Synthèse et recommandations
La question de la mesure des performances des services publics n'est pas nouvelle, mais les réformes intervenues récemment dans le domaine des services publics en réseau imposent de repenser l'information nécessaire à leur régulation.
Il s'agit pour les pouvoirs publics de garantir que le marché concurrentiel nouvellement créé est équitablement organisé, que les missions de service public, sont bien assurées et financées, de connaître la manière dont se répartit la richesse créée dans le secteur suite à la réforme, de motiver dans les débats publics et devant les instances européennes les décisions et les arbitrages, enfin d'apprécier l'évolution dans le temps des services offerts ou de comparer les niveaux des prestations offertes dans les différents espaces nationaux ou locaux. Ainsi, l'information, structurée autour d'indicateurs de référence fiables, apparaît tout à la fois comme un instrument de pilotage de la réforme, un élément essentiel du débat public sur les grands enjeux de ces réformes et enfin la base des négociations de contractualisation entre les différents acteurs.
Comme l'illustrent les premières évaluations de la réforme menées dans le secteur des télécommunications (voir sur ce point le document de synthèse de l'autorité de régulation des télécommunications en annexe 6), cette information constitue l'ossature même de la régulation.
Deux questions principales se posent dans un tel contexte. De quels indicateurs a-t-on besoin ? Quel doit être le rôle du régulateur dans la production de ces indicateurs, production dans laquelle se trouvent impliqués de nombreux acteurs aux préoccupations et exigences diverses en matière d'instruments de mesure ?
Plusieurs catégories d'indicateurs répondant aux multiples interrogations que soulève la régulation doivent être définies.
Une première catégorie très classique répond aux questions sur l'impact des réformes, en termes d'efficacité des opérateurs et du dynamisme du marché. Elle regroupe des indicateurs techniques de productivité globale ou partielle et des indicateurs de marché qui paraissent, à première vue, assez simples à concevoir et à manipuler. On retrouve là des indicateurs de prix et de coût, des indicateurs financiers traduisant le positionnement de l'entreprise ou des entreprises sur le marché, permettant d'apprécier notamment la valeur créée par les entreprises. Plus généralement, l'évaluation de la performance des réformes s'apprécie également par rapport aux grandes transformations du secteur considéré : le partage de la valeur ajoutée au sein du secteur qui apporte des informations sur la répartition des gains ou des pertes entre les différentes parties prenantes ; le traitement des différentes catégories de clientèle ; les évolutions des positions de marchés (le degré d'intégration horizontale et verticale du secteur, les parts de marché des opérateurs, l'internationalisation et la diversification sectorielle des opérateurs), ainsi que le renouvellement de l'offre.
Deux autres catégories d'indicateurs sont indispensables : une première pour apprécier l'adéquation entre le service fourni et ce qui en est attendu par les consommateurs ;
une seconde pour évaluer la mise en œuvre des missions de service public définies par la collectivité. Ces indicateurs doivent rendre compte des impacts des services publics en réseau sur l'ensemble du système économique et social, et de la manière dont ils contribuent à l'exercice de missions générales : contribution plus ou moins forte à l'aménagement du territoire et au développement économique ; contribution à la cohésion sociale à travers des dimensions de démocratie, d'équité et de solidarité ; contribution à une politique de développement durable et enfin, contribution à une politique de l'emploi.
À ces trois catégories d'indicateurs, s'en ajoute une quatrième qui concerne l'évaluation de la régulation elle-même. Cette évaluation passe par la mise en place de procédures ayant pour mission, d'une part, d'évaluer régulièrement la capacité du régulateur à faire converger le marché vers les objectifs qui lui ont été fixés par le Gouvernement, d'autre part, d'apprécier si le coût de la régulation reste proportionné aux bénéfices que la société en retire. Cette évaluation qui pourrait être envisagée tous les cinq ans, devrait porter son attention notamment sur le niveau de transparence des procédures de décision de l'autorité de régulation, la nature des critères et la qualité des informations utilisées pour motiver ses décisions, la rapidité des décisions, etc. Le régulateur indépendant se trouvera mis progressivement au centre du processus de production et de diffusion de l'information. C'est lui qui devrait naturellement être chargé d'évaluer tant l'impact des réformes que la conformité des services aux objectifs de service public.
Deux procédures de production d'information devraient être envisagées par le régulateur.
* La première procédure, standardisée et validée par les pouvoirs publics, définirait les indicateurs élémentaires sur l'ensemble des domaines de performance et fixerait le rythme de leur publication. Entreraient dans ce cadre les indicateurs ne nécessitant pas un travail de traitement spécifique de l'information, ainsi que les enquêtes de satisfaction menées régulièrement auprès des consommateurs, ou encore le suivi statistique d'indicateurs mesurant le coût et la disparité de l'accessibilité géographique et sociale des services. Le régulateur en charge de la qualité de ces indicateurs de référence, révisables sur les propositions d'une commission statistique placée auprès du régulateur, devrait obtenir du législateur l'ensemble des moyens nécessaires humains, financiers, juridiques, pour mener à bien cette tâche.
*Une seconde procédure, plus souple, devrait être conçue pour traiter de manière beaucoup plus approfondie des dossiers comme ceux relatifs à la cohésion sociale ou à l'aménagement du territoire de manière à compléter les grilles normalisées régulièrement alimentées dans le cadre de la première procédure. Cette seconde procédure nécessitant des études ou des enquêtes plus lourdes pourrait chaque année être lancée sur un thème particulier. Ensuite, l'efficacité de la régulation suppose que cette information, chaque fois que cela est possible, soit rendue publique. Cette transparence permettrait aux débats contradictoires de s'instaurer entre les différentes parties et de satisfaire aux différents besoins d'information émanant des opérateurs eux-mêmes, des pouvoirs publics, de l'ensemble des acteurs et du grand public. L'ensemble de ces données ainsi que leur commentaire devraient figurer dans le rapport d'activité mis en ligne sur Internet.
Par ailleurs, l'évaluation des performances doit être comprise comme une action concertée. Ceci suppose déjà d'associer les consommateurs au processus de l'évaluation des performances, l'impact global des réformes se mesurant en grande partie par les gains qu'en retireront l'ensemble des consommateurs privés. Ceci est notamment vrai parce qu'ils sont les destinataires du service universel et que, dans une période transitoire plus ou moins longue selon les secteurs, ils resteront captifs des opérateurs historiques.
Il paraît dès lors impératif qu'ils participent, dans le cadre des comités consultatifs à créer auprès du régulateur, à la définition des services comme à leur évaluation. Cela peut être assuré de multiples manières. Une d'entre elles peut être l'établissement par les consommateurs de chartes dans lesquelles seraient précisées certaines règles et certaines normes en matière d'information, de transparence, ainsi que différents éléments de qualité de service, voire des procédures d'indemnisation lorsque le service est mal rendu. Par ailleurs, la mesure de la performance passant nécessairement par la mise en œuvre et la publication régulière d'enquêtes de satisfaction des usagers, il paraît souhaitable, notamment pour assurer la transparence et la crédibilité de ces procédures, que les consommateurs soient associés à la préparation des questionnaires. L'évaluation concertée suppose également de coordonner les différentes institutions de régulation en matière d'évaluation des performances. Le régulateur indépendant, lorsqu'il existe dans un secteur, ne constitue qu'un élément de la régulation, celle-ci étant assurée par un ensemble d'institutions diverses.
Les instances communautaires contribuant à créer un cadre d'évaluation commun, il paraît indispensable que les régulateurs nationaux participent à ce type de réflexion dans le cadre des coopérations qu'ils seront nécessairement amenés à développer à l'échelle européenne. Il est souhaitable que cette concertation s'étende enfin aux collectivités locales qui, en raison de leurs compétences en matière de services publics locaux, contribuent très largement à la définition et à l'évaluation des performances de ces services. Il paraît dès lors souhaitable que le régulateur s'appuie sur l'expertise disponible au niveau local, et que les collectivités locales puissent être associées à l'évaluation elle-même. Bien souvent, ce sont en effet ces collectivités locales qui sont amenées à fixer dans le cahier des charges préalable à l'octroi des concessions, la qualité des produits et des services, les conditions dans lesquelles ces services doivent être assurés, les dispositifs en matière de prestations sociales ou d'aménagement local, etc. Cette collaboration sera facilitée du fait que les autorités locales disposent d'outils de concertation et d'information développés. Les commissions consultatives des services publics locaux, la publicité des documents relatifs à l'exploitation des services publics délégués, les consultations des populations avant la création des nouveaux services, la création de comités d'usagers, les enquêtes de satisfaction sont autant d'outils qui contribuent à une démocratisation du processus de régulation qu'il serait difficile, voire impossible de réaliser au seul échelon national.
L'évaluation passe enfin par l'adaptation permanente de l'outil de production de l'information. Il est important que, sous l'autorité des régulateurs, se constituent de véritables observatoires des marchés, auxquels seraient associés l'ensemble des acteurs du secteur. Le régulateur devrait donc travailler en concertation avec tous ceux qui peuvent contribuer à adapter les instruments de mesure à des évolutions très rapides des marchés, ainsi qu'aux interrogations des acteurs et des pouvoirs publics. La production, l'organisation et le traitement de l'information relative aux secteurs devraient être organisés conjointement avec les organismes qui fournissent déjà des données comme l'INSEE, ou certains services des ministères en charge de ces secteurs. Si cette collaboration présente bien des avantages et doit être encouragée, elle ne doit pas se faire pour autant au détriment du régulateur qui devrait disposer en interne, d'une capacité réelle d'expertise sur l'ensemble des données produites et de moyens financiers suffisants pour financer ses propres études ou enquêtes. Par ailleurs, il paraît également indispensable que puisse se constituer auprès du régulateur un groupe de travail permanent émettant un avis régulier sur la qualité des statistiques et les besoins d'information. Ce groupe de travail devrait associer non seulement les opérateurs du secteur et les administrations concernées par le secteur mais plus largement des représentants des élus locaux et des consommateurs. De tels groupes de travail, en assurant un contrôle sur la qualité des données et la réactivité du système de production des données face aux interrogations des acteurs, constitueraient un élément décisif de la régulation.
1. L'élaboration d'indicateurs de mesure de la performance
13.5.1. La mesure des performances : une tâche délicate
En raison des enjeux industriels, économiques, sociaux, culturels et éthiques portés par les réseaux de services publics, les autorités en charge de la régulation de ces secteurs et les gouvernements doivent pouvoir compter sur un ensemble d'instruments pour mesurer les performances de ces réseaux. De tels indicateurs sont plus généralement indispensables pour établir des contrats entre les autorités organisatrices du service et le ou les agents économiques en charge de sa réalisation, pour définir plus précisément les missions de service public, rendre compte et motiver dans les débats publics les décisions et les arbitrages qui seront pris par les instances de régulation, pour construire des outils de gestion dans les entreprises, etc. Ces indicateurs doivent permettre également d'apprécier l'évolution dans le temps des services offerts ou de comparer les niveaux de prestations dans les différents espaces nationaux ou locaux.
Toutefois, les problèmes posés par la mesure des performances économiques et sociales des réseaux de services publics ne se réduisent pas aux seules considérations techniques sur l'élaboration des indicateurs. Il y a tout d'abord une ambiguïté sur le terme de " performance ". Considère- t-on la performance de l'entreprise qui délivre le service ou la performance du service effectivement rendu ? Considère-t-on les effets de court terme ou de long terme ? S'attache-t-on aux indicateurs financiers ou à des considérations plus techniques ? Par ailleurs, si certains éléments d'un service paraissent faciles à apprécier comme le délai d'attente pour un raccordement sur un réseau, par contre, l'évaluation de la contribution d'un service à l'aménagement du territoire ou à la cohésion sociale constitue un exercice très périlleux et pourtant indispensable.
Ensuite, on doit s'interroger sur les difficultés rencontrées pour appréhender l'efficacité dans les services. De nombreux travaux économiques entrepris sur cette question montrent combien il est difficile de transposer des indicateurs classiques de productivité conçus dans des schémas industriels sur des activités de service. Il est déjà difficile d'apprécier correctement l'activité elle-même, difficulté qui provient du fait que la relation de service est un processus complexe entre un prestataire et celui ou ceux qui en sont les destinataires. L'appréciation de la performance ne peut donc se limiter, pour les services, à une approche en termes de productivité qui supposerait d'avoir affaire à des objets autonomes aisément identifiables et dénombrables. Même si les services peuvent être caractérisés par des codifications, des standardisations et des procédures normalisées par exemple, ils ne s'y résument pas. L'utilité d'un service, et donc la richesse produite par un service, se mesure par l'adéquation d'une production à des besoins spécifiques qui ne s'apprécient pas seulement par un volume de production.
Enfin, la mesure des performances suppose d'avoir défini préalablement les objectifs de l'évaluation. La question de la mesure des performances des services publics, question aux multiples facettes, n'a de sens en effet que rapportée à la personne ou à l'institution qui se la pose et aux objectifs qui sont les siens. Ces questions sont nombreuses : S'agit-il du gouvernement qui prend la décision de lancer ces réformes ? S'agit-il de l'État, actionnaire public de certaines entreprises qui souhaite apprécier la performance de l'opérateur historique ? S'agit-il de l'État qui doit veiller, au nom des prérogatives qui sont les siennes, à la qualité et à la densité des services effectués dans le secteur ? S'agit-il des collectivités locales qui, contractualisant avec un opérateur public ou privé, souhaitent définir des indicateurs de qualité de référence afin de les imposer ? S'agit-il des consommateurs qui militent pour une meilleure prise en compte des exigences de qualité de service ? etc. Ces différentes interrogations conduisent à privilégier des grilles d'analyse souples autorisant des questionnements multiples à divers niveaux de régulation.
Plusieurs familles d'indicateurs peuvent dans ces conditions être retenues. La mesure des performances ou de l'efficacité des opérateurs, passe très souvent par des indicateurs de productivité. Ces indicateurs consistent à rapporter le résultat d'une production (bien ou service) à l'un des facteurs de production ; on parlera alors de productivité partielle ou apparente (productivité apparente du travail ou du capital). Ces indicateurs que l'on peut multiplier permettent d'apprécier l'efficacité des opérateurs relative à ces différents facteurs et de suivre les efforts d'efficacité d'un même opérateur dans le temps. Toutefois, si cette première approche est indispensable à toute évaluation de la performance des opérateurs et notamment à toute politique de maîtrise des coûts, elle reste limitée. Déjà, l'évaluation correcte de la productivité doit impérativement prendre en compte l'ensemble des moyens de production (que ce soit le travail, la consommation intermédiaire, les équipements, etc.). C'est dans ce but, qu'ont été développées, dans le cadre de la théorie du surplus, des méthodes dites de surplus de productivité globale. Ces méthodes qui trouvent leur origine dans les travaux de P. Massé et A. Vincent seront systématisés par le Centre d'étude des revenus et des coûts (CERC) pendant près de vingt ans. Elles visent à évaluer la richesse qu'une entreprise peut produire à partir d'une organisation donnée et à décrire comment cette richesse est ensuite répartie entre les différents acteurs économiques (par des évolutions de prix, de coût ou de rémunération) . Ces comptes de surplus, dont l'encadré suivant montre un exemple, autorisent de nombreuses analyses et donnent une vue synthétique de toutes les relations effectives de l'entreprise avec ses partenaires ainsi que de son propre fonctionnement. Compte global de surplus : création et répartition du surplus (image manquante)
Relations exprimées en pourcentage de la production de l'année précédente Source : documents du Centre d'étude des revenus et des coûts (CERC), " La productivité globale et comptes de surplus ", n° 55/56, 1980, p. 72
Cet outil avait été proposé en son temps pour aider les décideurs publics à mesurer la performance de l'entreprise publique, cette mesure devant pallier dans le secteur non marchand l'absence de critères de marché. Cet outil devait également éviter de réduire l'analyse de la performance au cadre étroit de la seule productivité apparente du travail qui pouvait conduire à de graves erreurs en matière de gestion des effectifs et qui n'appréhendait pas correctement le fait qu'il existe d'autres gisements de productivité que le travail. Au-delà de la simple mesure, ces méthodes étaient enfin conçues pour être un outil de négociation de l'État avec l'opérateur historique. Elles permettaient par exemple de suivre la répartition des surplus créés par l'entreprise entre les différents acteurs du secteur. Cette analyse garde aujourd'hui toute sa pertinence alors que les pouvoirs publics souhaitent apprécier au cours des réformes les évolutions de ces gains et notamment ceux distribués aux consommateurs. La méthode du surplus global de productivité a ainsi joué un rôle important dans le cadre des négociations en matière de politique des revenus en liant l'augmentation des rémunérations aux gains de productivité. Cette méthode a été appliquée à partir des années 1970 dans quatre entreprises publiques : Charbonnages de France, EDF, Gaz de France et SNCF. À la SNCF par exemple, les calculs de surplus ont été effectués de 1970 à 1995 (annexe 7).
Mais, ils ont été interrompus depuis pour plusieurs raisons.
D'abord, l'interprétation des résultats est parfois délicate. Ainsi, le supplément de richesses créé par le personnel dépend de l'ensemble des facteurs, comme l'investissement, et ne doit pas forcément lui être restitué mais être réparti entre tous les partenaires de l'entreprise.
Ensuite, la dissociation des valeurs en volumes et en prix pose des problèmes d'arbitrages difficiles à résoudre nécessitant le recours à des conventions. Ces conventions ont des effets particulièrement importants sur les postes comme ceux des immobilisations et de leurs amortissements, les acquisitions ayant eu lieu à différentes périodes. Par ailleurs, le montant du surplus dépend de la ventilation adoptée pour les produits et les charges.
Enfin le nouvel outil comptable par domaine d'activités mis en place par la SNCF (1996), puis la réforme du système ferroviaire de 1997, avec la création de Réseau ferré de France (RFF) n'ont pas permis de poursuivre l'utilisation de la méthode. Le cadre d'analyse se heurte à plusieurs obstacles Déjà, dans les services publics, certains services rendus sont rarement identifiés précisément, définis, dénombrés et encore moins valorisés. Si cela est surtout vrai pour les services non marchands comme l'éducation, la santé, la défense, cela peut l'être aussi pour certains services publics en réseaux. Ensuite, si les principes de mesures de productivité et de partage du surplus sont simples dans le principe, leur mise en œuvre est plus délicate, car le système d'information contient de nombreuses lacunes, le coût de leur collecte étant parfois rédhibitoire.
Malgré ses avantages, la complexité des calculs et des conventions retenues, ainsi que les difficultés d'interprétation des résultats constituent des handicaps sérieux pour utiliser la méthode des surplus de productivité globale comme indicateur de performance. Par ailleurs, cet outil, se limitant à l'évaluation de l'efficacité économique du processus de production du service, n'apprécie qu'un élément particulier des questions posées par les pouvoirs publics, il n'aborde ni la réalisation des objectifs fixés par les autorités publiques, ni la satisfaction des usagers, ni les effets de ce service sur le reste de la société, etc., ceci supposant le développement d'outils plus appropriés. Il reste que la démarche consistant à analyser les bénéfices que retirent d'un gain d'efficacité les différents partenaires de l'opérateur est très importante pour apprécier l'impact des réformes. Il est intéressant de tenter de le poursuivre avec des outils adaptés.
13.6. Les multiples approches de la performance
La dynamique des industries de réseaux s'inscrit aujourd'hui dans un vaste processus de mutation, ces industries basculant peu à peu d'une situation traditionnelle de secteur protégé sur leur périmètre national vers celui de secteur exposé à des réformes pro-concurrentielles. La question de la performance dans les débats publics se pose à plus d'un titre. Elle se pose pour les opérateurs eux-mêmes, leur inefficacité étant souvent dans certains pays un des arguments en faveur des réformes entreprises. Elle se pose enfin, parce que dans le contexte d'une économie globalisée, plus ouverte, dans laquelle se développent de nouveaux services, la sensibilité des différents acteurs aux facteurs de compétitivité ou de bien-être s'est accrue. Le jeu des comparaisons internationales, qui deviendra d'une certaine manière plus pressant avec la réalisation de l'union monétaire, prend alors une place déterminante dans les débats. La situation dans chacun des secteurs s'améliore-t-elle ? Qui profite des réformes ? La situation dans un pays est-elle préférable à celle existant dans les pays voisins ? Trois grandes catégories d'indicateurs permettront de telles comparaisons. Une première catégorie très classique regroupe des indicateurs techniques de productivité globale ou partielle et des indicateurs de marché qui paraissent, à première vue, assez simples à concevoir et à manipuler (ces indicateurs apprécient l'efficacité économique du processus de production). Une seconde catégorie renvoie à des considérations plus larges, plus difficiles à maîtriser que la première et fait donc l'objet de contestations plus fortes : ces indicateurs apprécient l'adéquation entre ce qui est produit et ce qui est attendu du service par les consommateurs et la collectivité. Enfin, la troisième catégorie concerne l'évaluation de la régulation elle-même : le coût de la régulation est-il proportionné aux avantages globaux que la collectivité en retire ?
13.6.1. L'efficacité économique des services
Des indicateurs techniques intégrant la qualité de service Les analyses présentées dans les rapports et la littérature économique se concentrent autour des indicateurs classiques que sont les prix, la productivité et le coût des facteurs de production. Si la définition de ces indicateurs, parfois spécifiques à chaque secteur, se heurte parfois à des difficultés méthodologiques qui obligent à prendre quelques précautions, ils sont un préalable indispensable à l'analyse de la performance. Pour ce qui concerne l'analyse de la productivité des facteurs, celle-ci doit éviter de porter sur un indicateur unique de productivité. Sans entrer forcément dans la complexité de la méthode des surplus de productivité globale, il paraît important de retenir dans le même esprit plusieurs ratios de productivité de manière à analyser correctement les performances relatives des opérateurs. Par ailleurs, lorsqu'une amélioration de productivité peut être repérée, la question se pose de savoir si celle-ci provient d'une rationalisation effective de l'utilisation des facteurs de production ou si elle provient d'une seule diminution de leurs coûts. Ce point mérite d'être précisé, car il constitue une des grandes difficultés à laquelle se heurtent les évaluations comparées des réformes, le coût des facteurs de production pouvant être, au départ de la réforme, très différent d'un pays à l'autre en raison des statuts des personnels, de l'organisation du travail, des subventions de certaines matières premières, des conditions d'accès au capital, des protections dont peuvent bénéficier certains fournisseurs, etc. Pour ce qui concerne les comparaisons de prix entre pays ou le suivi des prix dans un même pays, une des difficultés principales consiste à trouver des procédures pour prendre en compte correctement la diversification des produits, les comparaisons de prix d'un bien ou service n'ayant de sens que s'il s'agit des mêmes biens et services. Le prix d'un bien ou d'un service a pu ainsi augmenter dans tel ou tel pays sans qu'il faille nécessairement conclure à une dégradation de la situation du consommateur tout simplement parce que ce bien intègre davantage de qualité ou de services. Par ailleurs, la diversification des tarifications à laquelle on assiste aujourd'hui, et qui se renforcera à l'avenir, impose au minimum de distinguer dans les analyses les grandes catégories de clientèles et de préciser les différenciations des prix entre territoires lorsqu'elles existent. La notion de performance de ces industries ne se réduit pas à la seule dimension des coûts et des prix notamment parce que de nombreux utilisateurs attendent un renouvellement et une diversification des services offerts. Ainsi, l'évolution de la demande vers des services diversifiés et personnalisés conduit à dépasser des approches trop frustes se limitant à des indicateurs d'activité, et oblige à construire des indicateurs d'activité intégrant des éléments plus qualitatifs. Cette approche multidimensionnelle, plus qualitative, difficile à normaliser et devant être précisée au cas par cas, correspond à une très forte attente des pouvoirs publics et des consommateurs. Il paraît important que des études soient menées sur ce point car la question du niveau de la qualité se pose dès que l'on cherche à comparer la situation des consommateurs dans plusieurs pays, ou dans différentes zones d'un même pays ou lorsque l'on cherche à évaluer l'évolution de la situation des consommateurs dans le temps. La difficulté méthodologique est incontournable, les indicateurs ne pouvant quels que soient leur nombre et leur finesse épuiser la question de la qualité. Toutefois, cette difficulté n'est pas rédhibitoire. Des tentatives pour mettre au point des indicateurs de ce type ont vu le jour dans chacun des secteurs. De nombreux exemples existent et jouent déjà depuis longtemps un rôle important en matière de régulation, que se soit au niveau local comme le montrent par exemple les indicateurs utilisés par les collectivités locales en matière de distribution électrique ou de transport collectif urbains ou encore, au niveau national, dans les différents contrats de plan État-Entreprises. Des indicateurs de marché À ces indicateurs s'ajoutent des indicateurs financiers traduisant le positionnement de l'entreprise ou des entreprises sur le marché. On retrouve dans cette catégorie les grandes variables financières qui permettent d'apprécier notamment la valeur créée par les entreprises (maison mère ou groupe). Parmi les nombreux indicateurs qui sont généralement utilisés, il paraît important de bien analyser la capacité d'autofinancement des entreprises (cash-flow). En effet, cet indicateur décrit non seulement la capacité des opérateurs à investir et leur capacité à se transformer pour évoluer dans le sens des objectifs politiques imposés au marché, mais décrit également leur vulnérabilité si cette capacité de financement est insuffisante au regard de celles de leur principaux concurrents. Ainsi, le régulateur devrait veiller tout particulièrement à la part de la valeur ajoutée consacrée à alimenter les capacités de financement et analyser la manière dont ces dernières sont utilisées. Par ailleurs, l'analyse de la performance du secteur, dans son ensemble et sur le long terme, suppose également un suivi des caractéristiques du marché. Ces caractéristiques comprennent la croissance, en valeur et en volume du secteur et les différents marchés spécifiques qui le composent ainsi que la structure de ces marchés et notamment celle du degré de concentration. La performance du secteur ne s'apprécie pas seulement par les indicateurs d'efficacité de production des entreprises, car il faut au préalable que les marchés fonctionnent correctement et qu'ils ne soient pas le lieu de pratiques anti-concurrentielles pouvant conduire à interdire l'entrée sur le marché, ou à exclure du marché, des entreprises plus efficaces que celles qui y restent. Ces indicateurs, constituent un premier socle, une première strate de l'analyse. Il convient toutefois de ne pas en rester à cette approche dans la mesure où les questions posées en matière de performance sous-entendent bien souvent d'autres dimensions qu'il convient de prendre en compte.
Des indicateurs pour élargir le champ de l'analyse
Plusieurs autres dimensions doivent impérativement être prises en compte. Dans le domaine des services, la dimension relationnelle est une dimension importante du service lui-même et mérite d'être traitée en tant que telle. L'analyse de la performance doit alors se concentrer sur l'interface entre le prestataire et le client dans la mesure où celle-ci détermine largement le jugement global que le client va porter sur la qualité même du service. Cette dimension relationnelle se décline de manière sans doute très différente selon les secteurs, mais elle joue un rôle d'autant plus important que le prestataire du service se trouve en situation de droit exclusif sur le marché, la concurrence n'étant pas là pour faire pression sur le comportement du prestataire. La performance d'un secteur suppose également d'observer sa capacité à innover. Ce point doit être intégré dans une grille d'analyse dans la mesure où il renvoie au principe d'adaptabilité du service public. Se prononcer sur l'adaptabilité future du secteur suppose de prendre en compte des éléments comme par exemple les orientations stratégiques prises par les entreprises, les efforts à moyen et long terme en matière de recherche et développement pour l'adaptabilité du service rendu, l'avenir du service à long terme. La performance d'un service c'est aussi sa capacité à se développer et à se moderniser. L'innovation technologique constitue également, notamment sur le long terme, un indicateur décisif pour apprécier les réformes. Néanmoins, compte tenu de la forte vitesse avec laquelle se fait l'innovation dans certains secteurs, il a été unanimement admis que la construction d'indicateurs significatifs dans ce domaine était extrêmement difficile à appréhender. Pour le faire, l'ART a retenu, par exemple, la diversification des services, et la différence de niveau technologique entre deux dates. Toutefois un phénomène aussi qualitatif ne peut évidemment pas être très bien cerné par quelques chiffres ; aucun indicateur d'innovation technologique véritablement pertinent ne fait véritablement consensus. La prise en compte des activités de " recherche et développement " (par le suivi de la part du chiffre d'affaires consacré à la R & D par exemple) souvent retenue pour apprécier des processus d'innovation, a été critiquée. Si certains recommandent ce type d'indicateur (la part du cash-flow utilisée en R & D) et suggèrent d'inclure des contraintes sur ce ratio dans les licences délivrées par le régulateur, d'autres estiment au contraire que ces indicateurs sont insuffisants pour rendre compte la complexité des processus d'innovation, et que les contraintes introduites sur ces ratios risquent de devenir une barrière à l'entrée dans le secteur. De manière générale, les indicateurs dans ce domaine devraient être différenciés selon les étapes de développement des réseaux, les exigences en matière de R & D pouvant être sensiblement différentes selon que l'on se place en phase de démarrage ou en phase de maturation du réseau. Les services publics en réseau ont des impacts sur l'ensemble du système économique et social. Ils contribuent à l'exercice de missions générales relevant pour la plupart des prérogatives de l'État et nécessitent, de ce fait, une attention particulière du régulateur. Sans être exhaustif et sans chercher à les détailler, il convient de préciser quatre de ces missions : ces services contribuent d'une manière plus ou moins forte à l'aménagement du territoire et au développement économique ; ils contribuent également à la cohésion sociale à travers des dimensions de démocratie, d'équité et de solidarité ; ensuite, certains de ces services peuvent participer à une politique environnementale voire de développement durable ; enfin, la dernière dimension concerne l'emploi, sachant que les entreprises en charge de ces services, et notamment les monopoles historiques, représentent une part significative de l'emploi national.
Pour chacune de ces missions générales, il est possible de distinguer systématiquement deux types d'analyse. La première analyse concerne les effets directs obtenus au moment de la prestation du service. Il faudrait donc pouvoir définir chaque type de prestations de service à l'aide de nomenclatures relativement fines.
La seconde analyse, au contraire, concerne les effets indirects du service. Ces effets indirects sont sans doute plus intéressants parce que correspondant mieux aux préoccupations des pouvoirs publics, mais ils sont aussi beaucoup plus difficiles à repérer, parce que plus diffus. Apprécier ces impacts de manière pertinente suppose de mesurer des effets plus complexes que les seuls effets directs (qui sont déjà difficiles à préciser). Par exemple, en matière d'emploi, les études doivent évaluer pour être pertinentes, non seulement, les emplois créés par les opérateurs, mais également ceux créés dans l'ensemble du secteur ainsi que ceux induits dans les autres secteurs. La difficulté d'interpréter ces effets diffus se trouve de plus renforcée par le fait que les impacts analysés résultent bien souvent de multiples variables entre lesquelles il est souvent difficile de faire la part des choses. Par exemple, certains effets en matière d'efficacité sociale doivent parfois être imputés à un état d'esprit du personnel ou à des conventions collectives informelles qu'il est difficile de formaliser précisément. Comment appréhender de manière chiffrée la contribution du service à la réduction des inégalités territoriales, ou encore à la réduction des inégalités sociales ?
13.6.2. Les indicateurs de la transformation
L'évaluation de la performance des réformes s'apprécie également par rapport aux grandes transformations du secteur considéré. Celles-ci se déclinent en quatre grandes catégories : le partage de la valeur ajoutée au sein du secteur, le traitement de la clientèle, les modifications des positions de marchés ainsi que le renouvellement de l'offre. Les indicateurs relatifs au partage de la valeur ajoutée apportent des informations sur la répartition des gains ou des pertes entre les différents parties prenantes de la production du secteur, en intégrant notamment le partage entre les salaires et les profits, et la part qui est finalement reversée aux consommateurs finals. Ces indicateurs sont indispensables pour apprécier si la situation s'écarte ou non des objectifs politiques retenus au moment des réformes. Les indicateurs relatifs au traitement de la clientèle sont d'une toute autre nature. Ils cherchent à décrire l'impact de la réforme sur l'ensemble de la clientèle ou sur différentes catégories de clientèles. Les indicateurs à mettre en place sont assez difficiles à établir notamment en raison des changements permanents qui peuvent survenir dans le secteur. Il s'agit notamment d'indicateurs qui caractérisent les pratiques des opérateurs en matière de différentiation des produits et de segmentation de la clientèle. Parmi ces pratiques, les comportements en matière de tarification représentent un point décisif puisque très souvent ces réformes ont remis en cause les logiques tarifaires uniformes qui prévalaient. Il s'agit également d'indicateurs permettant de suivre les qualités des produits proposés et les services qui leur sont associés. Enfin, pour apprécier si ces évolutions vont dans le sens des consommateurs, il est important de rendre compte des contestations venant de la clientèle et de la manière dont sont traités les conflits. Pour finir, l'analyse des transformations du secteur conduira les régulateurs à observer plus précisément les modifications des structures du marché et les stratégies des entreprises. Parmi plusieurs éléments, on peut citer : le degré d'intégration horizontale et verticale du secteur, les parts de marché des opérateurs, l'internationalisation et la diversification sectorielle des opérateurs.
13.6.3. La nécessité d'une instance d'évaluation des performances du régulateur
Il ne peut y avoir de régulation d'une réforme sans une nécessaire évaluation a posteriori de la régulation elle-même. Ceci passe par la mise en place de procédures ayant pour mission, d'une part, d'évaluer régulièrement la capacité du régulateur à faire converger le marché vers les objectifs politiques qui lui ont été fixés, d'autre part à apprécier si le coût de la régulation reste proportionné aux bénéfices que la société en retire. Sur ce point, il existe toute une littérature qui essaie de déterminer les moyens de mesurer la productivité de l'agence de régulation comme la qualité de la régulation. Sans entrer dans le détail des procédures d'évaluation, il convient de retenir quelques critères simples comme l'indépendance, la transparence des décisions, le contrôle de l'appropriation de la rente, ainsi que l'obtention de gains d'efficacité des opérateurs en charge de missions de service public. L'évaluation du régulateur passe nécessairement par le contrôle de son indépendance vis-à-vis de toutes les parties (le gouvernement, les opérateurs, les syndicats, et même les consommateurs dont certaines associations faiblement représentatives peuvent capturer le régulateur). Certains éléments particulièrement sensibles doivent être analysés, comme l'indépendance liée aux processus de nomination du régulateur, l'indépendance financière de l'autorité de régulation et la capacité qu'elle a à mobiliser des expertises indépendantes ou encore les profils de carrière des responsables. Cette évaluation doit également apprécier le niveau de transparence des procédures de décision de l'autorité en repérant, par exemple, la nature des critères et la qualité des informations qu'elle utilise pour motiver ses décisions. L'évaluation devrait ensuite analyser la capacité du régulateur à éviter que la rente soit capturée par tel ou tel acteur qu'il s'agisse du gouvernement, de l'opérateur dominant, ou des syndicats ou de toute autre organisation. Enfin, l'évaluation de l'efficacité de la régulation doit se mesurer par la capacité du régulateur à créer des incitations suffisantes pour obtenir des opérateurs en charge de missions de service public, ou du monopole s'il demeure, un accroissement de la qualité des services et une réduction des coûts. Pour cela, il paraît nécessaire de prévoir, régulièrement, au cas par cas, un travail sur mesure, quantitatif et qualitatif, impliquant fatalement des études ad hoc, le suivi de quelques indicateurs ne pouvant suffire. Ces opérations lourdes pourraient être envisagées tous les cinq ans.
13.6.4. La multidimensionnalité de l'évaluation
Pour conclure, les instances de régulation devraient être tenues de procéder régulièrement à des évaluations intégrant l'ensemble des critères que le tableau suivant récapitule. Tableau 1 - Une grille multidimensionnelle d'évaluation Critères constitutifs de l'évaluation des services Efficacité économique Efficacité des services Efficacité de la régulation Critères techniques Critères marchands Critères relationnels Critères du bien commun Court terme Définition du service et de ses effets directs Indicateurs de productivité intégrant des notions de qualité industrielle (respect des délais…) Indicateurs financiers (capacité d'inves-tissements…) et indicateurs de structure du marché (part de marché…) Indicateurs de satisfaction des usagers (individualisation des services, niveau de services…) Indicateur (spatial et social) d'accessibilité aux services Productivité et qualité
Indicateurs de satisfaction
Long terme Définition des effets externes et des impacts Contribution à la croissance économique (effets externes positifs) Contribution à la cohésion sociale, aménagement du territoire, solidarité sociale, développement durable Coût avantage de la régulation Source : Commissariat général du Plan Ce tableau indique l'ensemble des points qui méritent d'être analysés, les instances de régulation restant libres d'apprécier, secteur par secteur, comment ces critères peuvent concrètement se décliner. Il est impératif que la démarche d'évaluation retenue par les régulateurs associe les indicateurs d'efficacité économique classiques à des indicateurs d'efficacité des services et qu'il engage régulièrement des études sur les contributions de chacun de ces services au développement économique ainsi qu'aux différentes missions d'intérêt général.
13.7. Vers une grille minimale d'analyse
Les indicateurs retenus dans l'analyse des réformes doivent toutefois concilier leur pertinence et la disponibilité des informations nécessaires pour les élaborer. Cette réalité pratique, mais aussi financière, conduit donc à recommander une démarche pragmatique qui renonce dans l'immédiat à l'utilisation d'indicateurs coûteux, sophistiqués, et souvent difficiles à interpréter en raison des conventions qui président à leur élaboration. Bien entendu, ceci n'interdit pas la mise en œuvre conjointe d'études plus techniques qui ont un grand intérêt. Mais, il faut avoir conscience que celles-ci pourront difficilement être conduites systématiquement dans le temps et dans les différents pays. Le tableau qui suit propose donc une grille minimale d'évaluation opérationnelle, qui bien que ne reprenant pas tous les critères récapitulés dans le tableau de synthèse précédent, permettrait déjà d'élaborer une analyse assez fine des réformes et de faire des comparaisons internationales. Cette grille regroupant des indicateurs " informables ", c'est-à-dire dire des indicateurs de base dont l'information est facilement disponible associe aux indicateurs d'efficacité des indicateurs de transformation du secteur. Tableau 2 - Indicateurs de performances des services en réseau Une grille minimale Dimension Indicateurs R1 Efficacité Évolution des prix 1 Professionnels 2 Domestique R2 Traitement des clientèles Différenciation tarifaire 3 entre clients professionnels et clients domestiques 4 entre clients domestiques R3 Partage de la Valeur Ajoutée Brute 5 Partage Profit / Cash-flow / Masse salariale R4 Usage des facteurs de production 6 Emploi de la main d'œuvre 7 Investissements R5 Position de marché 8 Part de marché des opérateurs historiques R6 Portefeuilles d'activité 9 Diversification géographique et sectorielle des opérateurs historiques 10 Taux de pénétration étrangère des marchés Source : Commissariat général du Plan
La dimension relative à l'efficacité (R1), dont nous avons vu qu'elle pouvait être abordée de multiples manières peut finalement être réduite, dans un premier temps, aux seules considérations des prix finals en distinguant notamment les prix obtenus par les professionnels de ceux pratiqués pour les clients domestiques. Isoler les pratiques tarifaires proposées aux clients domestiques paraît d'autant plus important que ceux-ci peuvent, dans certains cas, rester captifs des opérateurs historiques. Par ailleurs, comme il est suggéré plus haut, il serait bon de compléter cet indicateur par un indicateur de qualité de service même si bien souvent il est difficile de définir le ou les indicateurs permettant de l'appréhender correctement et d'obtenir ensuite l'information pour effectuer les calculs. Ceux-ci restent à définir précisément secteur par secteur. Les cinq autres dimensions retenues dans le tableau caractérisent les transformations que subit le secteur en raison de l'introduction de la concurrence. Une première dimension relative au traitement de la clientèle par les producteurs (R2) peut être appréhendée tout d'abord par des éléments de différentiation de la tarification, l'analyse de cette séparation devant se faire selon les différentes catégories de clientèle. Cet indicateur paraît largement insuffisant et mériterait sans doute d'être complété par un indicateur relatif aux contentieux. Toutefois de tels indicateurs, sont complexes à construire en raison des diversités des procédures mises en place dans les différents pays et à l'indisponibilité fréquente des données. L'absence d'informations systématiques rend donc ces indicateurs peu opérationnels. Le partage de la valeur ajoutée (R3) est une deuxième dimension dont l'analyse est indispensable pour rendre compte des évolutions importantes induites par les réformes. C'est un des points qui mérite d'être particulièrement analysé dans toute comparaison de l'incidence des réformes. Trois indicateurs principaux peuvent être retenus, l'analyse du partage du profit, l'utilisation du cash flow disponible, et l'évolution de la masse salariale. À ces indicateurs, s'en ajoutent deux autres qui apprécient la réorganisation de l'outil de production du secteur (R4). Certaines réformes sont en effet l'occasion de profondes mutations pouvant s'observer notamment dans l'utilisation des facteurs de production. Deux types d'indicateurs peuvent être sollicités : des indicateurs relatifs à l'évolution de l'usage de la main d'œuvre et d'autres relatifs à la politique d'investissement. L'analyse des secteurs ne peut être complète sans revenir aux dimensions fondamentales du marché (R5) et (R6) et aux comportements des opérateurs historiques dans le secteur. L'évolution des parts de marché de l'opérateur dominant constitue un des premiers éléments indispensable à l'évaluation des structures de marché. À cet indicateur, il convient également d'associer d'une part des indicateurs qui décrivent leurs stratégies en matière de diversification dans le secteur ou dans d'autres secteurs, et d'autre part des indicateurs donnant une idée du positionnement des opérateurs historiques à l'international (taux de pénétration sur les marchés étrangers par exemple).
14. Les nouvelles exigences en matière d'instruments de mesure de la performance
14.1. Le régulateur au centre du processus de production et de diffusion de l'information
La première partie de ce chapitre a regroupé plusieurs catégories d'indicateurs, en insistant moins sur les " ratios " à retenir que sur les différentes dimensions à prendre en compte dans l'évaluation des performances. Toutefois, ceci ne constitue qu'un volet de la réflexion en matière d'évaluation des réformes. Il ne suffit pas seulement en effet de disposer des ratios adéquats, faut-il encore pouvoir les construire et faire en sorte que les différents acteurs puissent se les approprier. Les indicateurs de performance ne se réduisent pas à des critères plus ou moins théoriques, ils constituent une véritable construction sociale. Sans vouloir épuiser cette réflexion, il paraît décisif à ce stade des réformes dans les industries de réseau d'attirer l'attention sur quelques points. Les réformes engagées dans les services publics en réseaux modifient les modalités de régulation. D'une part, le régulateur indépendant, lorsqu'il existe, se trouve mis au cœur du processus de production et de diffusion de l'information. D'autre part, la multiplicité des acteurs et les différents niveaux de régulation imposent un minimum de concertation.
14.1.1. Un cahier des charges préalable défini par le législateur précisant ce qui doit être évalué
Comme nous l'avons vu précédemment, il n'y a pas d'indicateurs de performance dans l'absolu, ceux-ci ne trouvent leur sens que rapportés aux objectifs que se fixe l'institution qui décide l'évaluation. Dans le cadre des réformes des services publics de réseaux, ces objectifs devraient être clairement définis et affichés dans un texte de loi. Il paraît important que les pouvoirs publics, en plus de ces objectifs, précisent l'ensemble des domaines qu'ils souhaitent voir évaluer par le régulateur. Il s'agit moins de préciser dans un texte de loi les instruments à utiliser que d'exiger que les multiples dimensions de la performance soient prises en compte, et particulièrement, celles dont nous avons vu qu'elles étaient complexes à appréhender. Sans être trop contraignant pour le régulateur, cet affichage lui donnerait une légitimité pour mener à bien l'ensemble de ces évaluations. Par ailleurs, dans la mesure où l'un des objectifs du régulateur est de veiller à ce que certains services soient assurés à des conditions abordables pour tous selon les principes du service public, il paraît également nécessaire de bien isoler l'évaluation de ces services. Ceux-ci doivent donc être dans un premier temps définis clairement, les éléments de cette définition (quantité, prix et qualité) devant pouvoir faire l'objet, le plus souvent possible, d'analyse quantitative.
14.1.2. Deux logiques de production
Toutes les dimensions évoquées dans la première partie de ce chapitre ne peuvent faire l'objet d'un traitement identique, certains indicateurs, notamment les indicateurs techniques ou marchands, peuvent être observés régulièrement, contrairement à d'autres, au contraire, qui nécessitent une construction plus complexe et des études plus spécifiques. Ceci conduit donc à recommander deux procédures de production de ces indicateurs. La première procédure, assez rigide, définirait les indicateurs élémentaires et fixerait le rythme de leur publication. Entreraient dans ce cadre les indicateurs ne nécessitant pas un travail de traitement spécifique de l'information, celle-ci étant plus ou moins aisément disponible. Le régulateur en charge de la qualité de ces indicateurs de référence devrait obtenir du législateur l'ensemble des moyens nécessaires humains, financiers, juridiques, pour mener à bien cette tâche. Entreraient également dans ce cadre les enquêtes de satisfaction menées régulièrement auprès des consommateurs. Ce cadre parait toutefois peu adapté pour appréhender les éléments plus diffus relatifs à la cohésion sociale, à l'aménagement du territoire, etc. ceux-ci ne pouvant faire l'objet d'analyse systématique régulière en raison notamment de la nature et du coût des études à engager. Il devrait donc être possible, à la demande des pouvoirs publics, dans le cadre d'une seconde procédure, d'associer aux grilles normalisées précédentes des analyses plus ponctuelles, plus qualitatives répondant aux exigences du moment.
14.1.3. Entre publicité et confidentialité
L'autorité en charge de la régulation est amenée à disposer d'informations qui constituent de précieux instruments d'analyse des réformes engagées dans ces secteurs. Mais l'efficacité de la régulation suppose, dans la mesure du possible, que cette information soit rendue publique. Une telle transparence crédibiliserait le régulateur en lui permettant notamment de motiver ses décisions. Cette transparence permettrait également aux débats contradictoires de s'instaurer entre les différentes parties et de satisfaire aux différents besoins d'information émanant des opérateurs eux-mêmes, des pouvoirs publics, de l'ensemble des acteurs et du grand public. Certaines de ces informations demeurent et demeureront confidentielles pour des raisons liées au secret des affaires (comme celles relatives aux coûts supportés par les opérateurs, aux montants de leurs investissements…). Mais cette confidentialité doit rester limitée aux informations qui le justifient, sachant qu'il reste toujours possible dans certains cas de publier des informations nominatives sous une forme agrégée.
14.2. L'évaluation des performances : une action concertée
14.2.1. Mettre les consommateurs au centre du processus de l'évaluation des performance
L'évaluation des réformes s'appréciera essentiellement en dernier ressort par les gains qu'en retireront les consommateurs, notamment parce qu'ils sont les destinataires du service universel et que, dans une période transitoire plus ou moins longue selon les secteurs, ils resteront captifs des opérateurs historiques. Ces gains s'apprécieront bien entendu au vu des baisses de prix constatées sur les services, mais aussi par la qualité des services qui seront rendus. Or, il n'est pas possible d'appréhender cette notion de manière homogène pour l'ensemble des consommateurs et de manière stable dans le temps, une des caractéristiques des réformes dans les services publics en réseaux étant justement le foisonnement des services, la concurrence conduisant les opérateurs à se rapprocher des besoins de la clientèle et les nouvelles technologies facilitant cette évolution. Il paraît dès lors impératif que les destinataires de ces services participent à la régulation et qu'ils soient donc associés à la définition des services comme à leur évaluation. Ceci peut être assuré de multiples manières. Une d'entre elles peut être l'établissement de chartes établies par les consommateurs dans lesquelles seraient précisées certaines règles et certaines normes en matière d'information, de transparence, ainsi que différents éléments de qualité de service, voire des procédures d'indemnisation lorsque le service est mal rendu. De telles chartes se mettent en place au Royaume-Uni à la satisfaction des consommateurs… Il faut bien sûr pour qu'elles jouent leur rôle que le régulateur les reconnaisse et qu'il ait les moyens d'appliquer les recommandations proposées. Par ailleurs, la mesure de la performance passant nécessairement par la mise en œuvre et la publication régulière d'enquêtes de satisfaction des usagers, il paraît souhaitable, notamment pour assurer la transparence et la crédibilité de ces procédures, que les consommateurs soient associés à la préparation des questionnaires.
14.2.2. Coordonner les différentes institutions de régulation en matière d'évaluation des performances
Comme cela a été précisé à plusieurs reprises au cours de ce rapport, le régulateur indépendant, lorsqu'il existe dans un secteur, ne constitue qu'un élément de la régulation, celle-ci étant assurée par un ensemble d'institutions diverses. Il n'est donc pas le seul à s'interroger sur les questions de performance des services publics en réseaux. Parmi l'ensemble de ces institutions, les instances européennes et les collectivités locales jouent un rôle important en matière de régulation, les premières lorsqu'elles établissent des directives et les secondes lorsqu'elles contractent avec les opérateurs locaux. Elles contribuent et contribueront de plus en plus, à la définition des performances des services publics, celles-ci ne pouvant plus se concevoir seulement dans un cadre national, mais aussi dans un cadre européen comme dans un cadre local. Le rôle des instances communautaires en ce domaine devrait se renforcer dans l'avenir, car elles seront amenées par exemple à préciser le contenu minimal du service universel, à harmoniser certaines normes, etc. Ce faisant elles contribueront à créer un cadre d'évaluation commun. Ce processus de convergence est en cours de réalisation au sein de la Communauté européenne et il paraît indispensable que les régulateurs nationaux aient le souci de participer à ce type de réflexion dans le cadre des coopérations qu'ils seront nécessairement amenés à développer à l'échelle européenne. Il est souhaitable que cette concertation s'étende aux collectivités locales qui, en raison de leurs compétences en matière de services publics locaux, contribuent très largement à la définition et à l'évaluation des performances de ces services. Il paraît dès lors souhaitable que le régulateur s'appuie sur l'expertise disponible au niveau local, et que les collectivités locales puissent être associées à l'évaluation elle même dans la mesure où, bien souvent, elles sont amenées à fixer dans le cahier des charges préalable à l'octroi des concessions, la qualité des produits et des services, les conditions dans lesquelles ces services sont assurés, les dispositifs en matière de prestations sociales ou d'aménagement local, etc. Il s'agit, par cette concertation, en reconnaissant la responsabilité des collectivités locales, d'enrichir la régulation à l'échelon national. Cette collaboration sera facilitée du fait que les autorités locales disposent d'outils de concertation et d'information développés. Les commissions consultatives des services publics locaux, la publicité des documents relatifs à l'exploitation des services publics délégués, les consultations des populations avant la création des nouveaux services, la création de comité d'usagers, les enquêtes de satisfaction sont autant d'outils qui contribuent à une démocratisation du processus de régulation qu'il serait difficile, voire impossible de réaliser au seul échelon national.
14.2.3. Assurer l'adaptation permanente de l'évaluation
Bien qu'il existe d'autres lieux de production d'informations, il est important que, sous l'autorité des régulateurs, se constituent de véritables observatoires des marchés, auxquels serait associé l'ensemble des acteurs du secteur. Le régulateur devrait donc travailler en concertation avec tous ceux qui peuvent contribuer à adapter les instruments de mesure aux évolutions des marchés, dans la plupart des cas très rapides, ainsi qu'aux interrogations des acteurs et des pouvoirs publics. La production, l'organisation et le traitement de l'information relative aux secteurs devraient être organisés conjointement avec les organismes qui fournissent déjà des données comme l'INSEE, ou certains services des ministères en charge de ces secteurs. Si cette collaboration présente bien des avantages et doit être encouragée, elle ne doit pas se faire pour autant au détriment de l'indépendance du régulateur, indépendance supposant que ce dernier dispose, en interne, d'une capacité réelle d'expertise sur l'ensemble des données produites et des moyens financiers suffisants pour financer ses propres études ou enquêtes. Par ailleurs, il paraît également indispensable que puisse se constituer auprès du régulateur un groupe de travail permanent émettant un avis régulier sur la qualité des statistiques et les besoins d'information. Ce groupe de travail devrait associer, non seulement les opérateurs du secteur et les administrations concernées par le secteur, à l'image de ce qu'a mis en place l'ART avec l'INSEE, l'administration des télécommunications et les opérateurs, mais plus largement des représentants des élus locaux et des consommateurs. De tels groupes de travail, en assurant un contrôle sur la qualité des données et la réactivité du système de production des données face aux interrogations des acteurs, constitueraient un élément décisif de la régulation.