Un rabbin, aussi éminent soit-il ne représente pas le judaïsme, mais un des courants qui le composent. Ainsi, en est-il du rabbin Daniel Farhi. Mais ce dernier est l’un de ceux par qui le judaïsme libéral, majoritaire à travers le monde, a acquis en France sa renommée.
Un message universel
La religion juive, religion ancienne, n’est pas dépassée, souligne, d’entrée, Daniel Farhi : notre religion se veut universelle, elle l’est par son message compréhensible par tous, par l’expérience du peuple juif qui a connu à l’origine l’exode, la marche vers la terre promise, une expérience dans laquelle bien des peuples accédant aujourd’hui à l’indépendance peuvent se retrouver. Si tant d’écrivains juifs, dit-il, ont pu recevoir le prix Nobel, qu’ils aient écrit en yiddish ou en hébreu, n’est-ce pas parce que cette récompense allait à une œuvre universelle, partageable, comme l’œuvre d’Elie Wiesel, par d’autres hommes et communautés ?
Le peuple juif d’aujourd’hui, ce sont seulement quinze millions de membres dans le monde entier, donc très minoritaires et dont la voix n’est toujours entendue, ni d’ailleurs pas toujours émise, regrette Daniel Farhi.
Les séquelles de l’histoire
Le judaïsme d’aujourd’hui est l’héritier de la pensée juive, très riche, qui a su s’adapter au long de l’histoire à des circonstances à la fois difficiles et variées. Mais il est porteur également des séquelles de cette histoire souvent douloureuse. Beaucoup de communautés juives, constate l’orateur, ont tendance aujourd’hui " à se refermer sur elles-mêmes, à refuser une certaine part de l’universalité de leur message. Elles réagissent ainsi, explique Daniel Farhi, par crainte du monde extérieur, expérimenté comme étant un monde hostile ; par crainte aussi de l’antisémitisme qui est loin de baisser sa garde ; par crainte encore d’une dilution de leur identité dans la culture ambiante...
Autocritique
Il faut aussi souligner la méconnaissance aujourd’hui par le peuple juif de son propre héritage, de sa propre langue et à travers cela une ignorance de la Bible, de la très riche littérature exégétique juive. L’ignorance conduit au renfermement, au repli sur des rites, sur une religion littéraliste et non plus cherchant du sens au-delà de la lettre. Je dénonce cette tendance, dit D. Farhi en tant que rabbin appartenant à une mouvance libérale. De ce fait, le judaïsme, déplore-t-il, ne tient pas la place qu’il devrait être la sienne aujourd’hui. Le judaïsme a toujours quelque chose à dire à l’humanité ; l’évolution de la société, l’athéisme justifient cette parole.Le peuple juif doit pouvoir l’exprimer par une insertion sans complexe là où il vit, par un dialogue avec les autres religions et les autres courants de pensée, afin de faire jaillir de ces confrontations une lumière pour chacun. Certains s’y emploient. Mais dans les grands débats de société, le judaïsme est souvent absent ou fait entendre ses voix les plus extrêmes, pas nécessairement les plus authentiques. Ceci, à propos des débats autour du sida, de l’éthique médicale, de la justice sociale. Porteur d’une grande religion, mère des autres religions monothéistes, il ne se fait pas entendre en proportion de ce qu’il devrait. " Faisons notre autocritique ".
Notre époque a toujours besoin des voix prophétiques, comme Jonas nous en a donné l’exemple ; soyez " une lumière pour les Nations ", disait aussi Isaïe. Cette lumière doit pouvoir briller aujourd’hui aux côtés des lumières des autres religions, christianisme, islam, hindouisme, bouddhisme... souhaite l’orateur.
Abraham, toujours actuel
Auparavant, dans son introduction, Daniel Farhi, a présenté, à grands traits, les deux temps premiers de la religion juive, le temps de la Bible, d’abord puis le judaïsme post biblique, issu du Talmud de l’époque romaine. Première religion monothéiste de l’histoire des hommes, la religion juive a pris naissance sur " une terre chère à l’humanité toute entière ".
De la Bible, Daniel Farhi évoque le peuple hébreu, les enfants d’Israël, ces douze fils de Jacob et " le peuple d’Israël qui s’est formé dans les conditions dramatiques de l’esclavage égyptien ". Il souligne la nouveauté extraordinaire que représente la révélation faite à Abraham d’un Dieu Un, ni visible ni représentable, Dieu de toute l’humanité, Dieu de bonté et de justice, alors que les divinités de l’époque étaient multiples et rivales, capables de violences et de haines. Devant ce Dieu, l’humanité est Une également, les hommes et les femmes ont égale valeur, chaque homme est image de Dieu. " C’est pourquoi nous devons le respect à notre prochain, issu du même Dieu, créé à l’image de Dieu ".
Daniel Farhi s’attarde également sur l’événement " le plus important de l’histoire de l’humanité " : l’arrivée au Mont Sinaï, sur la route de la Terre promise, où le peuple avec Moïse entend pour la première fois la révélation divine, les dix commandements et bien d’autres qui concernent tous les aspects de la vie. Du lévitique, chapitre 19, il cite : " tu aimeras ton prochain comme toi-même " et un peu plus loin ; " tu ne molesteras pas l’étranger s’il vient sur ta terre. Vous vous souviendrez que vous avez été vous-même étrangers en Egypte ".
Déphasages d’hier et d’aujourd’hui
Survolant cette " histoire sainte ", Daniel Farhi raconte comment au fil des siècles la religion s’organise, les Israélites y seront plus ou moins fidèles, " plutôt moins que plus d’ailleurs ". D’où l’intervention des prophètes et de leur message dans les périodes troublées, entre le 8è et 6è siècles avant l’ère chrétienne, dénonçant le déphasage entre la religion et le comportement, " Un phénomène toujours contemporain et pas seulement dans le judaïsme ".
Puis viendra le temps où les rabbins élaboreront une législation prolongeant la Bible, revisitée et explicitée, avec la naissance à proprement parler du judaïsme, religion des habitants de Judée, à l’époque romaine et l’élaboration sur sept siècles, entre le 2è siècle avant l’ère chrétienne et le 5è siècle après cette ère, du Talmud, cette consignation dans plusieurs centaines de volumes des pratiques et réflexions juives. Le glissement d’un judaïsme rituel autour du temple vers un judaïsme d’étude et de discussion, a sauvé le judaïsme, estime D. Farhi, même si certains juifs, ignorant l’histoire, refusent l’adaptabilité chère au rabbin Hillel l’Ancien.
Notes de Michel Cuperly Regards sans frontières de mai 1999 5
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