Ce qui est probablement éternel et universel, c’est le changement qui procède inéluctablement de l’expansion démographique, l’innovation technique et l’évolution des idées.
La mondialisation n’est qu’une modalité possible du changement : c’est l’extension territoriale (mondialisation proprement dite) et la généralisation à toutes les activités humaines (globalisation ou, à la limite, totalitarisme) d’un mode de changement qui peut conduire à une certaine uniformité universelle des comportements .
Acquise ou innée, la culture est au contraire une manière d’être relativement stable dans un espace donné, pour une période donnée. Elle organise les comportements particuliers (notamment les habitudes de consommation) , à travers des procédures techniques, des normes, des rites, des valeurs.
Le marketing s’intéresse aux cultures depuis quelques années. Il y a d’abord puisé des arguments de vente aux " indigènes " de tous les pays (en France, par exemple, la Mère Denis ou Justin Bridou...), puis des opportunités de segmentation d’une classe moyenne trop anonyme : l’homme au complet gris et la ménagère de moins de cinquante ans. Le marketing s’interroge aujourd’hui, comme le management (et comme l’homme de la rue), sur les relations futures entre le mondial et le local.
I- MONDIALISATION
La mondialisation a connu dans l’histoire bien des phases et des aspects : révolution agricole du néolithique, anciens empires, christianisation , grandes migrations, expansion coloniale, industrialisation, idées révolutionnaires françaises puis soviétiques, Belle époque d’avant-guerre de 1914-18. Elle en connaîtra bien d’autres...
La mondialisation contemporaine a opéré un tournant significatif à la fin des années 1980, d’une part avec le retour des pays en développement sur la voie de la croissance rapide, d’autre part avec l’implosion des économies socialistes. Elle prend la forme de " la démocratie de marché ", à savoir :
sur le plan politique, le changement des sociétés par un mode de gouvernement, la démocratie pluraliste, et une finalité, la liberté des individus ; sur le plan économique, la prépondérance du contrat entre personnes physiques et morales, de préférence à la loi qui s’impose à tous.
A- LA MONDIALISATION : FACTEURS ET MODALITES
1°) Le progrès technique
Le progrès technique retrécit les distances et raccourcit le temps. Le nombre de scientifiques actuellement en vie est supérieur à tous ceux qui se sont succédés sur la Terre depuis que la science s’est dégagée de la pensée magique. Et ces scientifiques disposent d’instruments de recherche, expérimentation et communication infiniment plus multiplicateurs que ceux de leurs prédécesseurs.
L’impact du progrès technique se note dans les transports, les télécommunications, les technologies de l’information : tout concorde à faciliter la mondialisation des échanges et la normalisation notamment à travers les langages (anglais , protocoles informatiques, normes comptables etc...). La traduction automatique par téléphone sera un facteur d’accélération d’abord pour le texte, puis pour la voix.Des téléphones interprètes seront disponibles avant dix ans pour les principaux langages.
2°) L’intensification des échanges
Marchandises
La croissance des échanges est nettement plus rapide que la croissance mondiale. De plus en plus, les produits sont conçus ou fabriqués ici pour être consommés ailleurs.
Services
La diffusion des modes de production entraîne avec elle la mondialisation des transports et des communications, de l’innovation technique, du contrôle financier, des prestations juridiques...
Hommes :
Vieillissement à l’Ouest (Japon compris) et doublement à l’Est et surtout au Sud. Le prochain doublement de la population mondiale s’effectuera avant 2040,et cela seulement dans les actuels pays en développement. Ce phénomène est facilité par le changement technique (alimentation, santé) ; il est lui-même puissant facteur de changement et de prise en considération mondialiste.
Capitaux
La libération des échanges financiers et la nouvelle ingénierie juridique (titrisation des actifs, produits dérivés) ont créé une masse de monnaie plusieurs fois supérieure aux besoins de " l’économie réelle " et qui tourne autour du globe à la recherche de taux d’intérêt sans risques.
3°) Facteurs de perception de l’unité du monde
Unité de représentation : la vision par satellite, la télévision);
Unité de communication : la langue anglaise, Internet, les télécommunications, l’opinion publique mondiale et les Organisations Non Gouvernementales;
Unité d’occupation de l’espace habité : le prochain doublement de la population mondiale
Unité de risque :le risque nucléaire et Tchernobyl, le risque biologique (SIDA) , le risque financier systémique, le risque de prolifération nucléaire, le risque terroriste...
Dans l’intensification des échanges de toutes sortes, et dans la formation d’une " conscience mondiale ", les facteurs techniques ou démographiques ont été renforcés par la philosophie libérale, appuyée sur la diplomatie américaine : grandes négociations commerciales du GATT, rôle de la Banque Mondiale et du FMI.
4°) Le modèle anglo-saxon , support du mondialisme:
La mondialisation, c’est aussi un idéal politique d’intégration et les idéaux politiques ont toujours été portés par la puissance dominante.L’Amérique a triomphé en 1945 puis en 1989 (mur de Berlin). Elle est aujourd’hui la seule superpuissance économique, militaire, politique et culturelle (la langue, les valeurs WASP, Disney Land...)
Son système de valeurs : l'idéalisme wilsonien complété par l’école économique de Chicago (monétarisme, " consensus de Washington " imposé aux pays endettés : rigueur conjoncturelle, ouverture aux échanges, privatisation...)
B- IMPACT SUR LES DECIDEURS
Le changement et la mondialisation ne sont pas nécessairement considérés comme un progrès...Certains y voient la possibilité de diffuser des comportements dégagés des pouvoirs publics et plus solidaires, davantage conscients de la responsabilité collective. D’autres y décèlent un risque pour leurs avantages acquis dans l’ordre économique (protections, monopoles et diverses rentes de situation menacées par " la concurrence sauvage ") et dénoncent volontiers la tentative de colonisation anglo-saxonne derrière le discours humaniste de la démocratie de marché
1°) Les consommateurs
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Pour les consommateurs pauvres : ( y compris ceux des sociétés riches)
Là se trouvent les vrais besoins de l’industrie de consommation. Le passage de 5 à 10 milliards d’habitants en moins d’un demi-siècle, la vraisemblable exclusion croissante dans les pays riches (chômeurs, immigrés, minorités ethniques etc...) constituent une énorme " lumpen-Konsumer gesellschaft " à portée facile pour l’industrie de masse. Mais qui paiera ?
Selon les études du FMI ou de la Banque Mondiale, les conditions pour une croissance à deux chiffres mais raisonnable sont déjà réunies pour une masse énorme de populations d’Asie , d’Amérique latine et d’Europe de l’Est. On peut espérer que les Africains d’une part, les Arabes d’autre part, se décideront un jour à exploiter leurs énormes ressources minières et humaines pour en faire autre chose que de la chair à canon (ou à couteau d'égorgeur).
Par ailleurs, au cours de son histoire, l’ingénierie financière s’est montrée capable d’inventer des sources et méthodes de financement (sociétés anonymes, crédit immobilier, sécurité sociale, fonds de pension...) capables de susciter le décollage de n’importe quoi : grands travaux, guerres, société de consommation, entretien des personnes agées...
b) Pour les consommateurs aisés (y compris ceux des sociétés pauvres) :La notion de besoin à satisfaire a laissé la place à celle de marchandisation, c’est à dire la capacité à transformer des besoins (subsistance, reproduction, sécurité, socialisation, réalisation de soi...) fondamentaux certes, mais pas infiniment extensibles, en une relation marchande solvable qui justifie entreprise et profit.
Les entreprises occidentales ont donc intérêt à diffuser voire élargir le degré de commercialisation atteint dans nos sociétés. L’avenir de la consommation dépendra en partie de cette capacité.
La récente vague des privatisations, datée de l’ère Reagan a fait entrer dans la sphère marchande des domaines collectifs qui relevaient autrefois de décisions politiques dans bon nombre de pays industrialisés, dont les USA (industries de base, énergie, infrastructures, communications). Au delà des entreprises publiques, certains envisagent de privatiser les grands services publics (éducation, santé). Et pourquoi pas les pouvoirs publics ? l’accès et le maintien au pouvoir dans les démocraties occidentales fait déjà une part non négligeable à l’argent douteux des dépenses électorales et à une communication publicitaire non moins suspecte ; la défense nationale et la police coûtent très cher. De petits états sont en fait sous le contrôle des mafias, seules capables de les financer grâce à la drogue et au trafic d’armes.
La marchandisation a également porté sur la sphère des décisions intimes : relations intra-familiales , l’éducation des enfants en multipropriété , le sexe bien sûr, la santé et son corollaire, le bien-être et la " super-forme " de chaque instant (" A moi le Prozac, libérez les drogues douces, remboursez mes dépenses de haschich ! ") D’autres secteurs sont en voie de marchandisation : l’air, l' eau, le silence, la sécurité personnelle, la gestion des personnes âgées. La spiritualité n’est pas non plus à l’abri (du marketing religieux à la Scientologie ou à la Secte Moon).
Dans les pays industrialisés, le développement potentiel de la marchandisation donc offre de larges perspectives aux hommes de marketing qui sauront s’extraire de la lessive pour fréquenter les lobbies de la privatisation.
2°) Les épargnants :
Ils achètent des produits financiers et offrent de l’épargne nécessaire aux investisseurs. Le consommateur, objet rêvé du marketing, et idéal affirmé des promoteurs du libéralisme commercial est en principe en concurrence avec les objectifs des épargnants.
Epargnants et consommateurs sont , en première approximation, deux facettes du même " homo economicus ", mais pas nécessairement. Les pays en développement, les jeunes générations épargnent peu (sauf pour la contrainte de l’accès au logement).
L’épargnant, tout autant et peut-être plus que le consommateur et que le producteur, sera le pivot de l’économie à venir. De lui dépendront les arbitrages entre le court terme marchand (achats d’impulsion par les particuliers) et le long terme non ou peu marchand (transferts entre générations, préservation du patrimoine naturel et humain, sécurité), entre les pays (placements dans les PVD pour y garantir une croissance sécurisante et s’assurer le financement des retraites).
Une question demeure : les Etats-Unis demeureront-ils les grands endettés de la planète (dette commerciale, dette publique, dette des ménages) ? et si oui, qui financera cette dette, les trois principaux prêteurs (Japon, Allemagne, Arabes) ayant aujourd’hui leurs propres problèmes ? Et si non, qui maintiendra la mondialisation et la société de consommation telles que nous les connaissons ?
3°) Les producteurs dépendants
Trois stratégies possibles : le fatalisme (disparaître, se faire prendre en charge par autrui), l’adaptation rapide (pragmatisme, downsizing...), l’anticipation créative de services nouveaux et de méthodes pertinentes. Pour le moment, les dirigeants d'entreprises sont les truchements de ces processus envers leurs employés: ils en seront bientôt la cible.
4°) Les investisseurs et producteurs indépendants
Une poignée de grandes entreprises jouent depuis un demi-siècle le jeu de la mondialisation (pétrole, lessive, Coca Cola...). D’autres les rejoignent progressivement. La tendance n’est pas à la concurrence mais à la création de " conditions stables de marché " (alliances et ententes, monopoles techniques, législations sécurisantes...). Mais l'acteur dominant, fixant les règles du jeu, sera de plus en plus le gestionnaire d'actifs financiers soucieux de rentabilité et de sécurité.
II- CULTURE, CULTURES
Malgré leur relative stabilité, les cultures sont aussi confrontées au changement et à la mondialisation qui échangent les hommes et les idées .La mondialisation, ou plus précisément le changement, tend à éclater les supports socio-culturels qui constituaient autour de l’individu une solide armature d’identité collective. Ceci est surtout vrai dans les sociétés occidentales.
Il ne faut pourtant pas exagérer la profondeur de cette évolution ni son étendue géographique, ni peut-être sa persistance. Soit par maintien de structures profondément enracinées dans l’histoire des hommes, soit par réaction au mondialisme dans sa version anglo-saxonne, les cultures peuvent constituer des pôles de refus ou d’interprétation du changement.
A- DEGRADATION DES IDENTITES
1°) la dégradation des structures qui supportent l’identité collective
Au XIX°siècle déjà, l’industrialisation, la grande ville et l’état centralisé ont suscité le recul des vieilles structures sociales : paysannerie, artisanat, corporations, notables locaux, communication villageoise, solidarité de la famille élargie ...
Le XX° siècle finissant dégrade d’autres structures : état nation, famille parentale, classes sociales (un moment relayées par les catégories socio-professionnelles, mais aujourd’hui éclatées dans leurs comportements au sein même des comportements individuels).
Au moins dans les pays avancés, les sociétés se dissolvent au profit de l’individu, de ses divers rôles (consommateur, producteur, épargnant, amant, père de famille etc...) et même des moments particuliers d’une existence jalonnée par le caprice du bon plaisir. " Tout et tout de suite " sans contrainte ni contrepartie. Une certaine conception du marketing trouve son débouché normal dans les conduites déviantes (drogue, psychotropes divers...)
2°) les rapports abstraits :
Le marché introduit des " rapports froids " de type contractuel, formel, à critères numériques (le prix)
la démocratie privilégie les rapports juridiques : loi et règlement, autorité.Poussée dans sa logique par la mondialisation, cette démocratie de marché s’apparenterait beaucoup à une démocratie des grains de sable homogènes, vulnérables aux vents de la publicité mais surtout aux structurations imposées par les grands monopoles privés (Microsoft, Boeing, grands pétroliers, entreprises de réseaux...) qui se créent à l’abri de la dérégulation et sous la bannière affichée de la concurrence.
B- REAFFIRMATION DES IDENTITES ?
Ce qui gêne le plus dans la forme actuelle de mondialisation c’est , d’une part, son caractère fortement américano-centriste, d’autre part sa foi naïve (ou peut-être cynique) dans la vertu de l’entreprise capitaliste et du marché. " Je crois que le monde sera meilleur ", dit Steve Jobs à Bill Gates en le remerciant de la quasi fusion entre Apple et Microsoft . Dans ces conditions, la résistance culturelle peut provenir d’un refus de domination économique et politique américaine ou d’un sage désir de recentrer la vie autour d’objectifs qui ne se limitent pas à la surconsommation d’excédents.
1°) Réaffirmation des identités collectives
Devant les risques possibles d’une mondialisation bien peu pluraliste et bien peu multiculturelle, on peut constater ou envisager plusieurs réactions collectives.Trois phénomènes géostratégiques ( le protectionnisme, les troubles des états-nations, les réactions religieuses) et deux mouvements internes, encore mal clarifiés : l’entreprise pourquoi faire ?, la consommation, pourquoi faire ?
a) les producteurs nationaux et le protectionnisme :
L’Afrique ne cultive plus le sorgho parce qu’elle doit absorber les surplus agricoles européens ou américains, surplus artificiellement gonflés par des méthodes polluantes (nitrates) et potentiellement dangereuses (génétique) et par le clientélisme électoral. Le décollage de l’Asie orientale ne s’est pas produit grâce à la démocratie de marché mais en dehors d’elle. En Europe, les " cultures nationales " défendent en principe " les produits bien de chez nous " et dénoncent " la concurrence sauvage " et " la camelote étrangère " mal contrôlée.
Malgré le côté conservateur, voire rétrograde de certaines résistances, il faut leur maintenir un certain rôle dans l’équilibre des marchés. En effet lorsqu’une collectivité, fût-ce une grande démocratie, atteint une position d’extrême domination , avec les technologies correspondantes, elle peut pousser sa logique au-delà du raisonnable. Sauf si elle implose de l’intérieur, à la manière de l’Union Soviétique par exemple. Le choix pour l’Amérique d’un modèle de société purement consommatrice, n’est pas sans danger pour l’Amérique elle-même.
Ce serait également le cas si la mondialisation devait uniformiser le monde sur une " pensée unique " outrageusement simplificatrice. Il est sans doute indispensable de préserver une certaine diversité du patrimoine génétique des entreprises et des modes de satisfaction sociales, c’est à dire des cultures dans leur dimension économique.
b) états-nations et groupes nationaux (Basques, Tchétchènes, Tutsis, Irlandais du Nord etc...).
Leur réaction est bien sûr principalement politique (pouvoir, indépendance, sécurité, prestige) mais concerne aussi la vie économique (désordres et coûts des conflits, politiques économiques agressives, manque d’intérêt pour la marchandisation frivole au profit des achats d’armes...)
c) les religions sont parfois le support des réactions politiques : " la démocratie est une idée juive... ", " les valeurs asiatiques sont supérieures aux valeurs occidentales ".
Trois grands mouvements religieux ou idéologiques peuvent cristalliser cette opposition : l’Islam intégriste, le Maoïsme et ses dérivés , l’écologisme héritier des mouvements anarchisants de 1968.
d) La réaction éthique : la consommation, pourquoi faire ?
Les auteurs du V° Plan envisageaient de répartir la croissance française (25% sur quatre ans) entre trois grandes catégories de satisfaction : " la réduction de la durée, des risques et de la pénibilité du travail humain ", l’accroissement de consommation individuelle et les équipements collectifs. Le premier choix était alors écarté à cause des besoins en main d’œuvre et des retards de production à combler ; le deuxième était bien sûr appelé à s’accroître mais légèrement moins que la forte croissance globale pour permettre de dégager les ressources de services collectifs(éducation, hôpitaux...) liés aux besoins d’une population en mouvement. Une telle problématique ferait aujourd’hui sourire, et pourtant...
La consommation des particuliers a fortement progressé dans les années 60 autour de deux grands supports : l’automobile et l’équipement ménager, à quoi on peut ajouter l’accession à la propriété qui permet aujourd’hui aux retraités de se sentir privilégiés grâce à la valorisation de leur épargne forcée.
Mais passée la première vague de rattrapage des niveaux de vie (disons avant 1968 ?), il a fallu inventer des artifices pour porter la consommation bien au-delà des besoins réels. Artifices de production (obsolescence des produits, offre de gadgets), de distribution (grandes surfaces), de communication publicitaire (en plaçant de l’ego et du sexe dans les ventes de lessive ou de dentifrice...), artifices financiers par invention du " credit revolving " et le surendettement des ménages. On a ainsi réussi à faire acheter aux gens des produits dont ils n’avaient pas vraiment besoin, qu’ils ne pouvaient pas vraiment se payer et qui les détournaient d’autres emplois possibles de leurs ressources et de leur temps.
L’industrie des biens de consommation se trouve aujourd’hui toute étonnée d’avoir atteint un seuil de saturation pourtant bien prévisible. Elle recherche des expédients (" balladurette ", exonération des charges de production et primes diverses...) sans vraiment se demander si c’est bien de produits qu’on a besoin, et pas des services, ou d’équipements collectifs, ou d’absence de nuisances et de risques. Elle veut maintenir l’illusion que le consommateur achètera ce que les ingénieurs produisent, ce que la publicité lui répète inlassablement d’acheter. Elle pense toujours que le client, chômeur ou salarié, trouvera toujours les ressources et le temps nécessaires pour faire son devoir de consommateur obligé et réparera lui-même les dégâts d’une société avancée (maladies de comportement, pollution, chômage). L’industrie n’est pas très raisonnable...
e) La réaction éthique : l’entreprise, pourquoi faire ?
Bien avant d’être créatrice de richesses, l’entreprise est un centre d’appropriation de ressources et de coûts. Il n’y a création de richesses que si la collectivité le manifeste ainsi en acceptant de payer les produits proposés, et en confiant aux gestionnaires des ressources humaines, matérielles et financières en échange de bénéfices directs (dividendes et salaires) ou indirects (emploi, contribution au développement humain, absence de nuisances etc...) pour cette collectivité.
La création de richesses est nulle ou négative si les produits ne sont pas achetés (sauf sur incitation fiscale ou énorme budget publicitaire). Elle est également mal perçue si les employés, fournisseurs, créanciers de l’entreprise (" stakeholders ") n’y trouvent pas leur compte, si par " l’outsourcing ", le " downsizing ", la titrisation, l’ingénierie financière de haut vol (parfois trop haut vol), la gestion apparaît orientée vers la satisfaction d’intérêts minoritaires (quelques actionnaires et les hauts dirigeants rémunérés en stock-options). Egalement s’il apparaît que la socialisation des pertes accompagne la concentration des bénéfices : ce qui fut le cas pour quelques échecs stratégiques de grande envergure dans les années 80: la crise de la dette du Tiers Monde, la crise de l’immobilier de bureau , le krach boursier des " junk bonds ". C’est également le cas aujourd’hui où l'entreprise rejette massivement vers la collectivité les " déchets humains" de la gestion.
2°) Réaffirmation des comportements individuels
La modernité ne conduit pas nécessairement à la mondialisation, conçue comme la version américaine de " la démocratie de marché ".Elle ne conduit pas non plus nécessairement au changement matériel par innovation technique et nouveaux lancements de produits. L'homme de modernité choisit sa voie:
Désir classique de se distinguer par des consommations choisies ?
Désir de sauver son âme et de préserver sa santé par un certain renoncement matériel ?
Désir de préserver autrui ou la planète des inconvénients tant du changement accéléré que de la mondialisation uniformatrice?
Investissement personnel dans la solidarité entre générations ou entre pays?
Tout ceci n’est pas forcément utopiste et ne débouche pas forcément sur l’intégrisme éthique. Ce qui serait utopique c’est de croire au maintien indéfini et à l’extension mondiale (à 10 milliards d’hommes) de la société citadine de consommation des années soixante .
III- MANAGEMENT, MARKETING ET CULTURES MONDIALES
L’ajustement entre la mondialisation (nécessaire ? inévitable ?) et les aspirations à l’identité culturelle (persistance ou avenir des sociétés humaines ?) exigera bien des efforts de la part des centres régulateurs (marketing stratégique des entreprises, des états, des organisations internationales). Faute de place, on ne procèdera ici qu’à un rapide inventaire des fonctions et outils de management d’entreprise confrontés à ces évolutions.
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LE MANAGEMENT DE LA PRESENTATION MARKETING:
1°) Publicité et promotion :
Adapter l’iconographie et l’argumentation publicitaire aux nouveaux marchés
2°) Distribution
Jouer avec les notables et commerçants locaux ? Le compromis avec les professionnels locaux s’effectue de manière réaliste. Parfois par des " taxes de protection " (mafias diverses, financement de partis locaux). Parfois par des arrangements pittoresques : la vente de Tours Eiffel importées de Hong Kong par des immigrés africains en boubou, ou le recours à des paysans en blouse, à l’accent rocailleux , pour vanter des pâtés de foie gras originaires d’Israel ou de Hongrie.
Ou tenter une distribution mondiale " à flux tendus ", échappant à tout intermédiaire ? Le rôle croissant d’Internet et de la télévision par satellite pour atteindre les clientèles " modernes " des régions les plus traditionnelles.
3°) Le prix
Pour la consommation de masse (au profit des exclus du monde industrialisé et du décollage de consommation des PVD) l’argument prix est depuis longtemps essentiel. L’organisation industrielle (" outsourcing, flux tendus) est ici primordiale. Le marketing conserve un rôle supplétif : générer la masse critique de clientèle (publicité de masse, techniques de grande distribution et bientôt vente par Internet). S’étant déjà largement engagé dans cette voie, il lui suffira d’ajouter du plus (la véritable créativité résultant au contraire du moins ou de l’autrement).
La diffusion sur les marchés émergents de forte croissance et revenus encore faibles impose un ajustement des prix conçus pour les pays développés. D’où réduction des coûts (par délocalisation et analyse de valeur) et des marges (possible grâce à l’énorme extension possible des marchés)
4°) Le produit :
Ajustement de présentation : dimension, conditionnement, contenus à contrainte culturelle (alimentation, vêtement...)
Conception culturelle du produit ? du couscous aux Arabes ou du camembert aux Chinois ?
B- LE MANAGEMENT DES OPERATIONS :
1°) Les ressources
La division internationale du travail renforce le processus de marchandisation : pourquoi le paysan africain cultiverait-il du sorgho alors qu’on peut lui vendre à bon marché du blé européen ou américain financé pour des raisons électorales. Pourquoi les industries d’assemblage (automobile, aéronautique...) entretiendraient-elles des ateliers coûteux ou des sous-traitants nationaux puisqu’ils peuvent faire aisément leur shopping international ?
2°) La production
3°) Le Management stratégique : Think global, act local " :
Des unités entièrement conçues pour les marchés mondiaux, achetant, produisant et vendant là où c’est le plus rentable
Le " centre " conserve la décision stratégique, le savoir-faire technique essentiel, la gestion financière, la communication mondiale ; : le programme British Airways : passer de 60.000 à 400 employés en " out sourcing " l’essentiel des opérations, en commençant par les approvisionnements, l’entretien des avions, la billetterie et la comptabilité etc...
Pour faciliter l’évolution dans le temps mais aussi dans l’espace : Vers " l’entreprise Terminator 2 " ou encore " l’entreprise jetable " dont les actifs matériels sont fongibles en fonction du marché.
4°) Le management général : " Corporate governance " et sociétés locales : l’éthique des affaires.
Les critères " américains " actuels du management (avantager l’actionnaire plus que le producteur, effets pervers de la rémunération des dirigeants par stock-options, optique boursière à court terme du " quaterly report ", recherche du monopole industriel , psychologie du " winner take all ", insistance sur la rapidité et le changement) sont peu favorables au maintien de cultures, ou d’un équilibre social et même de l’intérêt des consommateurs et a fortiori des employés.
C-LE LOBBYING POLITIQUE
1°) Le management mondialisé a besoin d’un cadre politique adéquat
Le cadre international des échanges de biens et services est fixé par les négociations commerciales échelonnées jusqu'à l’Uruguay Round.
Pour les pays en développement et en transition, le consensus de Washington , élaboré par le FMI et la Banque Mondiale, a fixé le cadre national : stabilité macroéconomique, ouverture extérieure, libéralisation.
Pour les pays industrialisés, un cadre comparable est dessiné par les choix des investisseurs institutionnels qui ont acquis la liberté de déplacer leurs capitaux en fonction de leur appréciation des risques et des politiques. Seuls les Etats-Unis disposent d’une certaine liberté d’action grâce à leur puissance et au statut du dollar comme monnaie de réserve.
2°) Le chemin à parcourir vers l’intégration complète :
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la résistance déjà évoquée de certaines zones ou nations
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la résistance à la marchandisation complète des sociétés industrialisées.
La marchandisation déjà entamée dans certains domaines (vie familiale, vie spirituelle) ne rencontrera pas nécessairement l’adhésion des intéressés dont les ressources en argent , en temps et en liberté d’action sont déjà largement absorbées par le travail de consommateur. Il faudra bientôt, comme les télécommunications suédoises ou italiennes, payer le consommateur potentiel pour qu’il accepte de regarder la publicité plutôt que de se livrer à des activités personnelles
Parée jusqu’ici des avantages de la modernité, la marchandisation des services publics ne rencontrera pas toujours l’adhésion. Le service privé n’est pas forcément meilleur ni moins coûteux que le service public. L’optique du profit à court terme n’est pas une garantie d’équité et de fiabilité dans le service. Et il est arrivé au secteur marchand de se tromper de manière monumentale dans l’évaluation du marché :faillites des compagnies privées de transports ferroviaires (en France avant la guerre, aux USA depuis la guerre...), désastre immobilier des années 80, crises boursières, faillite des Savings and Loans et quasi-faillite des Lloyds... La main invisible du marché se met parfois le doigt dans l’œil jusqu’au coude...
Or une grande partie des besoins " réels " des économies (éducation, santé, vieillissement, sécurité, vie urbaine, environnement soutenable) concernent des domaines de large initiative collective. S’il veut gagner des parts de marché par rapport à d’autres formes de satisfaction des besoins (économie sociale des secteurs associatif et coopératif, secteur public) le secteur marchand devra beaucoup " politiquer " . Il devra aussi sans doute inventer des moyens de faire arriver l’argent des épargnants et des usagers vers ces secteurs en forts besoins, quitte à le détourner des dépenses plus frivoles de la société du gadget et, a fortiori, des dépenses de drogue, alcool etc.... Les techniques financières de l’assurance sont un premier exemple (assurance automobile, assurance-vie)
CONCLUSION
Sans - mais plus probablement avec - diversité culturelle, la mondialisation offre de larges perspectives aux activités de marketing :
1°) Du côté de l’économie réelle des besoins à satisfaire dans les pays en développement :
Le doublement de la population mondiale fait passer de 5 à 10 milliards le chiffre des clients potentiels. La croissance avoisinera 10% dans ces pays, au lieu des 1,5 à 2,5% promis dans les sociétés vieillissantes de l’Occident. La diversité probablement conservée des grandes cultures évitera la monotonie des techniques actuelles de commercialisation.
2°) Du côté de l’économie artificielle des pays développés, la quasi-saturation des besoins réels (alimentation, vêtement, équipement ménager, transports individuels, temps disponible pour la consommation classique) oblige à reconsidérer les objectifs de la profession.
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des vieilles techniques de distribution et publicité, vers les nouveaux supports offerts par la révolution numérique (changement mondialisé)
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de la commercialisation des produits à celle des services et plus encore des capitaux : c’est là que se trouve l’assiette au beurre ;
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de la marchandisation déjà réalisée, à l’entrée en sphère marchande de domaines encore réservés : privatisation des derniers services publics et peut-être des pouvoirs publics et de la sphère privée intime. Contrairement à la satisfaction des besoins réels du Tiers Monde, la marchandisation additionnelle de l’Occident ne sera pas nécessairement un progrès pour le public, mais seulement un détournement de ressources au profit du secteur marchand et de l’emploi dans sa forme traditionnelle du salariat. Cela peut se heurter à des oppositions culturelles provenant soit de la sphère éthique refusant la mise en commercialisation de certaines valeurs, soit de la prise de conscience collective que certains domaines sensibles ne peuvent être laissés sous la seule responsabilité -ou irresponsabilité_- de " la main invisible du marché ", une main à bien courte vue, si on peut parler ainsi...
Et c’est bien ainsi : il est bon que le marketing cesse de s’obnubiler sur les recettes " zim-boum-boum ", déjà suremployées, et s’intéresse vraiment aux besoins des collectivités et des individus.
André GARCIA
COMPLEMENTS
<Table politique internationale>
<Table de l'économie> <Table Culture> <Bibliographie de l'International
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