puisque les comités ne remettent pas en cause les décisions d'investissement prises dans ce cadre et se limitent à contrôler la trajectoire des différents paramètres par rapport aux objectifs fixés. Il en est de même à un degré moindre avec les contrats de Plan conclus entre l'État et les régions. Il y a aussi les questions liées à l'élargissement de la concurrence dans certains secteurs ou activités, à l'application des directives européennes dans le cadre des appels à concession, et aux prises de participations extérieures dans le capital des entreprises qui rendent alors la structure actuelle du CIES inadaptée à la mission qui lui est confiée.
15.4. L'évolution du rôle des conseils d'administration
15.4.1. Le renforcement du conseil d'administration
De manière générale, aux termes de l'article 98 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, le conseil d'administration est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société. Représentant l'ensemble des actionnaires le conseil répond collectivement de l'exercice de ces missions devant leur assemblée générale envers laquelle il assume légalement les responsabilités essentielles : il convoque et fixe l'ordre du jour de l'assemblée, nomme et révoque le président et les directeurs généraux chargés de la direction de l'entreprise, contrôle leur gestion et en rend compte par le rapport annuel et les comptes qu'il a arrêtés. Le conseil et le président fixent plus généralement la stratégie de l'entreprise en définissant les grandes orientations, les politiques à mettre en œuvre, l'allocation des ressources disponibles tant humaines que financières, l'anticipation des risques, ainsi que le contrôle de l'application des décisions.
La situation est assez différente pour les entreprises publiques. Les pouvoirs et les modalités de fonctionnement du conseil d'administration des entreprises publiques des secteurs de services publics en réseaux présentent en effet des spécificités propres qui viennent des relations particulières que les entreprises publiques entretiennent avec les pouvoirs publics. Si, comme le précise la loi du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public, le rôle des conseils d'administrations des entreprises concernées se trouve bien au cœur de la vie de l'entreprise puisque aucune décision relative aux grandes orientations stratégiques, économiques, financières ou technologiques de la société, notamment sur le contrat de Plan, ne peut intervenir sans que le conseil d'administration en ait préalablement délibéré, la nature des débats et son rôle se trouvent limités pour de nombreuses raisons. Tout d'abord, les pouvoirs publics interviennent directement dans la nomination du président, celui-ci étant nommé par décret (même si formellement le conseil d'administration le propose). De même ce sont les pouvoirs publics qui nomment par décret les autres représentants de l'État ainsi que les personnalités qualifiées. Ce sont donc les deux tiers du conseil qui sont nommés par décret. Par ailleurs le contrôle de l'État s'exprime de nombreuses manières : directement au conseil d'administration dans lequel siègent un ou deux commissaires du gouvernement qui représentent la tutelle technique ainsi que des contrôleurs d'État ; indirectement par des contrôles, à caractère systématique comme le contrôle de la Cour des comptes sur les comptes des entreprises publiques ou à caractère ponctuel comme les contrôles effectués par l'Inspection générale des Finances ou les corps d'inspection des ministères techniques. Le fonctionnement de ces conseils n'est pas satisfaisant si l'on se réfère aux normes de gouvernance communément admises, il y a un réel consensus sur ce point. Plusieurs éléments contribuent à amoindrir le rôle du conseil. Tout d'abord, le fonctionnement du conseil s'inscrit dans des relations de pouvoirs complexes entre le président, le gouvernement, les ministères de tutelle et les administrateurs qui rend difficile la conciliation entre le temps de l'entreprise, ouverte vers l'extérieur, qui doit prendre des décisions rapides, et le temps de l'État. Par ailleurs, le bon fonctionnement du conseil d'administration repose en partie sur la capacité des administrateurs à défendre l'intérêt social de l'entreprise quelle que soit leur provenance, qu'ils soient nommés pour représenter l'État, élus par les salariés ou indépendants. Ses administrateurs ayant tous la même responsabilité, la grande difficulté est d'arriver à créer les conditions pour constituer une équipe solidaire, efficace, capable de prendre en main le destin de l'entreprise. Or, bien souvent, le collège issu de nominations individuelles effectuées par différents ministres n'est pas toujours homogène et cohérent et les administrateurs représentant l'État ont du mal à concilier leurs responsabilités de mandataire social (loi sur les sociétés de 1966), leur subordination à l'État, voire les intérêts publics que les différents ministères ont en charge. On ne peut passer sous silence le fait que les représentants des salariés au conseil utilisent parfois celui-ci comme une tribune ou un lieu supplémentaire de dialogue et de confrontation avec la direction de l'entreprise. Dans ces conditions, le rôle du conseil et la nature des débats peuvent être déviés de leurs fonctions premières et vidés de leurs sens. Enfin, la plupart des conseils consacrent peu de temps aux sujets essentiels à la vie de l'entreprise : le conseil est devenu un lieu de pédagogie sur de nombreux aspects de la vie de l'entreprise, l'ordre du jour est encombré de dossiers qui, selon des critères d'entreprise privée, ne relèveraient pas de cette instance, les décisions importantes sont souvent prises ailleurs qu'au conseil d'administration.
Sans pour autant résoudre l'ensemble des problèmes évoqués, l'amélioration du fonctionnement du conseil passe par la responsabilisation des administrateurs l'État. Ils représentent les principaux vecteurs du changement. Pour cela ils doivent disposer du temps et des compétences pour remplir activement leur mission. Ce souci se fait de plus en plus prégnant au sein de l'administration et la formation des administrateurs mise en œuvre ces dernières années a été unanimement reconnue comme un point très positif. Cette mobilisation des administrateurs suppose également de clarifier les rôles et les responsabilités au sein de l'État entre d'une part la fonction d'actionnaire et d'autre part les fonctions relevant des politiques publiques pour permettre à tous les administrateurs de jouer pleinement leur rôle premier qui est de défendre l'intérêt social de l'entreprise. Dans le cas où il y a potentiellement contradiction entre l'intérêt social de l'entreprise et une exigence liée à une politique publique, l'administrateur ne doit pas incarner et gérer seul cette contradiction, mais il doit être associé à la décision de politique publique prise en amont et être en mesure de l'articuler avec l'intérêt de l'entreprise. L'identification de ces contradictions potentielles et leur objectivation - coût ou charge pour l'entreprise - est indispensable pour conforter la position de l'administrateur et clarifier la relation entre l'État et l'entreprise. Le conseil d'administration et les administrateurs de l'État désignés par l'administration devant porter la responsabilité de la réussite de l'entreprise, les aspects liés aux services publics devraient être traités par les pouvoirs publics par le biais d'autres procédures. Par ailleurs, la qualité du travail des conseils suppose également de renforcer les exigences de confidentialité, ce point constituant un élément essentiel pour que les dossiers importants puissent être traités en séance. Pour finir, il paraît décisif de favoriser un dialogue approfondi au sein du conseil. Cela devrait être le rôle des comités spécialisés qui approfondissent certains sujets pour en rendre compte au conseil. Par ailleurs la présence d'administrateurs " indépendants ", en jouant un rôle de contre-pouvoir, peuvent contribuer à développer ce dialogue.
15.4.2. Comités spécialisés
Les comités spécialisés se sont multipliés en Europe dans le secteur privé (c'est aussi le cas en France comme le montre le tableau suivant pour les entreprises du CAC 40), notamment sous l'impulsion des rapports Cadbury en Grande-Bretagne (1992) et Viénot (1995-1999), et en raison de l'importance croissante des investissements financiers anglo-américains à l'étranger. Tableau 3 - Présence et travail des comités spécialisés dans les entreprises du CAC 40 1998-97 1997-96 1996-95 Nombre de conseils ayant des comités 34 30 17 (88 %) (75 %) (42 %) Types de comités Comité d'audit 30 26 11 Comité de rémunération 22 15 N/A Comité sélection 8 5 N/A Comité de rémunération & sélection 8 12 17 Autres 12 8 N/A Source : Korn/Ferry International, " Gouvernement d'entreprise 1998 : trois ans après le rapport Viénot ", novembre 1998. Ces comités se sont multipliés : comités d'audit, de rémunération, comités de nomination ou de sélection, comité de stratégie.
Ces comités ont une influence importante grâce à la contribution qu'ils apportent aux débats du Conseil. Mis en place pour faciliter le travail du conseil d'administration, ces comités constituent tout à la fois un outil indirect de rationalisation du travail du conseil et un outil de contrôle pour les actionnaires. Le comité d'audit constitue le comité le plus répandu et sans doute le plus important . Ces comités ont pour vocation d'expertiser certains dossiers difficiles techniquement (reporting des filiales, etc.), de vérifier la qualité du contrôle interne, de s'assurer du bien fondé des méthodes comptables retenues, et d'apprécier certains risques en toute indépendance du management de l'entreprise. Ces comités allègent le travail du Conseil d'Administration qui peut se concentrer sur les arbitrages et les décisions stratégiques les plus sérieuses. Dans l'esprit des principaux partisans de ces comités d'audit, ces derniers doivent être indépendants vis-à-vis des dirigeants de l'entreprise. Cette indépendance doit être garantie, ce qui conduit par exemple le rapport Cadbury tout comme les rapports Viénot à recommander que ces comités soient exclusivement composés d'administrateurs non dirigeants et comportent une majorité d'administrateurs indépendants. Les entreprises publiques mettent progressivement en place de tels comités. Les motivations conduisant à mettre en place ces comités sont un peu différentes de celles qui ont présidé à leur mise en œuvre dans les grandes sociétés privées. Il s'agit moins de faciliter le travail du conseil que d'aborder de manière approfondie quelques sujets financiers importants trop lourds pour les débats du conseil d'administration comme la couverture de change, l'appréciation des risques auxquels l'entreprise doit faire face, l'évaluation de la situation financière par exemple. Les administrateurs interrogés souhaitent que leur mise en place soit généralisée car le travail en comité restreint permet d'aller au fond des choses et favorise la liberté des échanges. Toutefois, il faut reconnaître également que si ces comités permettent de travailler sur des sujets qui étaient à peine évoqués dans les conseils d'administration, ils peuvent déresponsabiliser le conseil d'administration en le cantonnant à l'étude de dossiers secondaires et en l'enfermant dans un rôle de chambre d'enregistrement de décisions prises par ailleurs. Ce dernier point montre que les comités d'audit qui ont un intérêt évident ne constituent pas pour autant une panacée et qu'ils doivent fonctionner au service du conseil d'administration.
15.4.3. Administrateurs indépendants
Des administrateurs indépendants jouent un rôle décisif dans les conseils d'administration des sociétés privés. Initialement cette idée trouve son origine dans les débats qui ont eu lieu aux États-Unis sur la sur-représentation au sein des conseils des entreprises de ces pays de dirigeants exerçant des fonction exécutives au sein de ces entreprises. Il s'agissait pour les actionnaires de trouver des mécanismes pour s'assurer le contrôle sur l'entreprise. La présence de compétences extérieures au sein du conseil d'administration était un de ces mécanismes : les administrateurs indépendants contribuent à élargir le champ des discussions stratégiques, à assurer l'équilibre entre les intérêts contradictoires des différents actionnaires lorsqu'ils se manifestaient, à apporter une certaine caution de transparence et de fiabilité de l'ensemble des informations émises par le conseil d'administration et particulièrement celles liées aux comptes de l'entreprise. En France ce débat a moins lieu d'être dans la mesure ou la représentation du management de l'entreprise au sein des conseils d'administrations est plus limitée. Dans le cas des entreprises publiques la problématique est un peu différente. Il ne s'agit pas de trouver des mécanismes pour rompre l'asymétrie d'information entre l'actionnaire et les dirigeants mais bien de renforcer des mécanismes d'autocontrôle au sein du conseil d'administration pour renforcer son action. Ainsi, les personnalités qualifiées présentes dans les conseils d'administrations contribueraient à crédibiliser et renforcer le rôle du conseil d'administration en apportant un regard extérieur sur certaines décisions (ou non-décisions) et en favorisant la franchise des échanges entre les différents membres du conseil d'administration, notamment lorsque l'entreprise traverse une période délicate.
Toutefois, ce mécanisme ne peut fonctionner que si ces administrateurs disposent d'une réelle indépendance. Cette dernière dépend en partie de la procédure de leur nomination. Cette indépendance serait mieux assurée si leur nomination passait par un comité de sélection clairement identifié qui proposerait au conseil une liste de candidats en motivant les choix opérés selon un ensemble de critères comme la compétence des personnalités pressenties, leur expérience, leur notoriété ou l'équilibre du conseil . Renforcer le poids et le rôle de ces personnes qualifiées est sans doute, tant que l'État reste l'unique actionnaire, la seule manière de sortir des relations bilatérales souvent bloquées entre l'État et l'entreprise et de renforcer au sein du conseil d'administration la fonction d'actionnaire de l'État par rapport à d'autres prérogatives. Pour que cette procédure garantisse une réelle ouverture, la composition du comité de sélection devrait être équilibrée et laisser une place aux administrateurs indépendants. Et il semble également important que la question de la rémunération de ces administrateurs soit posée. Enfin, le conseil d'administration devrait motiver son choix et afficher publiquement l'indépendance de ces administrateurs en rendant cette motivation publique dans le rapport d'activité.
Pour conclure, la transparence est un des éléments clefs de la gouvernance des entreprises. Celle-ci passe généralement par la diffusion d'un minimum d'informations : la composition et le règlement intérieur du conseil d'administration, le rôle des comités s'ils existent, le travail qui s'y fait, et la rémunération des membres du conseil d'administration et des dirigeants. Pour les entreprises qui restent entièrement publiques, ces exigences se posent un peu différemment, l'État restant l'unique actionnaire, mais il semble malgré tout préférable d'afficher plus clairement à l'extérieur, notamment dans le rapport d'activité, la volonté du conseil d'administration de défendre l'intérêt social de l'entreprise. Ces principes élémentaires deviennent en tout état de cause une nécessité lorsque le capital de l'entreprise est ouvert à d'autres investisseurs.
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