Au milieu du XIXème aucune règle ne fixait les conditions de travail des salariés qui se trouvaient à disposition de l'employeur. Le travail de la terre restait la référence. Le problème s’est posé lors du passage à l'industrialisation. Des médecins et philanthropes ont protesté très tôt (voir l'enquête de Villermé,1840) relayés par le combat politique et syndical. Dès lors s'est élaborée une législation réglementant le travail des enfants, des femmes, le travail de nuit et la durée du travail a diminué.
Si on tient compte des horaires réels et des congés payés, les Français de 1985 travaillaient à mi-temps par rapport à leurs ancêtres de 1885.Tout ceci entraîna opposition et protestation de la part des patrons. Il est d'ailleurs frappant de relever la similitude de discours et d'arguments entre le Medef d'aujourd’hui et le patronat de la fin du XIXème :"compétitivité menacée par la journée de 12h","on utilisera du charbon anglais et il n'y aura plus de travail pour les Français"... La diminution du temps de travail s'est accélérée depuis 1950 : à cette date sa durée réelle atteignait 50 h alors que la durée légale était fixée à 40 h. En 30 ans, les Français passèrent de 50 à 40h de durée réelle, en même temps qu'augmentait le nombre des jours de congé.
Pourquoi légiférer?
En abaissant la durée légale à 39 h en 1982, le gouvernement socialiste souhaitait poursuivre cette évolution. Mais depuis, la situation est restée la même alors que d'autres pays voyaient la durée du travail diminuer par la concertation (cf. la métallurgie en Allemagne, passée de 40 à 35h en 1995 après 10 ans de négociations). D'où le raisonnement de certains économistes : pour que diminue la durée réelle du travail, il faut en abaisser la durée légale. Mais sur le terrain politique et contractuel, cela s'est mal engagé : en octobre 1997, le patronat a claqué la porte lorsque les syndicats, la CGT surtout, ont présenté l'objectif des 35 h comme celui de la durée réelle du temps de travail. Cependant, sur le terrain, de nombreuses négociations étaient en cours : beaucoup d'accords de réduction du temps de travail déjà signés et présentés comme des "accords Aubry"- ont été négociés grâce à la loi Robien de 1996. Celle-ci attribue des subventions aux entreprises qui diminuent le temps de travail tout en créant (ou en préservant) des emplois..
Débats mouvementés autour de la 2ème loi Aubry
Votée en 1998, la première loi Aubry a abaissé la durée légale (d'ici 2000) et encouragé les négociations (par branche, par entreprise) en maintenant des dispositions de type Robien. La deuxième loi est en cours de discussion ; elle prend en compte la question des heures supplémentaires, le SMIC, le cas des cadres...Une partie de la gauche souhaite en profiter pour encadrer davantage le marché du travail. La droite exprime les protestations des entreprises craignant la hausse des coûts ; elle a du mal à s'exprimer au Parlement, mais elle est relayée par le Medef qui incarne ici l'opposition. Le conférencier détaille quelques-uns de ces points, soulignant que le gouvernement a souci de ne pas aggraver les charges des entreprises et qu'il s'inscrit même dans la démarche d'allègement des charges sur les bas salaires (comme les gouvernements Balladur et Juppé).
Prenons les heures supplémentaires actuellement, les entreprises ont droit à 130 h par an, environ 2 h par semaine ; pour qu'elles puissent amortir le passage aux 35 h, elles seraient autorisées à augmenter ce contingent (180 h autorisées pendant 2 ans). La surtaxe pesant sur les heures supplémentaires serait réduite provisoirement (10% au lieu de 25). Autre point : le coût du SMIC horaire va-t-il réellement être enchéri de 11.4% pour que le smicard, payé à l’heure, ne soit pas pénalisé en ne faisant plus que 35 h au lieu de 39 ? Cela se discute.
Compliqué et bureaucratique
Le projet de loi prévoit néanmoins une compensation financière de 4500 F par emploi pour les entreprises ayant signé un accord "35 h réelles". B. Brunhes pointe les inconvénients d'un système qu'il voit compliqué et bureaucratique par ailleurs: signer un accord est difficile pour la majorité des petites entreprises qui n'ont pas de syndicats d'autant que "les patrons ne sont pas chauds". Et une partie de la gauche (et des syndicats) va exiger que l'aide financière ne soit attribuée que si des emplois sont créés.
Quant au "temps de travail des cadres", il paraît absurde de s'exprimer ainsi à propos de salariés qui ne comptent pas leur temps! Il faut raisonner en jours de congés supplémentaires (la loi va fixer leur nombre alors que le patronat demande la liberté d'appréciation).
Les cadres tenus en " laisse électronique "
Au passage, le chef d'entreprise qu'est B. Brunhes se réjouit d'un "progrès considérable": ici, la loi va introduire plus de souplesse et clarifier la situation des cadres qui travaillaient officiellement 39 h, et bien davantage en réalité. Car l'organisation du travail pousse les cadres à la surcharge, en France comme ailleurs : la conception horizontale des relations multiplie leurs interlocuteurs et ils sont sollicités à tout moment par le biais de la "laisse électronique" (Intranet, portable).Après avoir relaté quelques exemples concrets d'aménagement du temps de travail, le conférencier exprime des réflexions personnelles en réponse aux questions des étudiants. Il voit dans "les 35 h" une façon d'échanger du temps libre contre de la flexibilité et l'occasion d'un rattrapage vis-à-vis d'autres pays. Les partenaires sociaux faisant assaut de conservatisme, l'intervention de l'Etat est inévitable : en France, on a du mal à négocier sans son impulsion. Il semble adhérer à l'idée de partage du travail, insistant sur le fait que l'économie française crée structurellement du chômage (plus de 150 000 personnes supplémentaires par an avec un progrès de 2 à 3% de productivité). Or on n'a trouvé pour l'instant comme réponse que l'entrée tardive des jeunes sur le marché du travail et le retrait de "vieux" de plus en plus jeunes. Il ne pense pas pour autant que la réduction du temps de travail va créer des emplois à court terme, en tout cas pas d'emplois faiblement qualifiés. Et il insiste sur la nécessité d'une période transitoire.
Notes de Liliane-Edith Kaercher, professeur Regards sans frontières novembre 1999 3
COMPLEMENTS TRAVAIL, CHOMAGE, EMPLOI