L'Encyclopédie de la Pléiade a publié, avec "l'Histoire des moeurs",un superbe ouvrage de marketing .Tout s'y trouve:le consommateur et ses motivations, ses rites et ses fantasmes,ses comportements quotidiens,la maniere de se nourrir,de se vetir ou dévetir, se reproduire ou célébrer ses morts.
Et cela dans le temps de l'histoire, bien sûr,mais aussi dans l'espace des civilisations éloignées ou encore dans la multiplicité des niveaux, rôles et situations de société.
Si on prend au sérieux une certaine conception du marketing:comprendre l'humain pour le servir,alors "l'Histoire des moeurs"est bien un ouvrage de marketing. Un bel ouvrage de culture et de réflexion enrichissante pour les décideurs parfois amusés,souvent interloqués et presque toujours déçus par les recettes miracles (cinq secrets pour gagner)et les matrices de comportements irréelles et savantes que proposent certains sorciers du marketing .
On ne résume certes pas en deux cents lignes un ouvrage de cinq mille pages; il faut y naviguer comme en Amazonie entre terres fermes bien reconnues, affluents dominants et marigots fertiles où se préparent des questions et des réponses pour l'avenir de nos métiers.
Nous vous proposons un guide de lecture centré sur quatre questions du marketing (pourquoi quatre? mais pourquoi pas ?):la connaissance des besoins, les échanges, la communication , le marketing et la société.
L'anthropologie des besoins intéressera surtout la fraction des gens de marketing qui restent persuadés que leur role consiste à connaitre les besoins du marché avant d'employer une panoplie d'instruments préfabriqués.
Que nous proposent les spécialistes de "l'Histoire des moeurs",notamment dans le premier tome,consacré à la culture matérielle?
A-LES BESOINS DU CORPS
La relation de l'individu avec son corps varie selon les cultures (chapitre rédigé par R.Pottier).Les cultures traditionnelles (Inde,Chine) recherchent une maitrise du corps par l'esprit alors que l'Occident récuse une telle capacité et oppose deux types de recherches sur l'homme .
Ecartelé entre pulsion de vie et pulsion de mort, l' Occidental s'invente un Orient imaginaire où cette contradiction serait résolue. Dans nos sociétés post-modernes, chaque chef de produit doit donc disposer dans son catalogue de quoi soulager chez ses clients la tension entre Eros et Thanatos.
Ethnologue et chirurgien, le Dr.Chippaux expose les techniques de modification du corps par mutilation,déformation rituelles et tatouages. Victime de son succes, cette "niche" de marché connait actuellement des difficultés aux Etats-Unis dans le service apres-vente des implants mammaires.
Le marketing de la toilette et du parfum étudiera avec J.Bonnet l'évolution et la diversité des techniques d'hygiene.Le systeme pileux est diffuseur d'odeurs d'attrait sexuel:selon Y.Deslandres et M.de Fontanes, la coiffure est mode et symbole traversant les domaines du social et du sacré.
Constat surprenant,l'amour n'a jamais été étudié de maniere scientifique:la psychologie s'intéresse à l'intelligence et à la mémoire mais abandonne l'amour à la littérature. Trois chapitres du tome 2,étudient l'amour en histoire culturelle,en anthropologie,en sociologie. On apprend,grace à nos savants auteurs,que les trois éléments de l'amour, la sexualité, l'amour-passion et l'affection sont distincts,autonomes et meme antagonistes.
Apres l'effort, l'alimentation fournit le réconfort .Dans le tome 1 ,Igor de Garine consacre deux cent pages aux modes alimentaires et manieres de table. Le caractere d'animal omnivore et sa capacité à penser par symboles prédisposent l'homme à gérer son alimentation de maniere complexe. La nourriture est un mode de convivialité (convivium) mais comporte aussi une signification au plan de la transcendance.
La toxicomanie est-elle une nourriture (O.Juilliard au tome 2) ? Traditionnellement utilisée pour obtenir un "surplus vital",la drogue vise aujourd'hui à compenser un manque et devient une modalité de l'instinct de mort.
A signaler aussi, au tome 1, l'étonnant chapitre sur les rapports entre l'homme et son excrément: ce pourrait etre un texte fondateur du marketing de la vidange.
S.Clapier-Valadon décrit les modes et coutumes médicales à travers les sociétés, en relation avec l'économie et la philosophie.On est surpris de constater la frivolité et les engouements pour les remedes-miracles dans une discipline où,comme pour le marketing,le terrain d'action est en principe fort concret et les résultats immédiatement accessibles à l'expérience.C'est que tout malade demande à l'homme-médecin (au gourou de marketing ?)la guérison de ses maux mais aussi compréhension et prise en charge subjective.
Il faut enfin mourir . Admirable chapitre de L.V.Thomas,président de l'Association française de Thanatologie,chapitre curieusement inséré au tome 2 parmi les Codes et modeles sociaux comme si la mort n'était vraiment pas une affaire tres privée. Les sociétés traditionnelles conçoivent la mort comme un "tré-pas"(passage au-delà).La mort,invention post-moderne,est aujourd'hui aseptisée,évacuée du champ social.Et pourtant quelle admirable opportunité de marketing ( Why life if you can be buried for only a hundred dollars?)!
B-LES OBJETS:
Pour J.Poirier,l'objet est le prolongement du corps:il peut etre outil,machine ou systeme de fabrication intermédiaire entre l'homme et la nature sacralisée. Avec l'avenement des temps nouveaux,l'objet est devenu la chose,répétitive et superflue,artificiellement reproduite par le suréquipement,l'obsolescence volontaire et la mode.L' auteur démontre les chaines logiques qui expliquent le renouvellement des constellations techniques en relation avec les systemes de valeurs (histoire du baton,de la chambre à coucher) .
Deux gros chapitres étudient le vetement avec ses trois fonctions -utilitaire,esthétique et symbolique- dans les sociétés traditionnelles (Y.Delaporte)et occidentale (Y.Deslandres).
Maurice Rheims présente l'histoire du mobilier.
Un chapitre original de J.Tixeront étudie les équipements collectifs:techniques et normes centrées sur l'eau et les subsistances ,puis sur l'énergie et les communications.
La cité,ses besoins et ses contraintes,fait l'objet d'un long développement.
La gestion des équipements collectifs est déjà une introduction à l'étude des relations entre l'homme et l'espace.
C-L'ESPACE:
Dans un remarquable chapitre,Raymond Ledrut montre comment l'organisation de l'espace traduit concretement les schémas abstraits d'organisation sociale.Il étudie les fonctions sociales et le langage imaginaire des formes spatiales.
Il passe ensuite en revue l'histoire et la géographie des modes de spatialisation propres aux grands systemes sociaux.
Pour J.Barrau, face aux trois milieux naturels qui l'entourent (chapitres sur le minéral,le végétal et l'animal),l'homme est le seul etre créateur de culture.S'éprouvant ainsi artificialisée chaque société met en oeuvre des procédés pour "naturaliser" sa culture.La domestication des especes végétales et animales est au centre d'un dispositif de gestion efficace de la longue durée.
D-LE TEMPS:
Le temps comme l'espace est profondément socialisé.Les calculs de calendriers,présentés par L.Molet,se réferent à la lune ou au soleil,mais toujours aux besoins des sociétés agraires.La fete est un moyen universel pour scander le temps:elle sert également à pérenniser ou au contraire exorciser des évenements ou mythes collectifs.
Avant d'inventer un temps abstrait,les hommes ont pris conscience des rythmes biologiques qui organisent l'activité(et les achats ?) autour de trois cycles principaux:l'année,la journée et une foule de rythmes infradiens à fréquence élevée.
Curieusement placé dans la partie consacrée au tome 2 à "Ethique et esthétique",le loisir ne coincide pas nécessairement avec la réduction du temps de travail (second métier,transport?) et certains le considerent comme un instrument de promotion pour consommer davantage.La lecture du long chapitre de J.Dumazedier rappelle que ce temps soustrait à la logique de production est le lieu (?) privilégié des recherches de différenciation ,de l'engagement socio-politique à la navigation sur"drogues de plaisance".
On trouvera,au tome 3,plusieurs textes consacrés aux musées et collections ainsi qu'au livre.On peut y trouver une ethnologie des objets (pour le marché de l'art ou du livre de poche) mais aussi une étude de la maniere dont les hommes conservent,multiplient et diffusent la mémoire sociale.
L'économie a besoin du commerce,donc du marketing.Et la vie en société suppose des relations avec autrui,donc des médiateurs,des truchements.
A-L'ECHANGE HOSTILE:
Un souci d'identité porte individus et groupes à la méfiance spontanée envers l'hote invité qui est aussi "hostis",ennemi potentiel.
Otto Klineberg étudie les relations toujours difficiles entre groupes qui different par des caracteres physiques innés,par la langue,la religion,la nationalité ou le mode de vie.Au sein d'une meme société,le sexe,la classe sociale,l'age ou la génération sont également producteurs d'altérité.
La guerre,phénomene universel et permanent, dans toutes les cultures, est un élément majeur de "l'économie quaternaire",celle de la destruction des biens .Ce serait donc un peu le service apres-vente mais aussi l'ouvreur de marchés pour la production: la saturation de biens dégraderait le besoin de consommer donc de produire.On peut d'ailleurs rappeler que la guerre a été largement employée comme instrument du marketing-mix,par exemple pour introduire l'opium en Chine ou pour ouvrir les ports japonais aux navires américains.C'était ,il est vrai,au siecle passé.
De nombreux peuples autrefois dépeçaient et mangeaient les vaincus (le cannibalisme,étudié par N.Ballif).On pratique aujourd'hui l'ethnocide culturel qui,contrairement à l'anthropophagie consomme l'autre pour le détruire et non pour en absorber les vertus.
L'esclavage,présenté par V.Paques,est une relation économique définie par des rapports juridico-sociaux de domination .L'auteur ne dit pas si le contrat d'adhésion,la loi d'airain des salaires ou la main invisible du marché sont des formes contemporaines de l'esclavage.Quel vendeur n'a jamais r^evé de marchés captifs ?
B-L'ECHANGE PACIFIQUE:
S.Clapier-Valadon et P.Mannoni étudient la psychologie des relations interculturelles,le regard envers l'autre ,inconnu ou différent.
Selon A.Bourde,"l'exotisme est un de ces papillons culturels dont on suit avec ravissement les évolutions capricieuses,mais qu'il est difficile d'épingler".L'homme de marketing étudiera donc ce chapitre non pour s'y forger une philosophie de l'altérité mais pour y puiser une collection de themes promotionnels savoureux.
Pour J.F.Reverzy,la perception de la folie est aussi une maniere de comprendre l'autre et ses "modeles d'inconduite".Mais également soi-meme puisque la folie nait avec l'acte de la pensée,par l'angoisse de la séparation originaire avec le réel.Voilà ce qui guette le marketing de l'imaginaire et les commerçants qui pensent trop.
Enfin J.Poirier étudie la politesse en tant que codification culturelle,non juridique,des relations interpersonnelles par le consensus social.Peut-etre aurait-il fallu compléter ce texte par une ethnologie des intermédiaires,diplomates,interpretes ou "compradores"si nécessaires à l'échange économique et social.
C-LES AUTRES:
L'essentiel du tome 3 est consacré à une puissante galerie des portraits des autres,c'est à dire à une géographie des civilisations en sept cent pages.
On goutera certainement le plaisir de la distanciation avec les chasseurs-éleveurs,les moeurs en Océanie,les populations d'Afrique Noire ou les sociétés amérindiennes.
On s'attachera aussi à la persistance de puissants systemes historiques :le monde iranien et turc,l'Inde,la Chine,le Japon traditionnel.
Plus proches de nous,les trois civilisations du livre:la culture hébraique,l'Islam et l'Occident.Et cette observation finale de J.Le Goff:
"L'universalité de l'idéal démocratique atteste qu'au moment où,pour la premiere fois, l'Occident semble réellemnt accepter les différences culturelles,pour la premiere fois aussi,les modeles sociaux et politiques de l'Occident sont devenus des valeurs universelles,données comme modeles pour tous".
Une large part du marketing moderne,du moins dans les sociétés de consommation avancées, consiste à trouver les moyens d'imposer aux gens ce dont ils n'ont pas vraiment besoin et qu'ils ne peuvent d'ailleurs pas vraiment se payer.
C'est principalement le role de la communication:stratégie du désir,argumentaire du produit,tactique du harcelement médiatique, repérage et bombardement de la cible par télémarketing.
"L'Histoire des Moeurs",notamment dans son tome 2,consacre plusieurs chapitres à la communication et aux modeles de comportements de l'homme en société.
A-LA COMMUNICATION NON-VERBALE:
La présentation des moyens d'expression non-verbaux est sans doute la partie la plus originale pour les gens de communication qui n'auraient pas encore exploré les ressources de la danse ou du théatre.
La symbolique manuelle,celle de chaque doigt,les postures et les gestes de la main et du bras (deux chapitres au tome 2), l'expression corporelle, y compris par le tatouage ou la mutilation (C.Chippaux au tome 1),tout ceci est révélateur d'identité culturelle et de statut social.Un des auteurs, Bernard Koechlin propose une méthodologie pratique d'analyse des gestes sociaux .
Pour S.Clapier-Valadon,le rire a des usages et sens divers selon les civilisations.On connait le rire jaune (ce n'est qu'un sourire: en Chine,avoir la face,interdit de rire; et le sourire asiatique est souvent signe de gene).Mais connait-on assez le rire funéraire,pour marketing des pompes funebres? et la carte mondiale du rire où Jean Nohain colore l'Afrique Noire en rose et les pays musulmans en mauve comme le Japon (?)
Les spécialistes du packaging et de l'affichage symbolique étudieront aussi,avec D.Zahan,au tome 1,la signification des couleurs ,la triade noir-blanc-rouge et la triade rouge-vert-bleu.
B-L'EXPRESSION VERBALE:
Dans son chapitre sur "Parole et discours",G.Calame-Griaule rappelle que pour de nombreuses civilisations,c'est une parole divine qui a créé le monde.
Le dialogue est la forme élémentaire de l'échange social:le soliloque est universellement ressenti avec malaise.Un langage correct est garant de l'ordre social voire cosmique.Il en résulte partout des codes de politesse,des interdits verbaux.
Par son origine divine,la parole est une force efficace; celle des individus qui exercent l'autorité politique ou religieuse ou encore la médiation du sage.
Le serment,la malédiction,l'imprécation acquierent une force redoutable par la vertu des puissances supérieures.Le simple fait de prononcer le nom de quelqu'un donne prise sur sa personne: n'importe quel nom ne peut pas etre prononcé par n'importe qui. La "belle parole" des poetes est partout appréciée et parfois redoutée:on prétend que Mahomet,lui-meme créateur inspiré faisait assassiner les poetes qui avaient mal parlé de lui.
C-LES MODES DE PENSEE:
La capacité créatrice et fécondante du verbe nous conduit,avec Raymond Eches,à examiner l'apport de l'anthropologie cognitive. Née aux Etats-Unis dans les années soixante,comme une ethnographie des modes de communication et pratiques langagieres,elle a débouché sur l'étude des manieres dont les sociétés perçoivent et organisent leur culture.Des chercheurs ont ainsi examiné les classifications significatives des objets,évenements,comportements ou émotions de l'environnement matériel (dis-moi comment tu ranges,je te dirai qui tu es...)
L'ethnologie de l'ere post-industrielle pourrait etre enrichie par l'analyse critique des représentations que se font de la réalité les experts et intermédiaires économiques :patrons,ingénieurs,consultants,hommes de marketing.Une telle anthropologie prolongerait utilement l'accumulation des savoirs-experts nécessaires à l'intelligence artificielle.
Les chapitres consacrés par Jean Servier à l'histoire de la pensée symbolique et des idéologies fournissent des matériaux utiles à la pratique comparée des communications.La connaissance des superstitions proposée par C.Gaignebet releve de la meme préoccupation.
Pour éviter l'ethnocentrisme scientiste de l'Occidental,on peut également,avec J.F.Mattéi,montrer que la rationalité est elle-meme le fruit d'une représentation historiquement située.Le passage du mythe à la pensée philosophique a été rendu possible par la perception progressive de dualités fondatrices des catégories de pensée telles que le mouvement et le repos,le meme et l'autre,la causalité et le hasard,le concept et le symbole,la substance et la forme.
L'auteur se demande:y a-t-il une pensée plus initiale en laquelle s'inscrivent les limites propres de la métaphysique qui demeure l'élément premier de la philosophie mais n'atteint pas l'élément premier de la pensée? Voilà une bonne question pour rafraichir la créativité en crise des agences de publicité.
D-LA PUBLICITE:
Un chapitre consacré par André Akoun à "Société et publicité" étudie classiquement les stratégies de la publicité mécaniste (perception et mémoire), de la publicité suggestive (psychologie des profondeurs) et de la publicité sociologique (l'homme pris dans des groupes ou des familles d'idees).Il envisage la célébration de l'acte de consommation comme facteur de destruction de valeurs traditionnelles pour conclure:
"Société démocratique et société du spectacle,la société moderne est aussi la premiere à se penser comme société historique,non pas comme une société ayant conscience de l'histoire,mais une société qui fait de l'historicité la substance meme de son etre et de son devenir,compris comme l'avenement perpétuel du "nouveau",sa loi d'airain. Au désabusement nihiliste qu'un tel destin engendre,la mode et son double ,la publicité,sont la riposte ludique qui libere le temps de l'angoisse dont il est porteur.La naissance et la mort des formes futiles qu'elles inventent, miment et distancient d'autres naissances et d'autres morts dont l'alternance constitue le battement de l'histoire réelle".
La publicité serait donc créatrice de divertissement pascalien,quel programme pour une société qui s'ennuie!
Ceci nous conduit tout naturellement à examiner les rapports globaux entre marketing et société.
Conditionné par les tendances récentes des sociétés de consommation,le marketing se concentre de plus en plus sur l'individu,voire sur les fragments et moments de l'existence individuelle.
C'est oublier que l'identité personnelle s'insere dans l'unité d'une vie et l'épaisseur de ses relations à autrui.C'est surtout négliger le fait que l'homme est "zoon politikon",animal social:toute circonstance individuelle,toute satisfaction prend son sens dans une culture donnée et meme dans une vision religieuse du monde.
A-L'ORGANISATION:
Comment se constituent et maintiennent les ensembles sociaux qui encadrent l'homme et ses motivations ?
Au tome 2,J.W.Lapierre commente les hiérarchies sociales organisées selon l'age et le sexe,selon les modes de production,l'appropriation du pouvoir politique et enfin la possession d'un savoir.Chaque société s'appuie sur des inégalités de fait qu'elle légitime par une idéologie justificatrice.
Selon P.Bernard,une large part des formes sociales refletent les nécessités matérielles de l'existence ,qu'il s'agisse des rapports avec le milieu vivant,des relations humaines ou de la symbolique des représentations. L'économie,"science de l'utilisation des biens rares ayant des usages alternatifs", repose sur les besoins que l'homme doit tenter de satisfaire mais consacre aussi beaucoup d'efforts aux besoins générés par les formes sociales demandées par l'économie elle-meme.
Le droit et le systeme répressif constituent deux évidents piliers de l'organisation sociale.J.P.Royer présente les grands systemes juridiques et ,plus particulierement le droit des bonnes moeurs à travers l'histoire et le monde.J.Lombard étudie la faute et sa répression.Ce pourrait etre une bonne introduction au marketing de la responsabilité sous toutes ses formes (prévision,prévention,prévoyance,la responsabilité dans le produit,le service etc...).
La morale est inséparable de l'histoire des moeurs (P.Quillet):respect des autres par sacrifice ou par intéret personnel. La tentation individuelle de se soustraire à la déontologie suscite l'intervention d'une morale sociale éventuellement totalitaire .
Les themes,formes et fonctions de la politesse,examinés au tome 3 par J.Poirier,peuvent se rattacher à cette meme préoccupation des conduites rituelles.
Les modes de socialisation et d'éducation étudiés par P.Héraux assurent la transmission des savoirs et sentiments collectifs.Si dans les sociétés traditionnelles ,les modeles d'identification sont peu nombreux et bien définis, il n'en est plus de meme dans nos sociétés où l'on privilégie une conception de l'enfant irresponsable et d'un éternel adolescent perturbé. C'est le résultat d'une construction sociale récente, non irréversible, où l'école et la publicité ont une large part.
B-LE CHANGEMENT:
Le changement social est animé principalement par les techniques et par les modes de pensée largement développés dans la plupart des chapitres de "l'Histoire des moeurs".
Selon R.Bouchez,invention,innovation et découverte exigent une double maturation:la société doit etre aussi évoluée que les découvreurs.
Un intéressant chapitre de J.Duvignaud retrace l'évolution des styles et modes de création qui apparaissent lorsque l'unité mystique cede la place à la différence des groupes et individus.Le style est à la fois forme rhétorique et perception idéale du cosmos.
L'inventivité est inséparable de l'utopie, que H.Desroche étudie comme un mode de rapport avec des sociétés"autres". A.C.Decouflé esquisse les grandes lignes des moeurs de demain:diverses formes et modes de consommation,économie,rapports avec la nature,l'espace et le temps.Il y a beaucoup à prendre dans un tel chapitre,moins bien sur en certitudes illusoires qu'en interrogations fructueuses sur l'avenir.
Enfin dans deux chapitres de synthese sur "le regne humain",C.Morazé reprend la distinction entre culture et civilisation et J.Poirier décrit la "machine à civiliser".
Malgré son titre qui évoque la redoutable"machine à décerveler" du Pere Ubu,ce texte nous parait intéressant à étudier pour les décideurs qui veulent comprendre le comment et le pourquoi du changement.L'auteur décrit les fondements classiques des sociétés organisées (principes de solidarité,sacralité,continuité,autorité,qualité,séniorité,masculinité,ethnicité) qu'il confronte à la mutation mal assimilée du progres:coexistence des deux matrices culturelles de la tradition et de la modernité,dérive des concepts de roles et valeurs.
Il termine par une question qui intéresse aussi les gens de marketing:"l'humanité va-elle vers la mondialisation d'un style standardisé de civilisation malgré des résistances sporadiques nationalistes,religieuses ou racistes?"
La réponse se trouve dans votre quotidien favori.
CONCLUSION:
Le vocabulaire de "l'Histoire des Moeurs"est parfois obscur;moins pourtant que celui des linguistes et sémiologues ou que les néologismes laborieusement fabriqués par des gens de marketing pour cacher la paille des choses sous le grain des mots.Il faut, pour le comprendre, se montrer compréhensif...
Passé ce petit inconvénient,on peut aussi montrer de l'indulgence envers la curiosité exotique des ethnologues pour les chasseurs-prédateurs (il ne s'agit pas des golden boys ou du blanchiment d'argent sale,mais des Esquimaux Inuit et des Boshiman) ou pour le personnage du chaman masticateur d'amanite et visionnaire (mais non ce n'est pas l'inventeur de la force tranquille).
Plus sérieusement on peut s'interroger,à propos de cet ouvrage, sur les rapprochements entre les disciplines du marketing,de l'ethnologie et de l'anthropologie.
Elles ont en principe un meme fondement qui est la capacité de comprendre l'humain pour le servir. Elles different cependant par l'ampleur de l'objet et des méthodes.
On reste frappé par une certaine pauvreté dans le référentiel du marketing"officiel",a fortiori quand il se cantonne dans la déclinaison routiniere des procédures du marketing-mix inventé il y a plus de trente ans pour les "roaring fifties".
On notera l'attachement prioritaire aux besoins matériels,et parmi ceux-ci aux besoins satisfaits par l'acquisition destructive de produits.Le marketing des services est encore trop jeune,a fortiori le marketing des besoins non matériels.On ne peut considérer comme un marketing de service-ou de besoin spirituel-l'ingénierie des fantasmes sur la pureté d'une lessive ou l'érotisme d'une automobile.
On notera aussi comme une évidence significative l'attachement exclusif à ce qui se négocie (l'achat moderne est-il vraiment un contrat ?) contre paiement sur un marché,de préférence un marché de grande consommation caractérisé par de multiples décisions individuelles en principe indépendantes.Le "lieu" idéal implicite du marketing est le super-marché de grande ville:ce n'est pourtant qu'un lieu de vie...comme un autre.
D'innombrables satisfactions individuelles (bonheur,beauté,amour) ou collectives (air pur,sécurité,
identité) recherchées aujourd'hui ne s'obtiennent principalement ni sur un marché,ni par le marché,ni meme par le contrat,mais par un agencement des rapports sociaux ou individuels.
Ces besoins apparemment "nouveaux"ne sortent pas pour autant du champ de l'économie puisque supposant des choix de priorité sur l'avantage maximum et les ressources rares comme le temps et l'attention à autrui :ils font simplement appel à d'autres opérateurs et mécanismes que ceux du commerce de détail. Le marketing ne doit pas concerner seulement les industries de consommation légeres(boissons,cosmétiques,vetement) mais aussi les biens d'équipement et les services marchands et non-marchands.
Il ne doit pas déboucher non plus sur la seule "consommation" de produits ou de services mais également sur l'usage-non destructif- d'agencements collectifs propres à fournir une meilleure qualité de vie.
Malgré les ambitions affirmées il y a trente ans par les fondateurs du marketing-management,ce n'est pas le client qui oriente l'entreprise,pas plus que le centralisme démocratique n'est une démocratie. Le marketing reste en fait subordonné à l'instrument de production,lui-meme subordonné aux technologies et à diverses "pesanteurs sociologiques".
Largement condamné,au moins pour le moment,à écouler une camelote souvent inutile,le marketing dispose dans ses méthodes d'une bien faible liberté d'initiatives . Par un coup de génie dans les années cinquante ,il a su appeler Freud à sa rescousse et introduire le désir là où il n'avait que faire (cette performance explique sans doute la propension de certains confreres à longuement sodomiser les dipteres).
L'ambitieux projet initial de la "marketing revolution" prévoyait de placer le consommateur au coeur du processus économique.Pour ainsi élargir son objet,le marketing pourrait peut-etre s'inspirer de quelques méthodes de l'ethnologie.
-D'abord le sens de l'espace: la localisation,la distance, l'étendue des aires de marché,la diversité géographique des modes de vie et de consommation,des codes de comportement et de communication,le rapport à l'espace et au temps: tout ceci est source de besoins à satisfaire,de segmentation de clienteles ,de politiques publicitaires;
-Plus encore le sens du temps:l'évolution,les facteurs du changement, les cycles du produit et du besoin,le caractere unique d'une circonstance historique souvent perceptible dans les négociations de projets (telle situation de marché à un moment donné);
-Enfin,pour couronner le tout,la multiplicité des niveaux d'analyse impliqués,de la culture matérielle aux représentations et valeurs.Et cette intuition que toute société a une cohérence profonde qu'on peut tenter de deviner à l'aide de l'analyse structurale de Lévi Strauss (pas le pisteur des Blue-Jeans mais celui des Indiens Bororo ) ou de l'anthropologie cognitive.
En face d'une telle richesse d'analyse,la hiérarchie des besoins reconnue par les spécialistes de marketing se limite en théorie à la classification de Maslow,en pratique aux besoins primaires pimentés par la libido.C'est un peu court.
Les opérateurs du marketing viennent le plus souvent de la technique ou de la vente.Les gourous sont des diplomés de management ou,parfois, des psychologues qui négligent l'approche sociologique.
Faut-il désormais recruter des anthropologues? Un article du Business Week de septembre 1991 nous apprend que des entreprises américaines telles que Xerox ou General Motors utilisent avec succes des anthropologues dans les relations de travail.Là ou les ingénieurs se contentent de schémas mécanistes,les anthropologues de terrain savent impliquer le personnel et dégager une culture d'entreprise libérée de conceptions réductrices.
Cet article peut inquiéter des tribus de commerciaux et de publicitaires habitués à tirer commodément le bison non-futé sur les grasses prairies de la société de consommation.L'herbe verte est aujourd'hui saturée par la concurrence et la pollution des objets/déchets . Et les bisons, blasés de lessive paradisiaque et d'électroménager charismatique, revent d'identité collective ou de mondialisme,de sécurité quotidienne et de prévention des épidémies .Ils dépensent parfois des fortunes pour acquérir du sens clés en mains ou simplement pour se protéger de l'agression médiatique .On ne trouve pas cela dans l'hypermarché des promoteurs immobiliers, ni dans les usines des ingénieurs.
Que peut-on proposer aux bisons et comment le leur fournir? Il faut etre un peu Sioux pour le deviner .Un soupçon de culture ethnologique ,s'il ne fournit pas les chemins du succes facile,peut du moins faire retrouver la voie de la nécessaire interrogation humaine.
André GARCIA
NB.Si votre curiosité n'est pas émoussée par les cinq mille pages de "l'Histoire des Moeurs", vous pouvez compléter par un autre ouvrage récent:le "Dictionnaire de l'Ethnologie et de l'Anthropologie" par Pierre Bonte et Michel Izard (PUF,Paris 1991);ou aussi fréquenter la revue "Sciences Humaines", claire, variée, mensuelle et peu coûteuse.
COMPLEMENTS GEOCULTURES Geographie culturelle Collision des cultures
Méthodes interculturelles Relations entre cultures Mondialisation, culture et marketing
<Table de l'économie> <Table Société> <Table politique> <Table Planete>
<Acteurs Groupes> <Acteurs sur Internet> <Individu>
<Bibliographie Culture et communications> Notes et citations sur les cultures