Optimiste, Michel Drancourt ? Oui et il a des arguments pour nourrir ses convictions. Certes, le pessimisme sévit en Europe et en France : il correspond à "la dégringolade" qu'a connue notre pays : "Nous étions les premiers... sous Louis XIV !" Si nous voulons conserver vos vieilles habitudes d'antan, il faut fermer strictement les frontieres, avec la perspective de devenir une petite Albanie -"le rêve de Blondel" et en finir avec l'Europe. Mais à terme, c'est alors la pauvreté pour tous.
Le commissaire à la reconversion de la Lorraine qu' a été Michel Drancourt appelé par cette fonction et aussi comme chargé de la restructuration de Thomson à traiter plus de 200 000 postes à reconvertir, ne reconnaît plus aujourd'hui la région sidérugique de jadis, régénérée, diversifiée, malgré la crise. En dépit de dépenses inutiles, de promesses non tenues et erreurs diverses, la France voit sa production augmenter depuis 20 ans et 'un tiers des Français vivent mieux. Il y a donc des réussites et des failles. Les Français doivent apprendre à se prendre par la main, à faire par eux mêmes, à payer les services, source d'emplois, à ne pas trop compter sur l'Etat-Providence.
L'emploi augmente partout
Un bref retour en arriere avant d'examiner l'avenir du travail dans une économie qui se mondialise. Un constat, d'abord : l'emploi augmente partout. Sur la base 100 en 1949, il est, en 1994, à 210 aux USA, à 180, Japon ; 140, Allemagne ; 115, France ; 110, Italie ; à 100 en Grande Bretagne. Entre 1970 et 1994, les USA ont créé 41 millions d'emplois, dans le secteur dit productif, trois sur quatre étant qualifiés ; l'Europe, dans le même temps, crée seulement 8 millions d'emplois, surtout dans les administrations Le taux de chômage aux USA se tient autour de 6 %, il grimpe à 11 %-12 % en Europe. C'est pourtant aux USA que le temps de travail est le plus long.
Des changements, considérables, s'operent dans la nature du travail et dans l'affectation des emplois
Les emplois qualifiés s'en tirent assez bien ; pas les non-qualifiés. L'emploi se precarise. Dans les pays enropéens vieillissants, les situations sont "bismarkisées" : on est protégé quand on est dans le systeme.
L'expérience, grandeur nature, du partage du travail a été réalisée avec le systeme soviétique, mais les gens n'étaient pas payés ! On l'oublie.
Nous n'avons pas encore intégré toutes les conséquences de la révolution informatique. Nous sortons du taylorisme, cette forme d'organisation, la seule capable d'assurer vraiment le plein emploi, les hommes étant appelés alors à suppléer en masse les défaillances des machines.
L'entreprise change
Le travail change dans sa configuration. Les grandes unités sont de moins en moins nombreuses : pas plus de 10 usines rassemblent plus de 5000 personnes ; un peu plus pour des emplois de bureaux. Les sieges sociaux de deux-tiers des grandes entreprises occupaient plus de 2000 personnes ; aujourd'hui, la moitié ont moins de 300 personnes. L'externalisation bat son plein (une exception : Accor y renonce); l'entreprise se concentre sur ses métiers.
Il faut souligner l'importance du professionnalisme... et ne pas oublier que le travail de l'un est lié à l'autre...au client. Nous sommes tous des clients.
Nous vivons une période de transition : compte-tenu de notre vieillissement, en 2020, la France manquera de main d'oeuvre.
Nous continuons à raisonner comme si les occidentaux étaient seuls au monde. Or, ils sont devenus minoritaires, face à des sociétés différentes des nôtres qui entrent en compétition avec d'autres approches. Francis Blanchart, du BIT voyait un milliard d'emplois créé d'ici l'an 2000. Cela se produit. En Chine, en Inde, la vie est plus rustique. Les revendications des travailleurs coréens illustrent les évolutions qui vont se produire dans ces pays au fur et à mesure de leur intégration dans le systeme d'échanges mondiaux.
Les perspectives
Les réponses à la question du chômage ?
Il y a les réponses passives, c'est la politique actuelle, indemnités, réduction du temps de travail, bricolage des charges, travail noir...
Il y a les réponses actives, ce sont la formation, la création d'entreprises Nous négligeons des ressources financieres et humaines. Les jeunes ne connaissent pas nombres des métiers de demain.
La Loi Robien est une rustine qui coûterait cher si on la généralisait, tant sont grandes les réserves de productivité.
Les perspectives ? Il faut se préoccuper d'enrichir les tâches : il faut que les gens trouvent intérêt au travail.Notons que les inégalités dans les conditions et la durée du travail sont considérables.L'externalisation, la démassification sont favorables à la création d'emploi.
Chacun doit devenir un entrepreneur de soi-même. Pas facile.
Les conséquences inéluctables des évolutions à venir sont là : les protections sociales ne pourront pas rester ce qu'elles sont. Notre façon d'habiter changera avec l'évolution du travail. L'avenir est ouvert. Le syndicalisme à prétention économico-politique globale cédera le pas aux syndicats corporatistes plus virulents. Un clivage apparaîtra entre les gens formés et les autres.
Le temps libre va s'accroître encore, alors que nous le remplissons mal. Je vois une hausse de niveau de vie, des accidents de parcours, des ratages. Il s'agit d'accepter le mouvement. Ce sera un monde ouvert où chacun devra se prendre par la main pour l'affronter. Je crains pour les pays où les gens, sans inquiétude ni conscience, attendront tout des autres et de la collectivité. Notes de Michel Cuperly
Michel DRANCOURT Homme de plume, homme d'action
Le journaliste qu'il a été - rédacteur en chef d'Entreprise, rédacteur en chef adjoint et grand reporter de Réalités - a cédé le pas au chroniqueur qu'il est devenu, dans Le Point, La Croix, Valeurs actuelles. Le theme de l'entreprise et de l'économie a toujours mobilisé Michel Drancourt.
Les mêmes themes courent au long de ses ouvrages, plus d'une douzaine déjà à son actif. "Plaidoyer pour l'avenir" et Le "pari européen" écrits avec Louis Armand sont dans toutes les mémoires. Il écrit aussi sur l'or, les clés du pouvoir, l'artisanat français. "Vive la croissance", ironie du calendrier est publié en 1973, au moment où expirent les Trente glorieuses... Mais Michel Drancourt y croit : "Demain, la croissance" est écrit en 1985 avec Albert Merlin. C'est des 1981 qu'il publie un essai sur " La fin du travail" (Collection Pluriel, Hachette), avant qu'un auteur américain ne reprenne le même titre : "The end of the work" de M. Rufkin. Apres "L'économie volontaire, l'exemple du Japon" (Odile Jacob, 1989) et "Mémoires de l'entreprise" (R. Laffont 1993), Michel Drancourt vient de publier, en collaboration "L'entreprise dans la nouvelle économie mondiale" (PUF 1996).
L'homme de plume ne doit pas faire oublier l'homme d'action : M. Drancourt a été commissaire à l'industrialisation de la Lorraine, directeur général de la Télémécanique et, pendant 17 ans, il a été délégué général de l'Institut de l'entreprise, cercle de réflexion du monde de l'entreprise.
COMPLEMENTS TRAVAIL, CHOMAGE, EMPLOI