Le conférencier se situe d'emblée dans la réalité contemporaine, et les éléments d'histoire proche qu'il nous rappelle sont ceux qui nous permettent de mieux comprendre le présent. Point de retour aux sources ou à la théologie ni même l'évocation de la survenance du terme protestant, de ces "protestataires" à l'encontre des décisions de Charles Quint en 1529 s'efforçant dans le terrible 16ème siècle de conserver son autorité à l'Empire contre Luther.
Les sources d'un mythe
Près d'un demi-millénaire plus tard "il y a en France un mythe protestant". Petite minorité de moins de 2,5 % de la population, les protestants n'ont jamais cessé de jouer une influence discrète mais réelle, comme un écho affaibli de leur brillante période d'avant la révocation de l'Edit de Nantes (1685) avec "un tiers des familles nées" et des moyens financiers et militaires en conséquence. Si en France, on se défie en règle générale des minorités, celle-ci est très particulière et agissante presque en sous main. On la retrouve dans des postes de gouvernement avec une fréquence inhabituelle, par exemple avec Necker, puis Guizot sous Louis-Philippe ; sous la troisième république elle a détenu avec Wellington (1879) un gouvernement majoritairement protestant ; Jules Ferry et ses proches collaborateurs mettent en place le système d'éducation républicain ; entre les deux guerres, Gaston Doumergue et tant d'autres. Avec la Vème république les cabinets ministériels leur ont appartenu pour 15 à 20 % d'entre eux. Comment expliquer une telle influence dans le cadre institutionnel, mythe ou réalité ?
Le protestantisme : "Chef d'oeuvre en péril mais victoire posthume " ...
Le conférencier développe sa thèse : le protestantisme en tant que fait religieux subit une régression importante à l'instar des autres religions, mais les idees qu'il a présentées et défendues sont en passe de s'imposer. Quel paradoxe ! : "les valeurs de la société sont d'essence protestante ... aujourd'hui la France est un pays protestant peuplé de catholiques" ! Quelle est l'architecture d'un tel succès ?
Malgré l'hémorragie de la Révocation de 1685 avec l'exode de 3 à 400 000 personnes et bien que l'Edit de tolérance de 1787 n'ait pas suscité le retour de leurs descendants, les protestants français ont maintenu leur position, aidés en cela par un niveau d'étude très considérablement supérieur à la moyenne nationale et une certaine accumulation capitalistique. Ironie de l'histoire : en leur interdisant les charges publiques dans le passé le pouvoir les a dispensés de s'y ruiner en les achetant. Ils se sont en revanche lancés dans les affaires, apprenant avant les autres les règles du marché et les métiers de la banque, alors que les catholiques peu à l'aise avec le maniement des taux d'intérêt végétaient. Aujourd'hui encore, ils sont "surreprésentés" dans la bourgeoisie, la haute fonction publique, la classe dirigeante, les banques d'affaires, l'industrie où ils entrent grâce aux diplômes des grandes écoles ; au départ, ils ont correspondu avec les huguenots expatriés, acquérant des vues internationales et le sentiment d'un au-delà de l'action. Actuellement, ils se montrent "plus européens" que la moyenne. Dans le domaine des valeurs politiques, leurs options sont plus modernes, "plus actuelles" et mieux en phase avec les dominantes internationales. Ennemis des extrêmes, ce sont des décentralisateurs nés, ils prônent les valeurs de la laïcité, la défense des minorités ou des persécutés ; on les a vus dreyfusards avant tous les autres et aujourd'hui ardents propagandistes des "droits de l'homme". Prisonniers des idéologies extrémistes lors de la dernière guerre, ils ne furent jamais des partenaires rassurants ; vis à vis de Vichy, ils étaient tout le contraire de ce régime et cible favorite de Mauras ; en Allemagne, en 1940-1945 puis en R.D.A., ils n'ont jamais renoncé dans leur majorité à saisir les occasions de se conduire selon leur conscience.Certes, il se trouve des protestants dans tous les camps tel que, par exemple, en Alsace, au F.N. parmi les viticulteurs luthériens mais dans leur ensemble ce sont de profonds démocrates, plutôt de centre-gauche, favorables à des discussions ouvertes sur toutes choses plutôt que de s'en remettre à des chefs. En revanche, cette passion d'indépendance et de liberté ne va pas sans division ni désordre. Les protestants sont profondément partagés entre de nombreuses tendances (15 églises en France) trop connues pour qu'on y revienne, depuis les à priori des fondateurs, Luther, Calvin et tant d'autres, sans oublier les Anglicans outre-Manche issus de la mauvaise humeur d'Henri VIII. Les pasteurs, élus et révocables, ont une autorité fragile. "Ce qui leur manque c'est un pape", s'amuse le conférencier !
En réalité, le facteur proprement religieux est en déclin et n'échappe pas à la règle qui frappe l'ensemble des religions. Si les protestants ont perdu tout espoir de reconquérir un rôle religieux qui pourtant n'est plus contesté dans notre pays, leurs idéaux, valeurs et convictions ont pénétré le champ des idees et des pratiques. "Victoire posthume" pourrait-on dire !
Europe et protestantisme
"L'Europe d'aujourd'hui est protestante alors qu'en 1960 avec les Gasperi et les Schuman, elle était vaticane". Elle l'est en nombre et en prospérité avec les pays du nord, le Royaume-Uni, l'Allemagne (50 %) même si avec l'élargissement qui se prépare les pôles dominants vont se déplacer vers l'Est. Dans ce contexte, les protestants français, faibles en nombre mais efficaces aux leviers de commande sont, comme on l'a vu, à la pointe des tendances modernes en matière économique (libéralisme) politique (décentralisation, communication, européanisation) culturel (laïcité, autonomie personnelle, libres discussions) et ils constituent un lien pertinent avec les nations pionnières en Europe, sinon avec les U.S.A. (chez lesquels les catholiques hispaniques gagnent du terrain). En se gardant de toute idéalisation outrancière, ce sont eux les mieux placés pour proposer une synthèse entre un monde anglo-saxon et un monde rhénan, et trouver une solution française, qui ne serait pas le repli gallican ...
Notes d’Henri Douard Regards sans frontières février 1999
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