Le monde actuel, un chaos ? Celui d'hier, un monde ordonné ? L'ordre est toujours relatif, il cache souvent beaucoup de désordres. Mais il y avait de la fin de la deuxième guerre mondiale à la fin de 1989 (chute de Ceaocescu) et a fin 1991 (chute de l'URSS), un ordre essentiellement bipolaire c'était l'élément structurant de l'époque. Il a disparu avec l'implosion de l'Union soviétique. Aujourd'hui, il n'y a guère de structure d'ordre qui paraissent évidentes. On serait tenté de dire que ce monde est monopolaire, certains le disent multipolaire, mais c'est l'expression d'un désir, car où sont les pôles ? On voit surtout un désordre profond. Nous entrons sûrement dans un monde nouveau voilà ma première piste de réflexion. Quel monde ?
Un monde monopolaire ?
Serions-nous dans un monde monopolaire, comme le laisse à croire un homme comme Zbigniew Brzezinski ? Oui et non. Oui dans le mesure où il n'y a clairement qu'un seul pays qui soit à la fois la suprématie économique et la capacité de l'exercer à l'échelle planétaire et en même temps capable de projeter la force dans n'importe quel point du globe. Ce pays, ce sont les Etats-Unis, tout à fait consciente de cette force, à double contenu lié économique et militaire. Non, parce que les Etats Unies n'ont ni la volonté, ni la continuité nécessaires pour l'accomplissement d'un grand projet. Z. Brzezinski vient d'exposer sa vision mondiale dans un ouvrage récent (1); mais il faudrait que cette vision soit partagée et soutenue par un peuple et qu'existe une volonté politique pour l'exécuter. Ce qui n'est pas. Les USA ont soutenu pendant cinquante ans l'Alliance Atlantique. Chapeau ! Mais on ne voit pas à Washington un projet géopolitique qui, enthousiasmerait le peuple américain et se manifesterait avec cohérence dans la durée, on ne voit que des velléités. Au contraire, on ne voit pas de la Bosnie, au Moyen-Orient, en Asie, que les Américains prennent à bras le corps ces problèmes pour les résoudre. Que faire du pouvoir que l'on a ? Voilà l'interrogation.
Le monde est-il multipolaire ?
Je ne le pense pas. Je vois certains ensembles plus ou moins organisés, certains pays plus ou moins forts, plus ou moins influents sur leur environnement. Mais l'Union européenne n'a pas encore cette influence en tant qu'ensemble cohérent et centre de décisions, même sa capacité économique et financière compte. La " PESC " c'est " à peu près rien ", même si de grands progrès se réalisent : concertation, coopération, réduction des différends.
Passons en revue les autres grands pays. La Chine, est l'un de ces pôles planétaires, mais potentiellement. Car il est aux prises avec des problèmes intérieurs gigantesques et durables. Le Japon reste empêtré dans une maturité difficile à vivre. L'Inde ? Elle montre une capacité de décollage économique avec des stigmates de sous-développement énorme et une capacité d'influence sur son environnement mais rien de comparable avec ce qui est un pole d'influence planétaire et le Brésil encore moins. Le monde moderne n'est pas actuellement multipolaire. Il est un peu "magmatique", tel "un édredon ". C'est la définition même du désordre. De même que si l'ordre antérieur n'était pas aussi ordonné qu'on ne le dit, le désordre actuel, de même, n'est peut-être pas aussi désordonné qu'il n'y parait
Le monde des Etats-nations se meurt
Deuxième piste de réflexion quelle est la nature profonde des transformations que nous sommes entrain de vivre ? L'orateur va plonger loin dans l'histoire pour cerner les racines profondes de ces transformations. Il compare la nouvelle révolution induite par les nouvelles industries de l'information (l'ordinateur + les télécoms) à la révolution née au 15ème siècle de l'imprimerie.
Certes, tous les cinquante ans, c'est-à-dire toutes les deux générations, comme l'a écrit Bertrand Gilles, dans l'histoire des Sciences et techniques (La Pléiade), un nouveau "système technique" bouleverse la profondeur l'ensemble de la société et du monde avec des phases de destruction créatrice, le nouveau émergeant de l'ancien dans la tension sociale. Ainsi vivons-nous une telle révolution mondiale, de concurrence non seulement économique, mais ouvrent sur une concurrence du niveau des structures fondamentales (La France, à la différence d'autres pays, s'y adapte mal) de révolution actuelle, comme celle de l'époque de Gutenberg est entrain de transformer le système politique du monde.
Or, le système actuel repose sur le concept de nations et d'Etats-nations. On discourt beaucoup autour de ce concept, "on ergote" à ce propos, va-t-on vers une exacerbation des nations, des nationalismes ? Il y a danger à raisonner ainsi, car c'est parler de l'avenir avec les clefs du passé, érigées comme catégories universelles et intemporelles : les nations sont un phénomène récent à l'échelle historique.
Un autre système politique a longtemps existé, au Moyen- Age, parfaitement adapté aux connaissances de l'époque, bien ordonnancé autour de princes, rois, empereur, ancienne chaîne de commandement des légitimités fortes, une vision du monde, n'excluant pas les conflits (entre le pape et l'empereur, par ex), qui n'avait rien à voir avec le système actuel des nations qui s'y est substitué avec l'explosion des temps modernes.
Il aura fallu du temps, plusieurs siècles, pour qu'émerge ce nouveau système politique. C'était déjà la bataille de Richelieu entre Marie de Médicis. Le droit international sur lequel nous vivons s'appuie sur ce traité de Westphalie, 1648, qui pose les bases de l'Etat-nations. Le nationalisme est un phénomène du 19è siècle.
Modèles nouveaux en gestation
Nous sommes embarqués désormais dans un système de transformation du monde aussi important que celui qui nous a fait passer du Moyen-Age aux Temps Modernes. Cela prendra du temps. La construction européenne s'inscrit dans ce mouvement, né d'ailleurs avant 1945 : Alexis Léger, Saint John Perse en avaient lancé l'idée après la Première guerre. Il faut du temps pour la gestation, un siècle peut-être, avec des hauts et des bas, sans que nous sachions aujourd'hui ce que cela donnera. Le mariage du grand et du petit sans doute, c'est-à-dire avec des systèmes de contrôle opérant sur de grandes distances tout en privilégiant l'aspect local. La nouvelle révolution enfantera des modèles nouveaux qui émergeront par approximations successives. Cette expérimentation est en cours, en Europe, en Asie, en Amérique du Sud.
Dans cette période nouvelle, la notion de conflits va évoluer. Les guerres traditionnelles deviennent exception. Les guerres ne se "déclarent" plus et ne sont plus conclues par des traités de paix (le conflit avec l'Irak en 1991 était singulier). Nous aurons toujours des conflits, mais de types "guerre civile". La principale menace, pour l'Europe et la France, vient de nous-mêmes, par notre incapacité à faire de bons diagnostics, à adopter nos structures, ce qui pourrait accentuer des maux susceptibles de conduire à des phénomènes révolutionnaires.
(1) Le grand échiquier, Boyard-Editions. Notes de Michel Cuperly
COMPLEMENTS: TABLE DE POLITIQUE INTERNATIONALE