Le XXIeme siecle a commencé prématurément, le 9 novembre 1989, avec la chute du mur de Berlin, de même que le XIXeme siecle avait débuté, en avance, le 14 juillet 1789, et le XXeme, en retard, le 3 août 1914.
La France a mal réussi son entrée dans ce siecle nouveau...
I. La France, à reculons dans ce XXIeme siecle?
Des 1989, les dirigeants français ont accumulé erreurs et décisions à contre-temps. D'abord à propos de la réunification, qu'ils s'efforcerent de retarder, en misant sur un refus soviétique en train de s'effriter, et en allant conforter un régime communiste est-allemand déjà moribond. Tandis qu'une abondante littérature s'efforce d'accréditer une version toute différente, des témoignages de plus en plus nombreux viennent confirmer les faux-pas de la France.
D'autres erreurs majeures furent commises à propos de l'Union soviétique, particulierement flagrantes lors du putsch de Moscou en août 1991. Elles procédaient d'une mésestimation profonde du sens et de la portée de la politique tentée par Gorbatchev et persisterent jusqu'à l'effondrement de l'URSS.
Dans l'ex-Yougoslavie la France a contribué à laisser combats et atrocités se prolonger durant plus de quatre ans, et à rendre manifeste l'incapacité de l'Europe. L'instauration d'une nouvelle politique dans l'été 1995, a permis, grâce à l'intervention de l'OTAN et des Etats-Unis, de mettre fin aux combats, même s'il reste à trouver une solution aux problemes de fond.
II L'économie française à contresens du nouveau siecle.
Des 1981 la politique économique de la France s'inscrivait à contresens de l'évolution déjà manifeste en Europe et dans le monde. Apres une breve tentative de relance par la consommation, qui mit en péril le maintien dans l'ensemble communautaire, on est passé à une politique d'un " classicisme " anti-inflationniste rigoureux. Les résultats furent tres positifs quant à la maîtrise de l'inflation et au rétablissement de la balance du commerce extérieur. Mais ses effets déflationnistes se firent sentir par le recul de la demande intérieure et l'accroissement du chômage.
D'autre part, en 1981 était lancé un vaste programme de nationalisation des banques d'affaires et de divers grands groupes industriels. C'était aller à contre-courant de l'évolution du monde occidental, où la tendance était à la privatisation. Les aléas de la vie politique amenerent ensuite une nouvelle vague, limitée, de privatisations, puis un gel de la situation jusqu'en 1993 (ni nouvelles nationalisations, ni nouvelles privatisations): ceci ne fit qu'accentuer le retard de la France, à un moment où la privatisation gagnait les pays en développement, ainsi que l'Europe centrale et orientale, apres l'écroulement de l'empire soviétique.
Enfin, en 1989-91, la France jouait avec l'Allemagne un rôle moteur dans la négociation du Traité de Maastricht, étape nouvelle majeure de l'Europe communautaire, puisqu'il vise à doter celle-ci d'une monnaie unique, présentée comme devant être " plus forte que le dollar ", et comme apte à faire de l'Europe la premiere puissance industrielle et commerciale. Mais le traité, d'inspiration libre-échangiste voire " laissez-fairiste ", reste muet sur l'Est du continent, en train d'émerger du communisme. Il semble de même ignorer que cet Euro ne pourra être stabilisé que par ses rapports avec l'étalon monétaire mondial, le dollar, lui-même flottant. L'économie française et européenne se sont lancées sur une piste incertaine...
III Comment les Institutions se pervertissent
Depuis 1958, pour la premiere fois dans son histoire, la France était dotée d'institutions lui donnant un exécutif fort et assurant le jeu de la démocratie. Le peuple souverain a le pouvoir d'élire, non seulement les parlementaires, mais aussi le chef de l'exécutif, c'est-à-dire le Président de la République. Il a aussi ainsi la possibilité de se prononcer sur les questions de fond, par la pratique du referendum. Le Président élu en 1981 a paru poursuivre parfois des fins peu conformes à l'intérêt général et au respect des lois et de la démocratie (affaire des " écoutes téléphoniques ").
A deux reprises, en 1986 et 1991, apparaît la pratique nouvelle de la " cohabitation ", d'un Président et d'un Premier Ministre de tendances opposées. Un proche de la mouvance gaulliste avait, des 1983, argumenté qu'une telle formule serait conforme, non seulement à la lettre, mais aussi à l'esprit de la Constitution de la 5eme République bien que le fondateur de celle-ci eût déclaré explicitement que " la dyarchie au sommet de l'Etat est inacceptable ". En fait, heurtée ou paisible, la cohabitation se traduisit à chaque fois par une paralysie au moins partielle de l'exécutif, et par une recrudescence des rivalités politiciennes.
Pour faire admettre à l'opinion cette dégradation des institutions, on fit valoir qu'à insister pour obtenir le retrait du Président, on mettrait en danger les institutions. Or, il existait un précédent: en 1924, le Président Millerand, en conflit avec une nouvelle majorité parlementaire, avait été contraint à la démission en moins de six semaines, sans qu'il eût crise de régime.
IV. Ces Princes qui nous gouvernent.
Si les élections présidentielles de 1995 rétablissent l'unité politique de l'exécutif, on voit, assez curieusement, persister certaines formes de " cohabitation ". Ce qui révele dans la classe politique, le désir grandissant d'échapper aux contraintes de la Constitution de 1958. Celle-ci, lorsque son esprit est respecté, impose à la coalition perdante de séjourner dans l'opposition pour de longues années, comme c'est le cas dans les démocraties libérales fonctionnant bien: Angleterre, Etats-Unis, Allemagne. En revanche, des formules telles que la " cohabitation ", permettent de revenir plus rapidement au pouvoir, quitte à le partager et à le fragiliser. C'est en somme un retour vers les moeurs politiques de la 4eme République.
Tout se passe comme si la société française restait de type féodal, avec ses castes et ses clans, et les luttes farouches de ceux-ci pour l'extension de leurs privileges, sans grand souci de l'intérêt général. On s'efforce de faire admettre la chose par l'opinion, en cherchant à lui faire croire que c'est elle qui est lasse des affrontements droite-gauche et de l'alternance Il en résulte qu'une partie croissante de l'électorat ne voit plus d'autre perspective de choix véritable, que dans le Front National.
Une réforme en profondeur de la vie politique suppose donc de profonds changements dans le comportement des élites. Il est vrai que l'éducation qu'elles reçoivent leur apprend avant tout à accomplir des performances solitaires, dans un pays réputé pour son individualisme. Alors qu' il n'est aujourd'hui de salut que dans le travail en équipe...
V. Un Occident à la recherche de ses reperes.
Lorsqu'implosa le monde soviétique, l'Occident s'imagina qu'il s'agissait de sa propre victoire, c'est-à-dire du triomphe de l'économie de marché et de la démocratie libérale. Il en concluait que tous ces pays ex-communistes allaient se rallier plus ou moins rapidement à ces deux concepts. A présent, les choses se révelent moins simples. Si certains de ces états se sont mis en route vers le modele occidental, pour d'autres, notamment pour la Russie, l'évolution est bien moins évidente.
Toutes les révolutions que le monde a connues - aux Etats-Unis, en France, en Russie - se sont déroulées sur deux ou trois décennies avant d'aboutir à des situations d'équilibre, souvent tres éloignées des objectifs et des motivations qui les avaient déclenchées. Il est donc prématuré et illusoire de prétendre fixer son point d'arrivée à cette Révolution à l'Est.
Au même moment l'Occident, apres trente années de prospérité, aborde une phase de mutation, probablement plus profonde encore que celle qu'il connut lors de la " révolution industrielle " du XIXeme siecle
VI. Les Etats-Unis, superpuissance unique, mais fragile?
La disparition de l'Union soviétique fait des Etats-Unis l'unique superpuissance, qui a aussitôt revendiqué le leadership mondial, et qui l'exerce dans les faits: pendant la Guerre du Golfe, ou de celle de Bosnie, ou encore lorsqu'elle impose à tous l'élargissement de l'OTAN.
Pourtant, cette superpuissance est contestée, elle rencontre des obstacles, et se heurte à des interlocuteurs qui lui tiennent tête -comme la Chine ou l'Iran- voire à des adversaires qui, même de peu de poids, l'obligent à reculer, ainsi en Amérique latine ou en Somalie. Sur le plan interne, des éléments de fragilité apparaissent, qu'il s'agisse du terrorisme, importé ou autochtone, ou de la fracture sociale, tandis que son probleme racial n'est toujours pas réglé.
Sur le plan économique, l'Amérique se fait le super-champion du libre-échange, auquel elle s'est convertie qu'en 1945- au moment où elle devenait la puissance économique dominante en Occident. Elle le fait en s'étant octroyé depuis 1972 un atout sans précédent, sa monnaie étant désormais l'étalon de toutes les autres, ce qui la dispense de toute discipline monétaire. Apres quelques années de crise, elle a retrouvé une remarquable prospérité, bien qu'une partie croissante de sa population vive dans la pauvreté. Le modele de société vers lequel elle entraîne l'Occident semble donc être celui d'un " nouveau capitalisme sauvage ", contre lequel des voix commencent à s'élever, y compris celle d'un parfait produit de ce capitalisme, Georges Soros.
VII. L'Europe de Maastricht: ouverture sur l'avenir, ou sur le passé?
De son côté, l'Europe communautaire s'emploie à mettre en oeuvre le traité de Maastricht, et avant tout son volet monétaire. A l'approche de l'échéance du 1er janvier 1999, des difficultés se font jour, ainsi que des doutes quant aux conséquences. Certains se demandent si, en voulant créer une monnaie européenne à l'image du Deutsche Mark, on ne s'est pas fondé sur un modele qui eût été parfait lors des " trente glorieuses ", mais qui est peut-être périmé, comme le donnent à penser les difficultés que rencontre désormais l'économie allemande? D'autres craignent que les mécanismes prévus par le traité, conjugués au libre-échange et à la mondialisation, ne portent atteinte aux acquis sociaux que l'on prétend sauvegarder.
La plupart des responsables répondent en réaffirmant leur volonté de s'en tenir au Traité. Alors que la Conférence Intergouvernementale ouverte depuis 1996 fournissait l'occasion de de compléter le traité sur divers points fondamentaux, on n'a pas su saisir cette occasion.
- en ce qui concerne les pays de l'Est que l'on envisage d'admettre dans l'Union, sans avoir prévu aucun mécanisme de transition vers l'économie de marché, par exemple par l'instauration d'un Plan Marshall nouvelle maniere -qui permettrait aussi d'atténuer la crise à l'Ouest.
- Ainsi, à propos de la " stabilité " de l'Euro, dont le traité semble considérer qu'elle ira de soi, alors qu'elle n'a de sens que dans son rapport avec le dollar, et que rien n'a été prévu pour amorcer un tel dialogue.
- Quant au modele social européen, que les mécanismes prévus ne peuvent qu'éroder, rien d'efficient n'est prévu pour en assurer la protection, pourtant hautement proclamée.
VIII. Avons-nous encore besoin d'une Défense?
Maastricht a proclamé une " politique extérieure et de défense commune ", qui ne s'avere pas autre chose qu'une simple déclaration d'intention. Or, il s'agit là de questions essentielles, sur la plupart desquelles les Européens sont profondément divisés. Que doit être la politique de défense de la France? Si la menace " soviétique " a disparu, les arsenaux nucléaires dont a hérité la Russie, restent énormes. Ce qui justifie amplement la reprise momentanée, en 1995, de nos essais nucléaires, afin de maintenir, ou de rétablir la crédibilité de la dissuasion française.
De même, la réalisation d'une force de projection plus efficace, entierement professionnalisée, répond aux nécessités du monde actuel et de la place de la France dans celui-ci. En revanche, la suppression du service national, remplacé par un caricatural " rendez-vous citoyen " constitue une faute majeure, qu'il serait encore temps de réparer. Elle laisse le pays démuni devant une des menaces les plus redoutables des prochaines décennies: le terrorisme, en nous privant des effectifs nécessaires, immédiatement disponibles, le jour où s'imposerait la mise sur pied rapide d'un plan " Vigipirate " de grande ampleur. Elle prive le pays d'un ultime moyen d'aider à l'insertion sociale des éléments les plus démunis de sa jeunesse. Enfin, elle créera un divorce entre l'armée et la Nation, en signifiant à tous que la défense du pays n'est plus l'affaire de tous les citoyens, mais celle d'un groupe restreint de professionnels et de volontaires.
* * *
C'est sur ces éléments tres contrastés que la France entre dans le XXIeme siecle. On peut se demander si elle n'a le choix qu'entre le déclin, ou l'explosion. A moins que ne surgisse de son sein un véritable homme d'Etat, ayant la vision, la volonté et le charisme nécessaires pour la sortir de ce dilemme...
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