1. En un quart de siecle, on est passé de l'incompatiblité entre religion et société, conduisant inéluctablement à l'éviction des religions (sécularisation de la société), à la prolifération des mouvements religieux et des sectes. Eviction qui d'ailleurs ne signifiait pas, quelles que soient les théories sociales développées, la disparition des intérêts spirituels des individus mais se traduisait par une radicale privatisation des sentiments religieux.
La définition même de la modernité impliquait cette maniere de penser : avancée inéluctable de la rationalisation opposant société moderne gouvernée par la science et la technique à société traditionnelle gouvernée par l'argent, affirmation de l'autonomie du sujet, doté de raison, réputé capable de déterminer lui-même les valeurs et les regles susceptibles d'encadrer sa propre vie, nette différentation des spheres de l'activité sociale et humaine. Volonté tres claire des acteurs impliqués dans chacune de ces spheres de faire valoir ses valeurs propres. Rationalité : l'homme moderne est convaincu de maîtriser l'incertitude et de faire reculer les frontieres de l'obscurité. Autonomie du sujet : l'homme moderne délibére avec d'autres sujets citoyens, se sent de moins en moins dépendant d'une autorité, d'une révélation, d'une loi quelconque alors qu'il revendique le droit d'élaborer son propre régime éthique. L'autorité des grandes traditions religieuses s'est trouvée affectée par la revendication de cette autonomie. Troisieme registre : l'espace religieux lui-même devient un domaine d'activité spécialisé, un choix personnel, optionnel. Trois données fondamentales de la modernité qui font que l'espace de la religion ne cesse de se rétrécir. Et les enquêtes empiriques n'ont fait que confirmer pleinement cette hypothese. Depuis 1959 il meurt chaque année plus de prêtres qu'on en ordonne. Dans un pays comme la France il y avait 47.000 prêtres en 1945, il y en a environ 25.000 aujourd'hui et les statistiques indiquent qu'il ne devrait plus y en avoir que 8 à 10.000 en 2.005.
De même en ce qui concerne la pratique religieuse, même dans une conception assez laxiste de l'observance réguliere, elle tourne autour de 7 à 8% et quant aux jeunes de 18-24 ans, elle est inférieure à 4%. Mais encore conviendrait-il de s'interroger sur le rôle de la religion dans l'émergence même de cette modernité séculiere? Précisément c'est dans le christianisme, et dans sa forme la plus épurée ( le calvinisme) que se sont tissées les valeurs fondamentales de la modernité. Et on peut aller plus loin encore en soulignant qu'apres le judaïsme inventant la notion d'alliance (un Dieu qui négocie avec son peuple) le processus historique est entre les mains de ceux qui le font (autonomie de l'histoire). Le mouvement chrétien qui vient apres, transmet cette notion d'alliance en l'universalisant à tous les hommes (et non plus seulement au peuple élu) et en précisant que la bonne nouvelle est adressée à chaque individu. L'univers religieux a mis sur orbite le satellite modernité.
2. Au début des années 70, bien que privatisée la religion entre en force dans l'espace public. Capacité prodigieuse de mobilisation collective du religieux en Amérique latine, en Pologne, en Afrique, dans le monde arabe... en particulier de l'islam dans des pays qui ont vécu la modernité comme une agression externe. Et quand la question de l'identité religieuse s'est posée dans les pays de l'Europe de l'ouest et aux Etats-Unis (élection Reagan) il a bien fallu faire une relecture de la sécularisation (dont une réflexion sur la religion populaire). Le concile Vatican II en a été l'élément déclenchant, l'Eglise ayant pris conscience du fossé qui la séparait de l'homme moderne. Réformes qui ont interrogé les sociologues d'autant que certains phénomenes de religiosité populaire (pelerinages, pardons...) devaient être regardés avec de nouveaux yeux. Mais le vrai tournant intellectuel a été l'efflorescence des nouveaux mouvements religieux qui ont pris corps à la fin des années 60 aux Etats-Unis et en Europe. On a vu se profiler de nouvelles formes d'expression religieuse : courants spiritualisants allant jusqu'à la croyance en la réincarnation, ensembles conversionnistes centrés sur l'individu capable de changer de vie suite à une expérience de conversion fortement émotionnelle (mouvements pentecôtistes, phénomenes charismatiques). Mouvements de renouveau s'adressant aux couches les plus engagées dans la modernité et ce dans toutes les religions et confessions. Constat que la société moderne était au contraire formidablement croyante. N'a-t-il pas fallu d'ailleurs attendre la crise économique, et l'éclatement des certitudes séculaires, pour comprendre que la modernité est un dispositif de changement permanent (incertitude structurelle). Aucune centralité organisatrice ne peut offrir un code du sens global. Nous sommes pris dans des logiques relativement autonomes et différentiées qui contraignent les individus à organiser eux-mêmes leur vie. Codes définitivement brouillés dans la modernité qui est la nôtre centrée sur l'individu. Probleme majeur : la validation du systeme de sens. Le seul dispositif qui soit efficace aujourd'hui est la validation interpersonnelle, sociale, culturelle, à l'intérieur de petits groupes (des individus qui se "témoignent" sur la seule garantie des sentiments qu'ils se portent). Et les grandes institutions elles-mêmes sont confrontés à ce phénomene de prolifération, de sectorisation.... Une secte, pour un sociologue, est un dispositif de sociabilité religieuse qui se définit par rapport aux Eglises. Alors que les Eglises travaillent en extension, couvrent un territoire, les sectes, elles, rassemblent de petits groupes de convertis, qui ont choisi eux-mêmes d'assumer cette conversion. Les sectes en étant exigeantes sont d'une pertinence extrême par rapport au modele de validation interpersonnelle des valeurs. Elles sont donc appelées à se développer et ce à l'intérieur même des grandes institutions.
Une chose est certaine "la fin du religieux c'est fini !"
Notes de J. Braconnier, non relues par le Conférencier Lettre d'Alerte aux réalités internationales de juin-juillet 1997
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