L'Histoire se nourrit du changement dont elle fournit évidemment d'innombrables exemples (qui ne sont ni des leçons, ni des regles). Le changement est porteur d'opportunités et de risques; il modifie également les conditions dans lesquelles on peut profiter des unes sans s'exposer aux autres. Mais la nature des opportunités et des risques change, et les mécanismes du changement changent aussi.
Cela rend unique chaque situation vécue et interdit toute généralisation "scientifique". On doit donc se contenter de simples observations de bon sens.
A- DES CONSTANTES DANS L'HISTOIRE?
Les potentiels de développement se trouvent partiellement dans les ressources naturelles y compris le nombre des habitants. Mais les réussites du développement résultent essentiellement de l'agencement des facteurs : régimes et systemes de production et de consommation de biens et services, Tout ce qui est en amont et en aval de l'éconoùmie proprement dite contribue à la prospérité : investissement humain dans l'éducation et la santé, efficacité de la coordination par l'Etat ou par le marché; consensus social et politique.
Les médiocres performances et les accidents de l'économie peuvent provenir d'un mauvais arrangement (défaut des structures et systemes), d'une panne réparable, d'un évenement perturbateur venu d'ailleurs.
Cet évenement résulte lui-même d'une intervention humaine, sauf évidemment les catastrophes naturelles : la Grande Peste de la fin du Moyen-Age et le SIDA d'aujourd'hui, ou les famines exterminatrices comme on en trouve en Occident jusque dans l'Irlande des années 1840 et en Afrique Noire contemporaine.
L'évenement ne procede pas nécessairement d'une stratégie cohérente, élaborée à l'avance et complaisamment exposée au public, telle le "Mein Kampf" de HITLER. Il s'agit souvent de simples erreurs humaines, notamment des erreurs d'exécution : GROUCHY arrive en retard à WATERLOO et NAPOLEON se fait battre par la ponctualité germanique du maréchal BLUCHER.
C'est souvent aussi une exécution qui échappe au contrôle du décideur. Conseillé par les GUISE, le jeune CHARLES IX veut décapiter l'état-major du Parti Huguenot : le bon peuple de Paris se régale d'une Saint-Barthélémy généralisée aux voisins de palier.
En mai 1968, une banale histoire de cantine à l'Université de Nanterre débouche sur un conflit total de société qui s'acheve miraculeusement par un week-end d'Ascension et se solde, apres coup, par ce qui n'était pas réellement en jeu : les accords salariaux de Grenelle ultérieurement réglés par la dévaluation du franc.
Plus souvent c'est la vision du monde qui est à mettre en cause : par exemple la doctrine catholique du prêt à intérêt, la gloire du roi, l'idéal révolutionnaire de 1793 ou de 1917, la "manifest destiny" du peuple américain, allemand, juif ou arabe.
"Etranges aveuglements ou célestes vérités", comme on dit dans le "POLYEUCTE" de CORNEILLE, ces visions politiques reposent sur l'un ou l'autre des postulats suivants :
- "Je suis seul, le monde extérieur n'existe pas" (conception chinoise de l'Empire du Milieu, opposition entre la civilisation et la barbarie);
- "Je suis le plus puissant, j'impose ma loi" (divers impérialismes);
- "Dieu m'inspire ou je raisonne rationnellement, pour tout l'univers, donc tout autre doit suivre mon raisonnement".
Chaque vision du monde, chaque systeme de valeurs trop exclusivement incorporé dans des institutions et des comportements comporte en lui-même ses risques d'implosion interne et d'agression externe.
Le principal risque qui menace l'économie résulte de cela même qui lui donne un sens : c'est la vision politique. C'est vrai pour la gestion des états, c'est également vrai pour la gestion des entreprises.
B- DES VARIABLES?
Sur le fond permanent des comportements humains se tisse l'infinie variété des situations temporaires. Peut-on caractériser des typologies de risques politiques? peut-on surtout les affecter à des périodes historiques données?
Il semble, de notre point de vue, que la révolution des Temps Modernes, commencée si l'on veut avec l'essor de la Renaissance au XV° siecle, constitue une coupure assez nette dans la genese et la diffusion des risques politiques.
1°) Dans l'ancien régime du risque politique :
* les structures sont fondamentales et changent tres lentement. Depuis la sédentarisation du Néolithique, l'économie rurale sédentaire est la base de la survie et de la richesse : les structures sociales (démographie, habitat, relations entre groupes, valeurs) et politiques (territoire, frontiere) lui sont liées.
* les risques politiques sont essentiellement endogenes : conflits de proximité, crises de subsistance...
* les facteurs externes sont modestes : tres peu d'échanges commerciaux lointains; les guerres sont au plus pres, contre la tribu ou le seigneur proche.
Il y a évidemment perturbation profonde quand l'intervention étrangere est massive (grandes migrations de la fin de l'Empire Romain et du premier Moyen-Age), et aussi quand elle est systématiquement répétée (incursions des pirates barbaresques en Méditerranée, des Normands dans la mer du Nord, des Turco-Mongols dans l'est de l'Europe).
* les chances de recours sont modestes : ni le château-fort, ni les monasteres ne sont des abris sûrs; les victimes spoliées se dédommagent elles-mêmes. L'assurance n'existe pas et la charité reste embryonnaire.
2°) Le risque moderne
Des la fin du Moyen-Age, mais surtout à partir de la seconde moitié du XVIII° siecle, les facteurs de risque politique changent d'assiette et d'intensité.
* extension des espaces incorporés dans l'assiette du risque :
La révolution des transports (marine) et la production industrielle étendent les zones de contact. Cela se traduit par des phases successives d'expansion européenne : découverte et exploration de l'Amérique (les Conquistadores, Jacques CARTIER et l'Amérique du Nord; plus tard la ruée Yankee vers l'Ouest) intensification des échanges avec l'Asie (Vasco de GAMA, MAGELLAN, plus tard colonisation de l'Inde, guerre de l'opium, ouverture forcée du Japon).
* le rythme :
L'investisseur mondial reste pendant longtemps un personnage purement théorique. Son existence commence à se manifester avec les grandes Compagnies de commerce et les spéculateurs de la Rue Quincampoix, puis au XIX° siecle avec les emprunts lancés pour les grands travaux.
Pour cet investisseur, le rythme des changements politiques ne tarde pas à apparaître trop rapide au regard de la sécurité à long terme : faillite des Grandes Compagnies, des assignats révolutionnaires, de Panama, des emprunts russes....
3°) Le risque contemporain
La période contemporaine la plus récente est marquée par :
* un nouvel élargissement géographique par l'aménagement de vastes espaces jusque là périphériques. la globalisation progressive du risque traduit cette expansion mais aussi le changement de perspective : le systeme mondial devient acteur et victime du risque;
* la multiplication des acteurs autonomes : par accroissement du nombre d'acteurs traditionnels (états, organisations internationales), et apparition d'acteurs plus ou moins informels (acteurs infraétatiques, forces politiques et sociales transnationales);
* la diversification en profondeur de ses origines, notamment du fait de la multiplication des acteurs, mais aussi par l'incorporation de facteurs nouveaux : la prise en charge par la politique de nombreux éléments autrefois négligés par la politique ou régulés sans politique par la société. Tout est ou peut devenir politique : les ressources et le mode de production, le mode de vie.
* la rapidité de genese et de diffusion des risques, phénomene largement lié à la rapidité des transports et encore plus à la rapidité des moyens d'information.
Le point difficile pour toute réflexion historique, est celui de la chaîne qui va des facteurs de fond (ou des tendances longues) à la situation de crise et à l'évenement. C'est un point également essentiel pour toute politique du risque.
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