Malgré l'extrême diversité des droits nationaux dans le détail, les systemes juridiques s'ordonnent en grandes familles. On ne s'étonne pas de les voir regrouper au sein d'une classique géographie des civilisations.
SYSTEMES DES PAYS DEVELOPPES
Il s'agit de pays développés, fortement industrialisés, à économie de marché. Ils ont opté pour des régimes démocratiques, pluralistes et libéraux (respect des libertés individuelles) et la prééminence d'un droit neutre envers les intérêts particuliers.
Ils sont à l'origine de l'ordre économique mondial actuel qui favorise la liberté de circulation des marchandises, des capitaux, des services et des hommes .
Marché, prix, démocratie sont les thèmes centraux de cette famille de nations largement inspirées par la pensée anglo-saxonne et plus particulierement nord-américaine.
Deux grandes familles juridiques se partagent le monde occidental, celle du droit écrit et celle de la Common Law. La premiere privilégie la regle et la seconde la procédure.
La famille romano-germanique:
Le droit européen continental s'est fondé sur la base du droit romain et du droit canonique et a été puissamment renouvelé par la conception philosophique des droits naturels de l'homme.
C'est un droit raisonné et commenté, largement inspiré par la réflexion de juristes universitaires: ce qui compte c'est le principe juridique . La procédure contentieuse n'est pas une fin en soi, mais un moyen de faire apparaître la regle de droit. Cette dernière est conçue comme une norme de conduite liée à la justice et à la morale.
La codification de textes réalisée au XIXeme siecle y joue un rôle important (code napoléonien, codes autrichien, allemand, suisse etc...). Elle a favorisé l' expansion en Europe et hors d'Europe du droit écrit romano-germanique.
Le recours aux principes généraux du droit permet, le cas échéant, de remédier aux lacunes de la loi: équité, droits fondamentaux de l'homme, limites imposées par les bonnes moeurs ou la bonne foi, abus de droit. Le texte écrit fournit la base du raisonnement juridique, mais le juge n'hésite pas à invoquer des prescriptions générales pour infléchir des dispositions particulieres formellement contenues dans la loi.
Tous les pays de droit romano-germanique traitent séparément le droit public et le droit privé, même un pays comme l'Allemagne fédérale qui a choisi des 1948 la voie de l'économie sociale de marché.
Le droit anglo-saxon: la Common Law:
Le droit anglo-saxon s'est formé en Angleterre (pas en Ecosse) à une époque où le pouvoir royal ne pouvait supporter la concurrence d'un pouvoir spirituel - ecclésiastique ou universitaire - susceptible de fixer des normes idéales.
C'est un droit des règles de procédure et non des règles de conduite. Le juge vise à rétablir un ordre troublé dans une circonstance particulière et non à définir l'édifice des comportements sociaux . Les juridictions royales n'avaient à l'origine qu'une compétence restreinte qui ne permettait pas de considérer le droit sous l'angle de la morale ou de la politique.
De là une technique juridique essentiellement centrée sur la pratique du procès. De là également le faible volume de règles générales par rapport à la jurisprudence des cas particuliers: ce qui rend particulierement difficile l'apprentissage du droit anglo-saxon.
Le droit anglais est un droit jurisprudentiel plutôt qu'un droit coutumier. Il tend cependant aujourd'hui à se rapprocher de la tradition européenne et à donner une plus grande place à la loi écrite.
Comme le droit romano-germanique, le droit anglais s'est diffusé à l'extérieur, mais essentiellement par la colonisation.
Les Etats-Unis ont longtemps hésité, apres l'indépendance, à appliquer encore la jurisprudence des cours royales et la législation de Westminster. Aujourd'hui, si les Américains se considerent comme un pays de Common Law, ils pratiquent un droit adapté à leurs structures propres:
- c'est un droit variable selon les Etats, en dépit d'un effort d'harmonisation fédérale;
- le droit public (droit constitutionnel et droit administratif) ainsi qu'une grande partie du droit privé des affaires (droit du travail, droit des sociétés, droit bancaire) sont très différents du droit britannique;
- la profession de juriste - les lawyers - est nombreuse et très diversifiée: elle assume aussi des fonctions de notaire et de conseiller juridique ou fiscal
- les instruments de superpuissance accompagnent les obligations de superpuissance .
Un nouveau droit national? le droit communautaire européen
Dans le domaine qui nous intéresse, la vie des affaires, la communauté européenne est en voie de façonner un droit commun, entre la Common Law anglaise et le droit romano-germanique. Plus proche il est vrai de ce dernier car la regle de droit tend à y être conçue comme une norme de conduite inspirée:
- d'un côté par la tradition culturelle du christianisme et du libéralisme;
- d'un autre côté par la volonté politique d'intégration dans un espace solidaire,volonté supérieure au laissez-faire des individus et des marchés.
La Communauté européenne s'institue donc, en matiere économique, comme une source de droit spécifique, autonome, avec la hiérarchie de ses textes (réglements, directions, recommandations, avis, communications) et surtout avec le rôle de la Cour de Justice des Communautés dont la jurisprudence constante affirme la primauté du droit communautaire sur les droits nationaux.
Le droit positif européen se rattache évidemment à la grande famille libérale, notamment en ce qui concerne les obligations internationales inspirées par le GATT ou le FMI. Il en est ainsi pour l'organisation des grandes libertés de circulation à l'intérieur de la Communauté: des marchandises, des services, des capitaux, des personnes physiques et morales (Traité de Rome et Acte Unique de 1986).
Mais cette liberté s'organise et se surveille... avec des réglements:
- surveillance des pratiques commerciales illicites;
- interdiction des ententes et abus de position dominante (article 85 du traité de CEE);
- politique de concurrence (articles 85 et 86).
En outre la Communauté s'efforce de créer des conditions favorables au développement intégré:
- -par l'effort d'harmonisation des législations nationales, notamment dans les domaines de l'impôt, des politiques sociales, des normes, des reconnaissances de diplômes;
- par la tentative de créer un droit communautaire des sociétés: tentative toujours vaine en ce qui concerne l'idée d'une société commerciale européenne mais déjà esquissée en ce qui concerne les modalités de coopération (Groupement Européen d'intérêt économique).
La conception du libre marché intérieur et la conception de l'intégration européenne ne donnent pas toujours des solutions politiques ou juridiques convergentes, par exemple dans le domaine des ententes (Affaire HAVILLAND).
LES DROITS TRADITIONNELS OU MIXTES
Les conceptions européennes du droit expriment des valeurs puisées dans un héritage commun (gréco-romain, chrétien, individualiste): la règle de droit y est avant tout considérée comme un instrument de contrôle social et de protection de l'individu.
Au contraire d'autres sociétés donnent au droit une place assez secondaire. Cela ne signifie pas qu'il n'y existe aucune regle, ni même aucune regle de droit, mais le juriste ou le chef d'entreprise doit être prêt à y pratiquer d'autres formes de régulation des comportements. L'imagination et la flexibilité du juriste sont d'autant plus nécessaires que c'est le plus souvent dans ces pays lointains parfois d'anciens territoires coloniaux que s'impose la technique de la Joint-Venture et que fonctionnera la filiale commune: il n'est pas nécessairement recommandé d'y transposer les "certitudes" du droit occidental.
En Extrême Orient, par exemple dans le droit chinois ou japonais, la regle de droit - réglement ou contrat - n'a pas la dignité qu'on lui prête en Occident. Un bon citoyen ne se soucie guere du droit formel et des recours contentieux qui lui sont offerts. Il doit savoir se comporter d'une maniere qui rende inutile le recours aux tribunaux. La considération de l'harmonie, du respect dû au rang social, de la confiance prévalent sur la regle écrite: on pourra s'en persuader en lisant la monographie consacrée au Japon.
Les droits coutumiers africains, extrêmement divers, ont en commun un sens aigu de la communauté - au détriment de l'individu - et de la tradition - contre toute opération moderniste qui pourrait modifier l'ordre du monde. La personne est support d'un statut et d'obligations plus que de droits subjectifs.
Dans l'Islam le droit est une des faces de la religion, la "Charia", "la voie à suivre", l'ensemble des obligations envers Dieu et envers les autres. C'est-à-dire que le droit est fortement intégré dans la vie sociale mais il s'agit du droit d'une communauté de croyants.
Le droit hindou traditionnel repose sur une croyance en un ordre de l'univers auquel chacun se conforme en fonction de sa caste d'appartenance: le dhama est la science des justes, l'artha est celle du commerce et de la politique, le kama, science du plaisir, est réservé aux femmes.
Bien entendu les droits traditionnels ne sont pas restés hermétiquement clos. Le contact avec les sociétés occidentales - sous la forme de la colonisation ou de la diplomatie économique - les exigences de la modernité ou tout simplement de l'existence quotidienne ont introduit des éléments de changement dans les sociétés traditionnelles.
Il s'agit le plus souvent de changements par juxtaposition ou par superposition, imposés par la puissance coloniale: en Afrique, dans le Moyen-Orient, en Inde. Les superstructures persistent après l'indépendance et parfois même en plusieurs couches: aux Philippines par exemple sur un fonds coutumier largement islamisé se sont greffés un droit civil hispanique (en gros, le code napoléonien) puis un droit public et économique nord-américain.
Ailleurs le "prince", simple gestionnaire comme de nombreux sultans, ou véritable révolutionnaire (ATATURK, les colonels du MACHREK, les généraux et empereurs d'Afrique, Pierre le Grand et GORBATCHEV) introduit des éléments de modernité plus ou moins acceptés (échec de la modernisation de l'Iran).
Ces éléments peuvent être des accommodements partiels, limités dans le temps ou dans l'espace (comme la Joint Venture ou l'opération Desert Storm en Arabie Saoudite, ou encore le régime des "concessions" dans la Chine impériale du XIX° siecle). On peut aussi envisager des dispositions plus durables, négociées dans l'intérêt du pays d'accueil (législation permanente sur les investissements étrangers).
Ce peut être enfin une transformation profonde souhaitée par la Communauté internationale en échange d'une sorte de reconnaissance économique: par exemple la libéralisation récente de l'économie en Amérique Latine... et dans les anciennes régions socialistes.
Avant 1917, les pays socialistes d'Europe de l'Est étaient essentiellement engagés dans la tradition romano-germanique du droit continental. La Révolution d'Octobre visait à établir, à terme, une société communiste, sans Etat et sans droit, où l'harmonie sociale devait découler de la disparition des conflits de classe.
En attendant cet âge d'or, l'Etat socialiste, propriétaire des moyens de production, et planificateur de toute activité, était devenu la source d'une sévere discipline des individus et des entreprises.
Ceci du moins jusqu'à la Perestroïka et aux mouvements profonds qu'elle déclenche à l'Est depuis 1985 et qu'il suffit de rappeler brievement: liberté de mouvements accordée aux pays-tampons, institution du pluralisme démocratique, introduction progressive de l'économie de marché, rattachement de la République Démocratique allemande à la République Fédérale, dissolution du Pacte de Varsovie et du Conseil d'aide économique mutuelle (COMECON), accélération du processus de démocratisation et de décentralisation en Union Soviétique apres le coup d'état manqué d'août 1991.
A cela s'ajoutent les étonnants problemes de remaniements de frontieres en Yougoslavie et surtout dans l'ex- URSS, ce qui fait surgir ou resurgir de nouveaux acteurs nationaux (Etats baltes, Ukraine, BiéloRussie, Moldavie, Géorgie, Slovénie, Croatie, Grande Serbie...).
Pour s'y retrouver, le juriste devra d'abord attendre que le politologue dessine la nouvelle carte des entités territoriales sources de droit. L'économiste précisera le fondement des économies réorganisées avec le consilium et l'auxilium des Occidentaux : le but suprême n'est plus l'édification de la société communiste mais celui d'une économie de marché fondée sur la liberté d'entreprise.
Quant aux relations entre personnes, elles seront vraisemblablement modifiées par l'élargissement des libertés individuelles sous l'effet des engagements internationaux (du type "Convention de Sauvegarde des droits de l'homme, Conférence d'Helsinki sur la Sécurité) et surtout du jeu démocratique pluraliste.
Les règles de droit qui restent à définir prendront ainsi un aspect nouveau:
- elles resteront certes, comme dans les états socialistes, et occidentaux, une regle de conduite impérative, mais elles devront tenir compte au moins autant de la liberté des personnes que la transformation de la société;
- l'objectif social a changé puisqu'il s'agit, au moins en principe, d'organiser une société démocratique, pluraliste et libérale fonctionnant sur la base d'une économie de marché;
La phase difficile est évidemment celle de la transition qui peut s'étendre sur deux ou trois décennies.On ne peut faire abstraction des énormes risques de conflits entre nationalités, entre groupes sociopolitiques (peut-on ignorer ces risques lorsque s'effondrent à la fois un empire et une conception du monde?). Le travail proprement technique des hommes d'état, des économistes et des juristes est extrêmement compliqué. Comment, même en supposant l'adhésion efficace des populations, transformer dans l'urgence un système de propriété, de production, de distribution, de commerce extérieur etc.... On en aura une petite idée en examinant l'adaptation des structures juridiques et comptables des entreprises de l'ancienne RDA qui s'opere pourtant dans un contexte politique et financier favorable.
Il est vraisemblable que l'investissement direct étranger, et notamment la Joint Venture, jouera un rôle important dans la transformation des économies socialistes. Les juristes d'affaires internationaux y seront aux première loges. Du moins ceux qui ne se contentent pas d'énumérer la liste des documents administratifs nécessaires à la création d'une société, mais acceptent d'entrer avec la communauté des décideurs dans la complexité d'une action d'envergure. |