A la question de savoir si dans cinquante ans nous serons en mesure de bien nourrir les hommes sans dégrader la planète, il a été répondu oui lors du Colloque Alimentation mondiale 2050. Cette réponse optimiste est la résultante d’une série de constations énoncées en particulier dans le cadre des diagnostics présentés à cette journée.
Diagnostics
La fourchette des estimations de la population totale évolue plutôt vers les hypothèses basses, soit entre 7,3 et 8,9 milliards d’hommes vers l’an 2050, ce qui n’implique qu’un doublement de la production alimentaire actuelle. Les acquisitions réalisées ces dernières décennies en matière de recherche fondamentale permettent d’entrevoir avec une relative sûreté les évolutions possibles en matière de bio-ingénierie et de génie génétique appliquées aux divers facteurs de la sécurité alimentaire : gains de productivité, résistance aux pestes, diversifications qualitatives, réduction des déchets, pollutions et nuisances, amélioration des qualités sanitaires et nutritionnelles.Les effets de Rio se font sentir dans la prise en compte par les opinions publiques et les responsables politiques des contraintes liées au respect de l’environnement et de la biosphère.La généralisation du développement des moyens informatiques permet à la fois une diffusion plus rapide des connaissances et l’approche multidisciplinaire des problèmes. Ceci dit, les conditions et les préalables nécessaires à une telle évolution ne manquent pas et ne sont certainement pas aisés à lever. Là se situent les véritables enjeux dont il convient d’assurer la réalisation.
Enjeux
- En premier lieu, les politiques agricoles nationales doivent admettre que dans la situation mondiale actuelle de libre circulation des marchandises, les emplois agricoles sont les plus aisés à encourager, qui permettent de stimuler les productions locales, tant vivrières que de qualité. Cette prise de conscience est d’autant plus nécessaire qu’elle représente un frein à la tendance signalée d’une urbanisation croissante et de la constitution de mégalopoles, avec leur ceinture de bidonvilles ou de banlieues à risques. Mais elle implique également qu’une priorité soit alors accordée à l’éducation et à la responsabilisation des agriculteurs qui doivent s’organiser de manière à prendre en main leur destin. La formation technique, voire scientifique, des agriculteurs représente l’une des clés pour une diffusion rapide du progrès et d’un développement durable.
- En second lieu, face aux limites de la mobilisation de nouvelles terres cultivables, l’amélioration de l’efficience des filières productives reste un autre impératif qui implique notamment l’augmentation de la productivité par hectare, la lutte contre les pertes (eau d’irrigation, produits), le contrôle des entrants (limitation des produits de traitement, techniques culturales) et des sortants (déchets, pollutions), la première transformation des produits sur les lieux de production et leur acheminement sur les lieux de consommation, seconde et troisième transformations industrielles.Ces aspects prennent d’autant plus d’importance que les phénomènes d’urbanisation sont encore en croissance et que les deux tiers de la population mondiale tendent à se focaliser en Extrême-Orient.
- En troisième lieu,il est indispensable de convertir les résultats de la recherche fondamentale en applications commercialisables capables de soutenir tous les niveaux et chaque étape du développement agricole et social. C’est là une condition essentielle afin que puisse être maintenue au cours de ce prochain demi-siècle une croissance moyenne annuelle de 2 % de l’ensemble de la production alimentaire mondiale tout en respectant, voire en rétablissant, les équilibres de la biosphère. Pour ce faire, la notion de recherche appliquée doit être dépassée.
AttentesEn effet, les attentes quant à la production de nouveaux produits ou à la diffusion de nouvelles technologies se trouvent de mieux en mieux identifiables sous les effets conjugués de plusieurs facteurs que voici :
- - une coordination ou une coopération, financièrement nécessaire, entre secteurs public, universitaire ou privé de la recherche, aboutissant à une certaine sélection consensuelle des objectifs à atteindre ; - l’émergence de groupes industriels internationaux capables à la fois de préciser leurs exigences en amont, en terme de qualité des matières premières, et de traduire, en terme d’innovation, les attentes des consommateurs et des opinions publiques, puisque ce sont elles qui sanctionnent par le marché la réussite commerciale de ces groupes ;
- - le développement de la qualification et de l’organisation des agriculteurs de plus en plus à même de préciser la nature des produits et des services dont ils ont besoin. C’est cette démarche interdisciplinaire, qui focalise les objectifs de recherche appliquée de manière concertée en y intégrant l’ensemble des contraintes environnementales et en les recentrant sur l’homme, qu’il a été proposé de désigner comme recherche concernée. Il s’agit d’un processus de responsabilisation progressive des opérateurs économiques qui doivent adopter la démarche de grands groupes alimentaires qui consiste à rechercher la satisfaction des consommateurs par la règle des " 4S " : Saveur, Santé, Sécurité, Service.
Rôle de la recherche
A la question de savoir quel rôle doit jouer la recherche pour participer et assurer de telles évolutions, tant techniques que psychologiques, il est clair que la réponse ne peut être que partielle puisqu’elle n’agit que sur une partie seulement des problèmes. Le concours de la recherche restera déterminant dans les domaines identifiés suivants : - Economie de l’eau par des espèces moins exigeantes et de nouvelles pratiques culturales liées aux conditions agronomiques locales ;- Diversification des produits dans tous leurs aspects quantitatifs et qualitatifs selon chaque type d’agriculture, de conditions socio-économiques et culturelles. (de larges espoirs sont permis dans ces domaines grâce aux acquisitions récentes des biotechnologies et des bio-ingéneries) ; sans espoir cependant de pouvoir disposer dans cet arc de temps d’une source d’énergie à la fois " propre ", abondante et pas chère ;- Meilleure compréhension et maîtrise des aléas et risques climatiques ;- Amélioration du rendement des processus biologiques de la photosynthèse ;- Maîtrise et recyclage des déchets de toutes natures, y compris par l’exploitation des microorganismes dont les potentiels génétiques sont encore particulièrement méconnus ;- redéfinition du rôle multifonctionnel des agriculteurs dans leurs rapports avec la société civile, le monde économique, l’urbanisation, la préservation et la conservation de la biodiversité et la protection des animaux, ainsi que dans leur appropriation des richesses dont ils disposent traditionnellement : ressources en eau et paysages ruraux.Mais il appartient également au monde scientifique d’appeler l’attention des responsables politiques ou de l’opinion publique sur l’irréversibilité de certains processus qu’aucune technique ne pourrait plus corriger.A ces conditions, légitimes en terme de recherche mais dont les réalisations dépendent en dernier ressort des niveaux d’investissement et d’organisation qui seront consentis pour leur réalisation, il est possible d’espérer que la diminution constatée sur longue période du taux de mal et sous nutrition, rapporté à la population mondiale, poursuive sa décroissance dans les décennies à venir. Notes d’élèves de l’Institut National Agronomique
REVUE DE PRESSE
Le Monde : « seul un gigantesque plan Marshall pourrait vaincre la malnutrition »Le journal Le Monde, daté dimanche 20, lundi 21 décembre 1998 consacre une pleine page et trois articles aux travaux du colloque « Alimentation mondiale 2050 » organisé par Rayonnement Français et Réalités Internationales, Aminter et Aptitudes.
Extraits.« Pathétique »Comment nourrir neuf milliards d’homme en 2050 ? Comment les assurer du nécessaire sans porter atteinte à la biosphère ? Vouloir s’interroger sur la situation qui prévaudra dans cinquante ans « alors qu’on ne parvient pas aujourd’hui à satisfaire les besoins des 6 milliards d’individus de la planète a quelque chose de pathétique », écrit Christiane Galus, après avoir cité les dernières indications de la FAO selon lesquelles l’écart en disponibilités énergétiques alimentaires s’est encore creusé entre pays industriels et pays moins avancés entre 1994 et 1996.Pathétique et urgent, d’autant « qu’il ne faut pas se satisfaire de l’affirmation rassurante selon laquelle les progrès de l’agriculture devraient être suffisants pour nourrir tous les hommes dans cinquante ans » a rappelé Hubert Curien, président du colloque, tandis que « la moitié des habitants de la planète sera installée sur un dixième des terres » relève Jean-Claude Chesnais, directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques, diagnostiquant que « la pauvreté urbaine et son cortège de bidonvilles sont inéluctables et iront en s’accentuant ».« Marges de manœuvre »Christiane Galus cite encore le chiffrage des besoins évalués par François Monnier, ingénieur agronome : « il faudra, en 2050, fournir 7,5 milliards de tonnes d’équivalent-grain, soit multiplier la production agricole par 2,5 ». Pour les chercheurs, il y a encore d’énormes marges de manœuvre, Guy Paillotin, président de l’Institut national de la recherche agronomique, se veut optimiste : « doubler le rendement agricole d’ici 2050, c’est possible », mais, dit-il « avec des efforts et des difficultés ». La technologie ne peut résoudre seule le problème alimentaire, relève la journaliste, relayant les inquiétudes de Michel Griffon, chef de programme au Cirad, centre de coopération internationale : aujourd’hui, « la pauvreté et la famine ne constituent pas une menace géopolitique. Mais si, dans les dix prochaines années, elles le devenaient, les nations se décideraient peut-être alors à mettre en œuvre un gigantesque Plan Marshall de la pauvreté ». Effets perversHervé Kempf consacre un article aux possibilités ouvertes par le génie génétique. Il cite aussi Axel Kahn, directeur scientifique adjoint de Rhône Poulenc, selon lequel « la poursuite de l’amélioration génétique de variétés végétales permettra de relever les défis et le génie génétique devrait occuper une place significative ».Mais, souligne Hervé Kempf, les variétés végétales transgéniques ont été créées avant tout pour le marché occidental. Sans rejeter à priori leur utilisation dans les pays en développement, il convient de prendre garde aux effets pervers qu’ils peuvent y avoir et ne pas négliger les autres solutions. Moussa Seck, un agronome de l’association Enda-Tiers Monde présent au Colloque, interrogé par Hervé Kempf, montre, pour le Sahel les perspectives offertes par les cultures légumières, à condition d’y investir.
Agra-Presse : « la politique prévaut sur la technologie ».Selon l’agence spécialisée, Agro-Presse-hebdo, dans ses éditions du lundi 14 décembre, les travaux du Colloque « Alimentation mondiale 2050 », montrent que « miser sur les technologies pour trouver les ressources alimentaires nécessaires est réducteur. Les solutions sont d’abord politiques ». Agra-Presse cite notamment Michel Petit, de la Banque mondiale pour qui l’hypothèse d’une solution par le développement technologique est « trop restrictive ». L’agence cite également Alain Revel sur les fragilités et les obstacles au développement, Ivan Cherret, sur « le drame de l’eau »,
Dominique Dron (Ministère de l’environnement).
Regards sans Frontières janvier 1999