I. - Avec la fin de la guerre froide, les conflits apparus au sud dans les quinze dernières années ne se sont pas ralentis.
On assiste de 1975 à 1980 à une prolifération des conflits périphériques liés aux grands problèmes internationaux : fin du "cycle vietnamien", décolonisation portugaise en Afrique australe, question du Sahara espagnol, révolution et implantation soviétique en Ethiopie, guerre civile libanaise, guerre opposant Tamouls et Cinghalais au Sri-Lanka, révolution en Iran invasion de l'Afghanistan...
Ces foyers de guerre entretiennent alors des conflits de basse intensité fondés sur l'utilisation d'un potentiel militaire relativement limité mais mettant en jeu à un haut degré les populations civiles et entraînant l'apparition de flux de réfugiés massifs. Constants et stables durant dix ans, ils sont interprétés comme la reproduction de conflits de guerre froide. Leur dimension idéologique et géostratégique fait que partout il y a implication directe ou indirecte des grandes puissances. Et, même si cette participation Est-Ouest a été largement surévaluée, il était logique d'attendre à la fin des années 80 un dépérissement naturel de tels conflits locaux. Or, non seulement il n'y a pas eu amélioration, mais on les a vus évoluer, souvent empirer, et se multiplier (Liberia, Somalie, etc...).
D'où ce premier constat : il n'y a pas d'amélioration automatique à attendre du seul fait que les grandes puissances se retirent (voir Ethiopie, Cambodge...) et la communauté internationale va devoir déployer autant d'effort à essayer de guérir ces conflits qu'elle en a mis pendant 15 ans à les entretenir ou à les aggraver !...
2. - Mais ces conflits ont changé à la fois dans l'analyse qui en est faite et dans leur nature même.
a) Les facteurs locaux et historiques se voient réévalués. Les réalités intrinsèque reprennent le pas sur les critères idéologique d'essence Est-Ouest qui les avaient souvent déguisées. On avait déjà vu, dans l'exemple éthiopien, que la valse des alliances jouée par Américains, Soviétiques et Israéliens n'avait pu changer la nature du conflit ni celle de l'antagonisme très ancien existant entre les Erythréens et l'ensemble abyssin ; et que, pour la compréhension des événements, il fallait se référer, plus qu'aux raisons idéologiques, à la façon dont historiquement s'étaient constituées les deux identités érythéenne et éthiopienne. De même aujourd'hui au Tadjikistan le conflit, plutôt que d'opposer "néo-communistes" et "islamo-démocrates", se rapporte en fait à des clivages ancestraux de nature géographique et économique. On constate aussi la réapparition de facteurs de longue durée font de leur identité et à la manière dont ils la protègent.
b) Les économies de guerre se transforment. Dans les années 80, les guérillas opéraient à partir des bases arrières que constituaient, aux frontières, les camps de réfugiés arrosés par l'aide internationale. L'existence de ces "sanctuaires humanitaires" ont largement contribué à la stabilisation d'un certain nombre de conflits à basse intensité qui se sont trouvés équilibrés autour de ces ressources. On observe aujourd'hui la destruction de ces formes d'économie de guerre .
La guérilla, privée de son aide extérieure, n'en dépérit pas pour autant, mais a tendance à accroître sa pression sur les populations et à fonder son économie sur la prédation et la criminalisation (c'est le cas notamment du renamo privé de son soutien d'Afrique du Sud)..
c) Les mouvements se morcellent et de radicalisent. Dans la mesure où aucune idéologie ne les cimente plus et où la prédation et la criminalisation leur permettent de se développer, ils trouvent avantage et profits à s'émietter en "P.M.E. de guerre" autonomes. Face à cette tendance assez générale (Sud soudan. Somalie, Mozambique...) et pour éviter leur éclatement - les mouvements se durcissent. (exemple de Savimbi en Angola). Un autre type de radicalisation concerne ces guérillas jusqu'à présent marginales, isolées, sans composante Est - Ouest, non reconnues par l'aide internationales, et qui arrivent aujourd'hui sur le devant de la scène se trouvant rétrospectivement adaptées à une situation nouvelle qu'elles avaient en quelque sorte anticipée... C'est le cas du Sentier Lumineux au Pérou, de certains mouvements indianistes, des Tigres tamouls, de la nouvelle armée populaire au Philippines, du parti communiste au Kurdistan turc (PKK), etc...
3 - La transformation de ces nouveaux conflits rend très difficile la réponse internationale.
Le morcellement aboutit à l'absence d'interlocuteur. La radicalisation, touchant aux valeurs même du dialogue international, rend l'échange sur base politique extraordinairement complexe. La fragilisation du cadre étatique et le couplage Etat mou/Etat violent aggravent la situation. La réponse internationale en est rendu très difficile. Dans les anciens conflits de guerre froide, elle consistait à mettre en place des opérations destinées à restaurer la paix et les conditions de fonctionnement démocratiques des Etats. Vigoureuse dans les régions stratégiques (Salvador, Cambodge...), plus faible ailleurs (Angola, Mozambique) voire nulle (Afghanistan), son efficacité dépend alors des moyens que la communauté internationale y consacre. Dans les nouveaux contextes de la guerre, là ou la réponse humanitaire normale est dans l'impasse, force est aux Etats d'intervenir. Ils peuvent le faire dans le cadre de la violations massives des droits de l'homme. Le gouvernement français a cru bon cependant de créer un concept nouveau : le droit d'ingérence. Ce "droit", au sens du droit international humanitaire, n'existe pas. Il se réduit à trois déclarations de l'ONU et à deux résolutions du Conseil de Sécurité (sur le Kurdistan et la Somalie). En fait, il conduit à la possibilité d'obtenir, au sein du système des Nations-Unies -tel qu'il existe et fonctionne aujourd'hui - le vote d'une intervention militaro-humanitaire qui risque de se révéler comme un faux semblant...
Résumé de Francis Plateau Lettre d'Avril 1993
COMPLEMENTS TABLE DE POLITIQUE INTERNATIONALE
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