Puisque toute politique et toute économie proviennent en dernière analyse de phénomènes sociaux profonds, on peut demander aux sociologues leurs réflexions sur les origines de l'ordre et du changement.
Tout sociologue bien né reconnaîtra le caractère central d'une telle interrogation, énumèrera les différentes écoles de pensée, c'est à dire les divergences sur les domaines inventoriés, les méthodes d'analyse, les conclusions et les justifications théoriques des conclusions.( )
En quoi consiste l'ordre et comment se maintient-il?
- le leadership et l'autorité légitimée d'un chef, relayés par la force, la dissuassion ou la contrainte physique exercée par les dominateurs; en contrepartie, la soumission des dominés par aversion de la violence ou besoin de sujétion au Père et au Général-miracle.
- le conformisme moral: "political correctness" aux Etats- Unis; l'acceptation de valeurs transcendantes( Dieu, la Patrie, le Parti, la Raison...).( )
- l'ensemble des volontés individuelles manifestées par des contrats, des règles communes : principes généraux, droit, modalités d'arbitrage, le recours à un principe d'entente supérieur (ex: le conflit Haut Adige-Sud Tyrol réglé dans le cadre de la CEE, la fédération yougoslave...avant 1990), la loi et le contrat respectés par connivence et consentement.
- la convergence des intérêts, l'habitude d'actions réalisées en commun.
- le poids des structures, des systèmes, des habitudes acquises, la mémoire collective ?
- le plaisir d'être ensemble (libido) ou la force mystérieuse du "holisme" qui constate que le tout est supérieur à la somme des parties, que nul élément autonome (individu, institution, fonction) ne survit en dehors de son milieu et qui débouche sur la fraternité et la solidarité.
L'ordre est potentiellement dangereux quand la part de désordre n'est pas, d'une manière ou d'une autre, intégrée dans un ordre supérieur; ou quand l'ordre majoritaire perd le sens de la mesure et impose sa conception à l'ensemble de la population et de la personne humaine (totalitarisme) ou à des voisins plus faibles (impérialisme). Il suscite alors la crise, le conflit, le changement violent.
Dans son livre, par ailleurs remarquable, Jean François REVEL avait prévu en 1983 "Comment finissent les démocraties". Relire aujourd'hui cet ouvrage montre que les changements politiques ne correspondent pas toujours aux évolutions apparentes. Les démocraties n'ont pas nécessairement retenu la leçon de vigilance mais l'adversaire redouté a eu le bon goût de disparaître avant elles.
Qu'est-ce qui fait bouger les sociétés et donc suscite risques et opportunités? On peut s'appuyer pour simplifier sur l'archipel des huit themes prospectifs proposé par B.CAZES ( ): quatre themes de l'ordre économique (ressources, travail, techniques, croissance) et quatre de l'ordre socio-politique (population, idees et valeurs, institutions et règles, comportements).
a) les facteurs externes à la sphère politique
La technologie, la pression démographique, les échecs ou succès de l'économie modifient les champs d'application de la politique ainsi que l'identité et le comportement des acteurs.
* les techniques, notamment les techniques militaires, de production, de communications;
* la compétition économique entre systèmes (par exemple: systèmes de propriété, de production...), entre acteurs (pour le contrôle des marchés de ressources ou de clientèles), effets mécaniques pervers des systèmes (marchés des changes, marchés de dérivées et futures);
* les mouvements sociopolitiques : pression démographique, systèmes de valeurs et de modes de vie, compétition de pouvoir entre collectivités ou communautés.
b) les facteurs internes à la politique
* l'évolution des idees
* le comportement des acteurs : dynamique du jeu politique, actions et réactions;
* le fonctionnement des systèmes politiques, notamment de régulation ( arbitrages divers, règles du jeu politique, modes de négociation), mais aussi les mécanismes d'alliances, les stratégies et tactiques de pouvoir.
c) Réforme et révolution
L'accumulation de facteurs de changement crée un déséquilibre qui peut rester latent pendant des années (Union Soviétique entre Khrouchtchev et Gorbatchev) ou peut déboucher sur une crise avec ou sans conflit ouvert (rôle de l'évènement déclencheur de désordre ou de rupture).
Si les potentiels de changement sont assez faciles à repérer et à décrire en scénarios possibles (analyse de risque politique), la prédiction de l'évènement reste utopique.
L'ordre facilite la stabilité des opérations de routine qui, si elles sont bien conçues, peuvent lentement accumuler du progrès.
Le changement est facteur d'opportunités et de risques. Mais c'est le plus souvent le désordre, changement mal contrôlé, qui crée les dommages, notamment les dommages politiques.
L'absence d'ordre ne se traduit pas nécessairement par la révolution : le plus souvent les révolutions débouchent assez rapidement, par renouvellement de la légitimité, sur un ordre plus rigoureux qu'auparavant( ).
Les démocraties occidentales, mais aussi avec une toute autre ampleur les régimes issus du communisme, semblent plutôt menacés par l'entropie, c'est à dire la dégradation des conditions d'équilibre politique:
a- le pouvoir entravé
Corporatisme, politiques catégorielles, les effets néfastes du marketing politique par segmentation;
L'absentéisme, la marginalisation (Lumpenproletariat, Underclass).
b- le pouvoir détourné
Fraude, corruption, ingérence, népotisme, détournement, abus de pouvoir;
Les enquêtes parlementaires et de presse (Washington Post, Canard Enchaîné); les "petits juges" de France et d'Italie.
Pour acquérir le pouvoir par les media, les hommes politiques ont besoin d'argent, de trop d'argent. Beaucoup ont perdu leur âme en jouant du pipeau ou du violoncelle.
c- le pouvoir combattu
La critique idéologique, assassinat politique, terrorisme, guérilla, révolution.
Toutes ces formes de malaise social, éventuellement entretenues par des facteurs externes de déstabilisation, portent atteinte aux facteurs essentiels d'efficacité collective : l'adhésion incontestée à des projets clairement visibles, la capacité de coordination et de régulation souple des différends.
La contractualisation de la société par Alain Supiot ((conférence Université des savoirs)L'idée s'est affirmée en occident depuis deux siècles que le contrat serait l'aboutissement indépassable d'un progrès historique arrachant l'Homme aux sujétions des statuts pour le faire accéder à la liberté.Un mouvement irrésistible nous conduirait à un monde où chaque individu ne portera pas d'autres chaînes que celles qu'il se fixe à lui-même.Mais le contrat n'est pas cet universel abstrait qu'on se plaît à imaginer : sa signification varie selon les cultures, les époques, et les contextes juridiques. Le contrat n'est pas davantage cette pure relation binaire entre personnes égales, à quoi on croit pouvoir le réduire: il implique une foi commune en un Garant des pactes. Dès lors la contractualisation de la société ne signifie certainement pas une libération totale des individus. Elle est plutôt le symptôme du déclin des États et d'une "reféodalisation" du lien social.Les responsabilté et ses transformations (responsabilités civiles et pénales). par Geneviève Viney(conférence Université des savoirs)Apparu à la fin du XVIIIème siècle, le mot responsabilité n'a été transposé du vocabulaire de la morale à celui du droit qu'au XIXème.Ses origines ont d'ailleurs profondément marqué l'institution qu'il désigne. Celle-ci a en effet été soumise, dans ses deux composantes, civile et pénale, à des conditions telles que la faute, l'imputation, l'imputabilité, qui sont directement issues de la morale individuelle. Mais l'adaptation progressive de ce concept à un usage strictement juridique a provoqué la transformation et même, dans certains cas, la disparition de ces conditions au profit de la prise en considération d'un objectif qui tend à devenir largement prépondérant : l'apaisement du trouble social provoqué par le dommage injuste. Or cette orientation qui a marqué le droit civil (réparateur) comme le droit pénal (répressif) explique une double évolution : tantôt l'une des deux disciplines - celle qui est le moins bien armée pour combattre efficacement le trouble constaté - tend aujourd'hui à s'effacer, donnant ainsi à l'autre une importance et un relief particuliers. Tantôt elles s'épaulent mutuellement, le droit pénal cherchant à favoriser la réparation et le droit civil à aider la répression.
Les fonctions rituelles de la justice par Antoine Garapon (conférence Université des savoirs)Les formes rituelles de la justice ont-elles un avenir ? Ne sont-elles pas que le vestige de l'enfance du droit dont il a dû se libérer pour atteindre au statut de langage rationnel ? Ce n'est pas ce que semble indiquer au moins trois tendances actuelles.Les formes du procès ordinaire sont délaissées au profit des modes alternatifs de règlement des conflits comme la médiation ou la conciliation qui ne sont pas sans sécréter leurs propres formes symboliques. Celles-ci ne s'apparentent plus au rituel mais à la cérémonie dans le sens où elles ne prennent plus en charge la reproduction de l'ordre du monde.Mais, dans le même temps, on voit réapparaître une demande sociale forte pour mettre en scène de " grands procès " lors de catastrophes collectives (comme celle du sang contaminé). C'est moins la faute qui y est mise en scène pour y être réprouvée qu'une responsabilité objective. Ces procès prennent en charge la part tragique de la condition humaine mais en en chassant toute transcendance.Notre époque a vu, enfin, cinquante ans après le procès de Nuremberg, revivre l'idée d'une justice internationale pour témoigner sa réprobation du crime contre l'humanité ? La scène de la justice anticipe une communauté politique et morale entre les nations, qui peut-être n'existe pas encore.
N'assiste-t-on pas ainsi à la naissance d'un "théologico-juridique", tant au niveau intime qu'au niveau interne ou international, qui aurait en charge d'administrer la transcendance d'un monde commun dans notre ère individualiste
COMPLEMENTS:
TABLE DE LA SOCIETE Société sur Internet Sciences sociales sur Internet Diversité juridique des nations
TABLE OPINIONS ET CULTURES Conflits: prévention et résolution Conflits civils
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