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Bilande l'année diplomatique 2002-2003 |
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Auteur::André Lewin, ancien ambassadeur de France (Guinée-Conakry, Inde, Autriche, Sénégal et Gambie), ancien porte-parole du secrétaire général des Nations Unies; ancien directeur des Nations Unies et des organisations internationales au ministère français des affaires étrangères;premier vice-président de l'Académie diplomatique internationale; président de l'Association française pour les Nations Unies
(Une première version de ce texte est parue sous le titre "Chronique diplomatique de l'année 2003", dans "Enjeux diplomatiques et stratégiques," publié annuellement par le Centre d'études diplomatiques et stratégiques de Paris, Economica, 2004 (pages 113-130). Le présent texte été mis à jour début 2004).
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Non, les partisans des progrès réalisés par la négociation, ou ceux des solutions diplomatiques aux crises internationales ou aux grands défis de notre époque, ne peuvent guère se réjouir du bilan de la période qui vient de s'écouler.
Un peu partout dans le monde, en effet, les faucons l'ont emporté sur les colombes, la violence a primé le dialogue, et la force le droit. Et le concept de guerre préventive fait son chemin aux dépens de celui de la diplomatie préventive, qui devrait être le meilleur - sinon le seul - moyen de dénouer les situations dangereuses et de maintenir - ou de rétablir - un État de droit.
Si la nécessité de lutter contre le terrorisme - aveugle et détestable - est un objectif partagé par la quasi-unanimité des gouvernements [1], la volonté d'éliminer les causes (internes ou externes) des actions terroristes reste depuis des décennies toujours aussi inconsistante. Aussi le conflit israélo-palestinien, revenu à un paroxysme, continue-t-il à engendrer un terrorisme qui se transforme progressivement en un conflit plus vaste à base religieuse (fondamentalisme islamique contre un occident considéré globalement comme judéo-chrétien et anti-musulman) ou vaguement idéologique (remédier aux injustices de toutes sortes, ainsi qu'aux inégalités entre le Nord et le Sud); et il n'est même plus certain qu'une solution intervenant pour de bon au Proche-Orient tarirait effectivement le réservoir où se recrutent les "fous de Dieu" terroristes.
En revanche, tous n'approuvent pas la lutte contre les pays désignés par Washington comme l' "axe du mal" - on y trouve l'Irak, l'Iran, la Corée du Nord, naguère l'Afghanistan, parfois la Syrie et la Libye [2], certains y incluent le Pakistan, et même quelques uns la France ! - est tant bien que mal engagée par quelques gouvernements déterminés, au premier rang desquels États-Unis et Israël, généralement désavoués pour leurs excès par une majorité de la communauté internationale, et parfois même par une partie de leur propre opinion publique [3]. Mais si Saddam Hussein parait définitivement éliminé de la scène politique, les talibans n'ont pas disparu, la traque d'Ousama Ben Laden ou du mollah Omar n'a donné aucun résultat, la recherche sur le sol irakien d'armes de destruction massive non plus [4], de même que l'enquête sur l'expéditeur à des personnalités américaines d'enveloppes saupoudrées d'anthrax. |
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[1] pourtant, alors que le Conseil de sécurité s'est prononcé à plusieurs reprises unanimement contre le terrorisme, deux conventions sur ce sujet restent depuis des années bloquées à l'Assemblée générale, certaines délégations souhaitant y inclure le "terrorisme d'État", visant notamment Israël ou le Pakistan.
[2] La modération relative dont ce dernier pays a bénéficié s'est expliquée ultérieurement, lorsque Washington et Londres et Khadaffi lui-même ont rendu public le 19 décembre 2003 l'accord conclu au terme de plusieurs mois de négociations secrètes - Paris en tous cas n'a pas été informé - et selon lequel la Libye renonce à toute arme de destruction massive, chimique ou nucléaire. Le 25 février 2004, Tripoli est autorisé à rouvrir une antesse diplomatique à Washington; Washington remet en état son ambassade en Libye détruite lors d'émeutes il y a 25 ans, et lève l'interdiction, édictée en 1981, à ses ressortissants de se rendre en Libye.
[3] selon un sondage effectué par l'Eurobaromètre d'octobre 2003 de la Commission européenne (7.515 Européens interrrogés dans les 15 États membres), les pays les plus dangereux pour la paix du monde sont dans l'ordre Israël (59%), Corée du Nord, Iran et États-Unis (53%), Irak (52%), Afghanistan (Afghanistan), Pakistan (48%), Syrie (37%), Libye et Arabie Saoudite (36%), Chine (30%), Inde (22%), Russie (21%) ... 68% estiment qu'une intervention militaire en Irak n'était pas justifiée, 29% sont d'un avis contraire (dans les pays dont le gouvernement a soutenu Washington, les avis hostiles sont de 79% en Espagne, 60% en Italie, 51% au Royaume-Uni).
[4] certains font remarquer qu'au cours des dernières décennies, l'arme de destruction massive la plus meurtrière a été ... la machette
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L'année passée a été particulièrement meurtrière, non seulement pour les forces armées gouvernementales, mais aussi pour les populations civiles, victimes d'affrontements entre troupes régulières et groupes rebelles (ou de ces derniers entre eux), de nombreux attentats terroristes (avec un regain de ceux commis par des kamikaze notamment au Moyen-Orient, mais aussi au Maghreb - Maroc - et en Asie - Bali, 202 morts en octobre 2002 [5]), de pratiques génocidaires, d'explosions de mines antipersonnel [6], de prises d'otages [7], de coups d'État réussis ou non [8], sans oublier le sort tragique des réfugiés ou des exilés.
L'année a été meurtrière aussi pour les acteurs de la vie diplomatique [9]; l'attentat perpétré à Bagdad le 19 août et qui coûta la vie à 22 agents des Nations Unies (dont Sergio Vieira de Mello, représentant spécial du secrétaire général), la mort d'Anna Lindh, ministre suédoise des affaires étrangères, poignardée à mort le 10 septembre, l'assassinat par arme à feu de la diplomate Akila Al-Hachimi (membre du Conseil de gouvernement provisoire irakien mis en place par les Américains, et qui s'occupait notamment des relations avec l'ONU), le suicide de David Kelly, ancien membre des équipes onusiennes d'inspection des armements en Irak, sujet d'un véritable harcèlement politique au Royaume-Uni pour ses déclarations à la BBC jetant le doute sur la politique du Premier ministre Tony Blair; ou encore, moins meurtrière mais perfide, la mise en cause, avec la révélation - par une source proche de la Maison Blanche - que son épouse serait un agent de la CIA, de l'ambassadeur américain Joseph Wilson, qui avait conclu à la non existence d'une vente d'uranium par le Niger à l'Irak, l'une des justifications avancées par le président Bush aux opérations militaires en Irak. Sans oublier les attentats contre des ambassades comme celles de Jordanie ou de Turquie à Bagdad ou celle du Royaume-Uni à Téhéran, ou celui contre un convoi de véhicules diplomatiques américains dans la bande de Gaza, ainsi que les menaces réelles contre plusieurs ambassades américaines dans le monde. Même le CICR (Comité international de la Croix Rouge), organisme suisse dont tout le monde connaît - et respecte - le rôle humanitaire et l'impartialité, est devenu un objectif terroriste. Du coup, le gouvernement espagnol, pourtant fermement engagé en Irak aux côtés de Washington, rapatrie de Bagdad une partie de son personnel diplomatique.
Certes, les chefs d'État et les ministres des affaires étrangères n'ont cessé de sillonner le monde [10], les ambassadeurs et les chefs de missions diplomatique n'ont pas chômé, des délégations toujours aussi nombreuses ont participé à moult négociations bilatérales ou multilatérales, et les accords signés, paraphés ou entrés en vigueur - qu'ils portent sur des affaires d'un enjeu considérable ou sur des sujets mineurs - sont tout aussi nombreux. La 57ème session de l'Assemblée générale de l'ONU, qui a pris fin en septembre 2003, a voté en une année 337 résolutions (un bon tiers de plus que la moyenne des sessions des décennies précédentes), et la 58ème session a un ordre du jour de près de 200 questions; cependant que le Conseil de sécurité, qui ne parvenait guère à adopter chaque année plus d'une quinzaine de résolutions tant que la guerre froide poussait régulièrement à l'utilisation du veto notamment par l'Union soviétique [11], est passé depuis lors à un rythme de plus d'une centaine de résolutions par an, ayant largement franchi désormais le cap de la résolution 1500. |
[5] comme la plupart des victimes de l'attentat du 12 octobre 2002 étaient australiennes, la diplomatie de Canberra, accentuant son caractère régional asiatique, s'est davantage mobilisée depuis lors dans la lutte contre le terrorisme et s'est rangée aux côtés des Américains en Irak.
[6] 18 pays ont détruit leurs stocks de mines en 2002; 136 pays ont ratifié le Traité d'Ottawa de 1997, une cinquantaine pas encore, parmi lesquels la Russie, l'Inde, le Pakistan, la Chine, ni les États-Unis - qui ont déployé 90.000 mines dans la région du Golfe, mais sont aussi les premiers donateurs - avec 76,9 millions de dollars - en faveur des programmes anti-mines); 6 pays ont utilisé des mines antipersonnel en 2003 (Inde, Pakistan, Birmanie, Népal, Irak, Russie), contre 9 en 2002 et 13 en 2001. Des groupes d'opposition armés les ont utilisées dans 11 pays (contre 14 l'année précédente). La Grèce et la Turquie ont décidé de déminer leur frontière (les deux pays ont également renoncé à organiser des manoeuvres militaires, ce qui démontre une réelle volonté de continuer à améliorer leurs relations bilatérales, même si Chypre et le contrôle de la mer Égée restent des obstacles).
[7] la trentaine de touristes allemands, autrichiens, hollandais, suisses, suédois, retenus en otages pendant plusieurs mois par des irréguliers - sans doute islamistes - algériens ont été libérés au Mali à la suite d'une médiation de ce pays, et peut-être du versement d'une rançon libyenne (la Fondation dirigée par le fils du colonel Khadafi était déjà intervenue en 2000 pour la libération d'otages retenus aux Philippines). Berlin a par la suite demandé aux touristes allemands une "participation aux frais". En revanche, en Colombie, les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) détiennent toujours, parmi de nombreux autres otages, la militante écologiste et femme politique Ingrid Betancourt, et une tentative de facilitation française, suggérée par la famille, a même entraîné une légère friction diplomatique franco-brésilienne; en Colombie encore, une dizaine d'étrangers otages d'un autre mouvement de guerrilla, l'ELN, ont été relâchés après une médiation de l'église catholique.
[8] en 2001, il y a eu six tentatives de coups d'État en Afrique (Côte-d'Ivoire, République démocratique du Congo, Burundi, Centrafrique, Comores, Guinée-Bissau); trois en 2002 (Côte-d'Ivoire; Niger; Centrafrique) et sept en 2003 (cinq tentatives : Mauritanie, Liberia, Sao Tomé et Principe, Comores, Burkina Faso; deux coups réussis : Centrafrique, Guinée-Bissau). Mais l'Afrique a connu aussi des changements "démocratiques" : Sénégal et Ghana avec les élections des présidents Abdoulaye Wade en 2000 et John Kufuor en 2001; Madagascar, avec en avril 2002 l'arrivée au pouvoir - un temps contestée par l'ancien président Didier Ratsiraka à la suite du scrutin tenu fin 2001 - de Marc Ravalomanana; Mali, avec une alternance réussie, Alpha Oumar Konaré cédant en mai 2002 la présidence à Amadou Toumani Touré; Kenya, avec l'élection en décembre 2002 du président Kibaki; Nigeria, où le président Obasanjo a été réélu en avril 2003; Rwanda, où Paul Kagamé a été confirmé en août 2003 comme président par la première élection intervenue dans ce pays depuis le génocide de 1994... Au Liberia, la pression de la communauté internationale, un très modeste déploiement de Marines américains et l'arrivée de contingents de la CEDEAO ont entraîné finalement la signature d'un accord de paix à Accra le 18 août 2003, puis le départ du président liberien Charles Mac Arthur (!) Taylor (comme la SDN avait obtenu en 1930 la démission du président libérien de l'époque, un certain King, et du vice-président, accusés de trafic d'esclaves), et enfin la mise en place le 14 octobre d'un gouvernement national de transition présidé par par Gyude Briant. Mais au Zimbabwe, le président Mugabe se maintient au pouvoir, en dépit des sanctions édictées contre lui par le Commonwealth (qui n'ont pas empêché sa venue au Sommet franco-africain de Paris en février 2003); bien que contesté par une série de pays occidentaux (dont l'Union européenne) qui maintiennent son pays sous observation, le président Gnassingbé Eyadéma a été réélu en décembre 2002 au Togo (après 32 ans de pouvoir, ce qui lui vaut d'être considéré comme le doyen des chefs d'État africains, et de jouer un rôle de sage au sein de l'OUA ou de la CEDEAO); en décembre 2002 également, le président Teodoro Obiang Nguema a été réélu en Guinée équatoriale après 26 ans de pouvoir, mais son pays, en passe de devenir le 3ème producteur pétrolier de la région, bénéficie de l'appui des États-Unis, dont les intérêts pétroliers sont primordiaux, et son "essai démocratique" a permis de largement normaliser les relations avec l'ancienne puissance coloniale, l'Espagne, et l'Union européenne. Les sanctions décidees en 1992 contre la Jamarihiya libyenne de Khadafi ont été levées le 12 septembre 2003 par le Conseil de sécurité, à la suite des accords intervenus entre Tripoli, Washington et Paris sur l'indemnisation des victimes des catastrophes aériennes de Lockerbie et du Tchad; mais l'élection de la Libye à la présidence de la Commission onusienne des droits de l'homme à Genève a quand même été controversée en dépit de la normalisation progressive de la posture internationale de ce pays.
[9] dans le domaine du respect des dispositions prévues par la convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques et l'accord de siège du 2 juillet 1954 entre Paris et l'UNESCO, je mentionnerai le détournement de l'esprit de ces privilèges et immunités qu'a constitué la nomination par l'Angola à un poste de représentant diplomatique auprès de l'UNESCO d'un Français mis en examen par la justice de son pays. En revanche, si elle a pu en étonner et même en choquer certains, la nomination de Charles Millon, ancien ministre de la défense, au poste de représentant permanent auprès de la FAO/OAA à Rome, ne constitue en rien un précédent; la France, comme bien d'autres pays (et particulièrement les États-Unis) nomme régulièrement à des postes d'ambassadeurs des personnes qui ne sont pas issues du corps diplomatique, parmi lesquelles des hommes politiques.
[10] en particulier le président George Bush, qui n'avait guère voyagé avant son élection, s'est rendu en Europe, dans le Golfe, en Afrique et en Asie
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De nombreuses réunions diplomatiques
Les grandes réunions internationales ont été nombreuses. Outre l'Assemblée générale et les régulières conférences des institutions spécialisées de la famille onusienne, il y a eu en août-septembre 2002 (dix ans après le "Sommet de la Terre" de Rio) le Sommet de Johannesburg sur le développement durable; Washington y confirme sa volonté de ne pas appliquer le protocole de Kyoto sur la prévention de l'effet de serre. Cependant que l'émotion causée par l'emploi de gamins comme soldats dans des conflits - comme au Sierra Leone, ainsi que le dénonce l'écrivain Ahmadou Kourouma dans son livre "Allah n'est pas obligé" - a entraîné la tenue en mai 2002 d'une session spéciale de l'Assemblée générale sur les enfants, avec pour la première fois des adolescents inclus dans les délégations.
On a vu se tenir également le nombre habituel de Conseils européens (successivement sous la présidence de la Grèce puis de l'Italie, non sans que l'accession à ce poste de Silvio Berlusconi ne suscite des réactions diverses, que ses réparties intempestives exacerbent encore). Le Conseil des 13/14 octobre 2003 a même vu le second jour le chef de l'État français s'exprimer également au nom de l'Allemagne : le chancelier Schröder, retenu par ailleurs, avait demandé à Jacques Chirac de parler en son nom; cette "première diplomatique" témoigne de l'exceptionnelle qualité de la relation franco-allemande. Un nouveau pas est franchi quelques jours plus tard, lorsque Dominique de Villepin évoque un projet d' "Union franco-allemande".
Paris a accueilli en février 2003 la 20ème conférence des chefs d'État d'Afrique et de France et ses 52 délégations. Le 9ème Sommet de la Francophonie tenu à Beyrouth en octobre 2002 (il avait été décalé d'une année à la suite des événements du 11 septembre 2001 à New York) a vu l'élection de l'ancien président du Sénégal Abdou Diouf comme secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie en remplacement de Boutros Boutros-Ghali.
L'Union africaine a pris, dans la foulée des décisions prises lors du Sommet de Syrte sur la suggestion du leader de la Jamarihiya libyenne Mouammar Khadafi, la place de l'ancienne Organisation de l'Unité Africaine (OUA), créée en 1963 au lendemain des indépendances; la nouvelle organisation, dont les ambitions et les structures sont bien différentes de celles de l'OUA, notamment dans le domaine de la prévention des conflits, s'est dotée lors du Sommet de Maputo, en juillet 2003, d'un président de sa commission exécutive en la personne de l'ancien chef d'État malien, Alpha Oumar Konaré. L'Afrique a également suivi l'exemple donne naguère par l'Amérique latine (et Hillary Clinton) en organisant des rencontres de Premières Dames.
Le XIIIème Sommet des non alignés s'est tenu à Kuala Lumpur en février 2003, mais le mouvement, pourtant fort de ses 115 pays membres, n'a pas encore réussi à retrouver l'éminente place qui fut la sienne dans les années 70, lorsque le conflit Est-Ouest faisait rage et que le Tiers monde, en position d'arbitre, pouvait faire pencher la balance dans un sens, en général le plus progressiste; ainsi, les non alignés ont été trop divisés pour que puisse se réunir une session extraordinaire d'urgence de l'Assemblée générale des Nations unies à propos de l'opération américaine en Irak.
Le Xème Sommet de l'Organisation de la conférence islamique (OCI), qui compte 57 pays membres, s'est tenu mi-octobre 2003 à Kuala-Lumpur, permettant à Mahathir Bin Mohamad, Premier ministre de Malaisie, d'appeler les musulmans à s'unir face à l'humiliation causé par un monde "dirigé par procuration" par les juifs, propos que Jacques Chirac - parmi d'autres - a déplorés, non sans qu'au passage on ne lui reproche de l'avoir fait trop tard.
Un Sommet du G8 s'est tenu début juin 2003 à Évian, auquel le président Jacques Chirac avait convié plusieurs leaders du Sud, notamment pour parler du Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD); le développement pacifique et démocratique du continent africain devient en effet progressivement une priorité pour tous [12]. En marge de cette réunion a eu lieu la première rencontre entre les présidents français et américain après la dégradation des relations entre les deux pays à la suite des débats sur les opérations militaires en Irak [13].
Quant à la conférence de l'OMC à Cancun en septembre 2003, elle n'a pu aboutir, en raison surtout du blocage intervenu entre les États-Unis, l'Union européenne et les pays du Sud à propos des subventions à certains produits agricoles, dont le coton. Le Sud s'y est doté d'une nouvelle structure de négociation, le G22, où se retrouvent notamment le Brésil, le Mexique, l'Argentine, Cuba, l'Inde, l'Indonésie, l'Égypte, l'Afrique du Sud, le Nigeria et la Chine. Les ONG antimondialistes se sont réjoui - sans doute à tort - de l'échec de Cancun, qui n'a pu régler aucun des problèmes cruciaux pour le développement des échanges, redonnant ainsi toute leur place aux arrangements commerciaux bilatéraux, qui privilégient de toute évidence les plus puissants. Mais les militants et les associations antimondialistes ont une fois de plus fait la preuve qu'en dehors de la diplomatie classique et des enceintes multilatérales, leurs ONG ont désormais une influence souvent incontournable dans le jeu international, au même titre que la presse, les lobbies, les clubs, les sociétés multinationales; petit à petit, la société civile, longtemps oubliée ou marginalisée, reprend sa place parmi les acteurs importants : il est désormais aussi important, sinon plus, d'être présent à un Forum social mondial ou européen qu'à celui de Davos. Le 3ème Forum social mondial tenu à Porto Alegre en janvier 2003, en avait déjà fourni une nouvelle démonstration, renouvelant et amplifiant celle des conférences de Seattle et de Gènes. Et le 2ème Forum social européen tenu à Saint-Denis en novembre 2003, un an après celui de Florence, montre clairement que l'altermondialisation - expression qui fait désormais florès - est une force qui compte maintenant tant pour l'évolution de l'Europe que pour celle du monde.
En dépit de négociations parfois difficiles, l'Union européenne a réglé positivement les demandes d'adhésion de dix pays d'Europe centrale et orientale (plus Malte et Chypre - partie grecque, en un premier temps) qui deviendront membres au 1er mai 2004, cependant que se multiplient les référendums positifs dans les autres pays (à noter cependant en Suède le référendum négatif pour l'adoption de l'Euro en septembre); seul le cas de la Turquie a, prématurément, provoqué des controverses, mais les négociations seront entamées dès que l'Union jugera suffisamment positifs les progrès de ce pays en matière de droits de l'homme.
Dans le même temps, sept pays de cette même zone géographique s'apprêtent à devenir membres de l'OTAN, démontrant ainsi l'attirance encore modeste, en matière de sécurité collective, de la nouvelle politique de défense et de sécurité de l'Union européenne, ainsi que la volonté des États-Unis de rester présents et actifs dans cette région [14]. La formation de la coalition autour des États-Unis lors des opérations militaires en Irak a confirmé d'ailleurs l'ambivalence de certains choix, tant parmi les 15 que parmi les pays candidats : alors que Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Hongrie, Pologne, Slovaquie, Roumanie, se joignaient aux forces de la coalition, rejoignant ainsi le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie, les Pays-Bas, le Danemark, d'autres s'y refusaient, renforçant ainsi dans le "camp de la paix" la France, l'Allemagne, la Belgique... Mais les 25 (les 15 de l'Union européenne et les 10 pays candidats) ont pour la première fois fait à l'ONU la démonstration qu'ils pouvaient s'accorder sur une position commune à propos d'une question pourtant délicate et où ils s'opposaient frontalement aux États-Unis : le 19 septembre 2003, ils ont tous voté à l'Assemblée générale en faveur d'une résolution sur le Proche-Orient, texte très proche de celui auquel Washington avait mis son veto au Conseil de sécurité quelques jours auparavant.
À la veille de s'élargir, l'Union européenne s'efforce également de rénover complètement ses institutions et son mode de fonctionnement. La Convention avec à sa tête l'ancien président Valéry Giscard d'Estaing a présenté un projet cohérent et ambitieux soucieux de donner à la nouvelle Union européenne une constitution avec de véritables pouvoirs, notamment un ministre des affaires étrangères, chargé d'animer une politique extérieure menée par un véritable corps diplomatique européen. Mais les objections élevées contre des points essentiels par quelques grands pays - Espagne, Pologne - et par une majorité de pays modestes, rendent à ce jour l'avenir du projet encore aléatoire.
L'ONU parachève elle aussi sa représentativité avec les adhésions en septembre 2002 de Timor-Est (devenue indépendante en mai, cette ancienne province portugaise d'Outre-mer, avait été "annexée" par l'Indonésie pendant un quart de siècle) et de la Suisse (seul pays devenu membre par l'expression du suffrage universel, à la suite d'une votation populaire positive en mars 2002), portant le nombre d'États-membres à 191.
Dans la famille des institutions onusiennes, il convient aussi de saluer le retour, au 29 septembre 2003, des États Unis à l'UNESCO, dont ils s'étaient retirés en 1984; concrétisé par la présence de la First Lady madame Bush à la Conférence générale tenue au siège à Paris, ce geste s'inscrit parmi ceux qu'a effectués Washington pour se rapprocher des Nations unies, après les avoir marginalisées - et même diabolisées - depuis que le Conseil de sécurité s'est refusé à autoriser les opérations militaires de la coalition contre l'Irak; un autre geste symbolique à consisté à régler enfin l'essentiel de ses arriérés de contributions budgétaires.
De son côté, les dix pays de l'ASEAN (Association des Nations du Sud Est Asiatique) ont en septembre 2003 conclu des accords de coopération avec deux des principales puissances économiques de la région, la Chine et l'Inde, sans pour autant qu'elles en deviennent membres (avec le Japon a été signé un accord de partenariat économique; Taïwan reste pour le moment en dehors de ce système qui s'apprente de plus en plus à une zone de libre échange); parallèlement ont été signés avec la Chine et l'Inde des pactes de non agression.
Un premier Sommet du Dialogue 5 + 5 s'est tenu à Tunis en décembre 2003 : ce forum, créé informellement en 1990, relancé en 2001, permet aux pays des rives Nord et Sud de la Méditerranée occidentale de se rencontrer; y participent Espagne, France, Italie, Malte, Portugal, Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie. Il s'était jusqu'ici tenu au seul niveau des ministres des affaires étrangères. |
[12] c'est pourquoi il faut se féliciter que l'Afrique ne soit plus négligée comme elle l'avait été dans les années d'après la disparition du bloc socialiste et la période d'engouement pour les pays d'au delà du rideau de fer et pour les "petits dragons" asiatiques. Jacques Chirac et George Bush se sont rendus sur le continent africain en 2003, le président brésilien Lula y a fait un voyage remarqué en novembre de la même année, renforçant du même coup la Communauté des pays de langue portugaise, trois des 4 pays visités - à l'exception de la Namibie - étant lusophones (Sao Tomé et Principe, Angola, Mozambique), cependant que le Japon confirme son intérêt pour l'Afrique avec la tenue fin septembre 2003 de TICAD III (Tokyo International Conference on African Development) et un engagement d'un milliard de dollars d'aide à ce continent.
[13] il s'agit là de la première rencontre, relativement cordiale. A la seconde, au contraire, à New York lors de l'Assemblée générale de l'ONU, le 23 septembre, si Jacques Chirac écouta le discours du président américain, celui-ci quitta la salle lorsque son collègue français prit la parole.
[14] l'OTAN renforce également ses liens avec la Russie, dont la défiance vis-à-vis de cette institution semble progresivement s'atténuer; en témoignent la visite du président Poutine au siège de l'OTAN à Bruxelles, la visite à Moscou du secrétaire général de l'OTAN, l'accord donné par Moscou au survol de son territoire vers l'Afghanistan d'avions de la coalition et à l'utilisation d'avions de transport russes, au souhait du président Poutine de voir se tenir des manoeuvres militaires communes Russie-OTAN, au projet d'inviter le président russe en marge du prochain Sommet de l'OTAN prévu à Istambul au printemps (il existe déjà un Conseil OTAN-Russie qui se réunit régulièrement au niveau des ministres des affaires étrangères et de la défense). Par ailleurs, l'organisation du traité de sécurité collective (ODKB, qui regroupe depuis 1992 six des républiques de l'ex-URSS (Russie, Arménie, Bélarus, Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan) souhaite elle aussi coopérer avec l'OTAN.
lle, le nombre de vetos utilisés est de 117 pour l'Union soviétique (et de 2 pour la Russie), de 78 pour les États-Unis (dont plus de la moitié concernent le Moyen-Orient), de 32 pour le Royaume-Uni, de 18 pour la France et de 5 pour la Chine. En 2003, Paris a envisagé à deux reprises de faire jouer son droit de veto; une fois dans l'affaire irakienne, ce qui était inutile dans la mesure où il était certain que la résolution souhaitée par Washington n'obtiendrait pas les neuf voix requises; les trois membres africains du Conseil (Guinée, Angola, Cameroun) ont d'ailleurs été courageux de ne pas vouloir "faire plaisir aux Américains" en votant pour eux, en s'abritant derrière la certitude d'un tel veto; une fois dans l'affaire des sanctions libyennes, pour obtenir de Tripoli une indemnisation convenable pour les familles des victimes françaises, mais le droit de veto n'est en principe pas fait pour défendre des intérêts nationaux.
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Le règlement des crises anciennes s'essouffle
Dans le cadre multilatéral, aucun des grands dossiers n'a réellement avancé. Pourtant jamais le nombre d'opérations onusiennes de maintien de la paix n'a été aussi élevé (15 à mi-2003, mobilisant près de 40.000 Casques bleus, pour un coût de 2,5 milliards de dollars) [15]. En revanche, le nombre de bases militaires à l'étranger n'a guère diminué [16], et le recours aux mercenaires n'a pas disparu.
Alors qu'une victoire militaire rapide en Irak devait, selon le président George Bush, permettre de rendre l'ensemble de la région plus sure, de relancer le processus de paix au Moyen-Orient et - par une sorte de nouvelle théorie des dominos, de répandre progressivement la démocratie dans les pays de la zone, force est de constater qu'il n'en est rien. Les propositions de la "feuille de route", adoptée le 17 septembre 2002 par le Quartet (en français Quatuor, né en mai 2002 et incluant États-Unis, ONU, Union européenne, Russie), présentées le 30 avril 2003 par Washington au gouvernement Sharon et au nouveau gouvernement de l'Autorité palestinienne, n'aura résisté qu'un temps à l'intensification de l'Intifada, à la multiplication des attentats-suicide, aux exécutions extra-judiciaires contre des responsables du Hamas, à la construction d'un mur de sécurité devant séparer les territoires palestiniens et Israël [17], aux menaces d'expulsion de Yasser Arafat, non plus qu'au bombardement par l'aviation israélienne d'un camp d'entraînement en Syrie. En dépit de quelques signes d'impatience, le soutien de Washington à Israël est resté indéfectible, y compris par l'usage répété du veto. Un réel espoir de règlement alternatif résulte de l'élaboration du très précis et complet Pacte de Genève, rendu public en octobre 2003, résultat de longues négociations - soutenues par une fondation suisse et la Confédération helvétique - entre éminentes personnalités israéliennes et palestiniennes, projet immédiatement condamné avec virulence par Ariel Sharon [18].
Le plan Baker pour le Sahara occidental a été qualifié de "solution politique optimale" mais "reposant sur un accord entre les deux parties" le 31 juillet 2003 par le Conseil de sécurité unanime. Mais les modalités d'exécution (en particulier le recensement des électeurs potentiels) en ont été formellement contestées par le Maroc. Kofi Annan a demandé au Maroc d'accepter le principe de ce règlement avant la fin de l'année. Un mince espoir de règlement réside en un éventuel accord direct entre Alger et Rabat, que les diplomaties française et américaine s'efforcent l'une et l'autre d'encourager.
En Afghanistan, alors que se poursuivent lentement la mise en place de nouvelles institutions, la sécurisation du pays et sa reconstruction, des opérations militaires continuent pour débusquer Ouslama Ben Laden, les principaux responsables du régime des mollahs, les unités de talibans et les membres d'entités terroristes comme Al Qaida. Des forces d'élite françaises participent à ces activités, qui se déroulent sous mandat de l'ONU. La coopération et des ONG françaises sont également très présentes dans ce pays. Mais les talibans sont loin d'avoir abandonné le terrain, et hors de Kaboul, les chefs de guerre traditionnels sont restés puissants et ne s'inclinent pas devant le pouvoir central. La force d'assistance internationale à la sécurité de l'ONU (ISAF) , qui est depuis août 2002 sous commandement de l'OTAN, a vu en octobre 2003 son mandat étendu aux zones hors de la capitale.
Dans le cadre bilatéral, mais avec le soutien multilatéral (régional ou onusien), un certain nombre de solutions diplomatiques ont été dégagées à des conflits parfois fort anciens; cependant, les mises en oeuvre restent difficiles et aléatoires. |
15] Il existe également des opérations de maintien de la paix non onusiennes : ainsi, celle qui est menée depuis juillet 2003 par des forces australiennes (1500 hommes) et néo-zélandaises (230 hommes) dans les îles Salomon, à la demande du gouvernement de celles-ci; destinée à restaurer le droit et l'ordre, elle devrait se terminer en 2004.
[16] L'existence de bases militaires à l'étranger, longtemps considérée par certains comme une survivance coloniale interventionniste, une présence "impérialiste" ou (pour les bases soviétiques) une menace pour les intérêts occidentaux, est aujourd'hui mieux tolérée, d'autant qu'elle permet le versement de substantielles compensations financières; de plus, elles s'avèrent utiles pour la formation des armées locales, des opérations humanitaires ou l'évacuation de ressortissants étrangers ou de populations menacées. Les États-Unis entretiennent de nombreuses bases en Europe (dans le cadre de l'OTAN), en Asie, au Moyen-Orient (ainsi qu'à Cuba avec Guantanamo) et viennent d'en installer une à Djibouti (voir note 19 ci après). Le Royaume-Uni en possède encore quelques unes (Chypre, Gibraltar, Kenya, Asuncion, Falkland, Caraïbes, Belize, Océan indien - notamment Diego Garcia, utilisé également par les Américains). La France en a fermé plusieurs en Afrique au cours des décennies, ou en a réduit les effectifs, mais il en subsiste au Sénégal, en Côte-d'Ivoire, à Djibouti, au Gabon, en Centrafrique, au Tchad, ainsi que bien entendu dans l'océan indien et dans le Pacifique. La Russie, qui avait fermé en mai 2002 la base de Cam Ranh au Vietnam - abusivement présentée comme sa "dernière base à l'extérieur" - vient en octobre 2003 d'en inaugurer une nouvelle, à Kant au Kirghizstan, cependant qu'elle en maintient encore deux en Géorgie - 8.000 hommes -, et en Transdniestrie - rpovince moldave majoritairement peuplée de Russes. Quant aux mercenaires, leur utilisation - interdite par une convention internationale et réprimée nationalement - a beaucoup décru depuis que la décolonisation est pratiquement achevée; en 2003, il y a eu quelques tentatives sporadiques, généralement peu glorieuses, à Madagascar, aux Comores, en Côte-d'Ivoire, impliquant des "soldats perdus" français, sud-africains, ukrainiens, serbes, etc... Début 2004, il y en a en Guinée équatoriale et au Zimbabwe. Le recrutement régulier d'étrangers pour des armées régulières (qui subsiste par exemple en ce qui concerne la Légion étrangère) soulève parfois des problèmes diplomatiques, comme entre le Royaume-Uni, le Népal et l'Inde à propos de la campagne de recrutement (traditionnelle) de Gurkhas pour les armées britanniques.
[17] les exemples récents de clôtures édifiées soi-disant pour protéger des populations ou empêcher les passages clandestins, ne plaident pas en faveur de leur rôle positif pour le règlement des différends : sans même remonter à la ligne Maginot ou à la ligne Morice (entre l'Algérie encore française et la Tunisie), que l'on songe au Mur de Berlin ou encore au Rideau de fer (qui n'était plus symbolique depuis qu'il était partout complété par des réseaux de barbelés, de miradors et de zones minées).
[18] qui a accusé les diplomaties française et belge de l'avoir soutenu. En fait, le ministre belge Louis Michel a fait éditer le texte et les cartes annexes sous forme de brochure. D'une manière générale, la diplomatie belge est devenus de plus en plus active au cours des années récentes, tant au Moyen-Orient et en Afrique que sur le plan européen et mondial.
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Des hauts et des bas en Afrique
Pour l'ex-Zaïre, après des mois de discussions délicates dans lesquelles le président sud africain Thabo Mbeki a joué un rôle clef, un accord a été signé à Pretoria le 17 décembre 2002, mettant fin en principe à plus de quatre années de cruels combats, qui ont coûté à la République démocratique du Congo (ex-Zaïre) plus de 2.500.000 morts civils. Les premiers pas vers la formation d'un gouvernement transitoire et vers des élections libres à tenir dans les trente mois (les premières depuis 1960) ont été franchis par la nomination en juillet 2003 de quatre vice-présidents, désignés par le président Joseph Kabila lui-même, par l'opposition non armée et par les deux principaux mouvements rebelles (le Mouvement de libération du Congo MLC, soutenu par l'Ouganda, et le Rassemblement congolais pour la démocratie RCD, soutenu par le Rwanda). Le processus reste cependant fragile, et la situation est loin d'être stabilisée, notamment aux frontières orientales du pays. Suite à une résolution du Conseil de sécurité le 30 mai 2003 une première force autonome de l'Union européenne appelée Artémis a été déployée début juin à Bunia [19], pour commencer à pacifier la région de l'Ituri; placée sous le commandement de la France, "nation cadre", et forte de 2000 hommes, elle réunissait des éléments (officiers, contingents, moyens de transport) allemands, autrichiens, belges, britanniques, espagnols, français, grecs, irlandais, italiens, hollandais, portugais, suédois, ainsi que sud africains, brésiliens, canadiens, chypriotes et hongrois. Cette force a été remplacée le 1er septembre 2003 par la MONUC, créée par le Conseil de sécurité le 28 juillet. Mais la région des Grands Lacs reste globalement une zone fortement troublée.
Le 3 décembre 2002, le président du Burundi Pierre Buyoya et le chef du principal mouvement rebelle politico-militaire Pierre Nkurunziza signent un accord "historique" de cessez-le-feu à Arusha, au terme d'un processus qui aura duré plus de quatre années et aura nécessité 19 rencontres où se sont impliqués les chefs d'État ou de gouvernement de l'Ouganda, de la Tanzanie, de la Zambie, de l'Éthiopie et de l'Afrique du Sud, l'ancien président Nelson Mandela ayant pris en 1999 le relais du tanzanien Julius Nyerere comme médiateur. Mais là encore, le processus de "meilleur partage du pouvoir" entre la majorité Hutu (elle-même divisée) et la minorité Tutsi s'avère difficile, et les actions armées continuent, notamment dans la capitale Bujumbura. En tous cas, les négociations ont continué, à Dar-Es-Salam puis à Pretoria, en présence du président Mbeki, avec des alternances d'espoir et de déception, jusqu'à un protocole global, signé par Domitien Ndayizeye, nouveau président du Burundi, et le chef des rebelles le 7 octobre 2003, accord qu'il reste maintenant à mettre en application.
Le conflit territorial qui a opposé pendant plus de douze ans l'Éthiopie et son ancienne province d'Érythrée, finalement devenue indépendante en 1993 (en violation du principe, approuvé en 1963 lors de la signature de la charte de l'Organisation de l'Unité africaine, du respect des frontières héritées de l'ère coloniale), a théoriquement pris fin avec une décision prise en avril 2002 par la cour d'arbitrage de La Haye. Mais les incursions réciproques n'ont pas cessé, et une mission de l'ONU (avec 4000 casques bleus) doit rester en place jusqu'à la pacification de la zone, et son déminage complet. La délimitation de la frontière a été remise sine die sur certaines portions.
À partir de janvier 2002, grâce à une forte implication bilatérale britannique (1.000 soldats, dont 200 sont encore en place) et à une force onusienne de 17.000 casques bleus, la situation a commencé à s'améliorer en Sierra Leone, après une décennie de guerre civile; le Conseil de sécurité a levé l'embargo instauré sur les ventes de diamants, des élections ont eu lieu, et un tribunal pénal spécial mis en place par l'ONU fonctionne depuis 2003. Mais les événements du Liberia ont continué à ralentir la stabilisation du pays.
Au Liberia, la progression des forces rebelles conjuguée avec une forte pression internationale a fini par amener un changement de gouvernement et une perspective de paix civile, après 14 années de violences, avec le départ du président Charles Taylor pour le Nigéria. Des troupes de l'ECOMIL de la CEDEAO ont pris position en août sur le territoire, intégrés progressivement au sein de la MINUL créée en septembre par le Conseil de sécurité; le Congrès américain a exceptionnellement voté des crédits pour financer 15.000 Casques bleus, sans doute pour compenser la timidité de l'implication des États-Unis dans le départ de Taylor - pourtant certainement plus facile à chasser que Saddam Hussein -, alors que leur influence est primordiale dans ce pays qu'ils ont naguère contribué à créer; il a voté en même temps 2 millions de dollars de récompense pour le présenter devant la cour pénale pour le Sierra Leone.
L'implication onusienne dans trois pays de l'Afrique de l'Ouest (Sierra Leone, Liberia, Côte-d'Ivoire), aux côtés d'une CEDEAO dont le potentiel militaire (hors celui du Nigeria, déjà très sollicité) est limité et dont les capacités de financement sont modestes, amènera d'ailleurs peut-être à la création d'une opération onusienne conjointe aux trois zones de conflit.
En Angola, l'armée régulière et les rebelles de l'UNITA ont signé le 4 avril 2002 un accord de cessez-le-feu, mettant fin à une guerre fratricide qui avait commencé au début des années 70, avant même l'indépendance de cette ancienne province d'Outre-mer portugaise riche en pétrole et en diamants. La mort en février 2002 de Jonas Savimbi, le chef historique du mouvement, a facilité cette réconciliation qui doit maintenant se concrétiser. Au fil des années, le président José Eduardo dos Santos a fait évoluer le pays du régime marxiste instauré à Luanda par le premier leader Agostinho Neto en un pays ouvert aux pratiques économiques libérales, et fortement lié aux États-Unis en raison de leurs intérêts pétroliers majeurs.
Le 15 octobre 2002, le gouvernement soudanais et les rebelles de l'Armée de libération des peuples du Soudan (ALPS) ont signé au Kenya un accord de cessez-le-feu couvrant la période des négociations d'un règlement politique qui mettrait fin à un conflit de deux décennies entre le Sud du Soudan, chrétien et animiste, et le Nord du pays, musulman et arabophone. A la suite d'une visite sur place du secrétaire d'État Colin Powell en octobre 2003, ce règlement semble proche. Les États-Unis ont fait pression sur le gouvernement de Khartoum, désireux qu'ils sont de rendre sa tranquillité à un pays riche en pétrole et en coton, et qui a par ailleurs une longue tradition de fondamentalisme islamique.
Pays considéré longtemps comme un modèle de pondération et de prospérité, la Côte-d'Ivoire a elle aussi plongé dans les turbulences, sinon dans le chaos. La nation ivoirienne édifiée par Houphouët-Boigny n'aura guère survécu à la mort du "Vieux" en 1993, un peu comme la Yougoslavie a implosé après la disparition de Tito. Pour se prémunir d'un concurrent plus redouté encore que redoutable, l'ancien Premier ministre Alassane Ouattara (qui a des origines burkinabe), le président Konan Bédié a forgé le contestable concept d' "ivoirité", difficilement applicable dans un contexte traditionnellement multiethnique et multireligieux. Un premier coup d'État militaire, fin 1999, amena au pouvoir le général Robert Gueï, qui contre toute attente reprit à son compte l'ivoirité; battu par Laurent Gbagbo aux élections présidentielles d'octobre 2000, il fut finalement abattu en septembre 2002; selon le gouvernement, il préparait un nouveau coup. Les troubles gagnèrent rapidement l'ensemble du pays, les provinces du Nord, largement musulmanes et souvent peuplées d'immigrés burkinanabe (et donc plutôt proches d'Ouattara), échappaient au contrôle des forces gouvernementales et furent contrôlées par des forces rebelles, cependant que des éléments armés venus du Liberia s'impliquaient dans les combats. Les partisans du président Gbagbo mettaient en cause le Burkina Faso. Les forces françaises prépositionnées à Abidjan furent amenées à intervenir sur place (pour permettre le départ d'Ouattara, ainsi que l'évacuation et la protection de nombreux ressortissants étrangers, et à s'interposer à l'intérieur du pays pour tenter de calmer le jeu, séparer les combattants, protéger les populations, permettre des évacuations (dont des écoliers américains, avec l'aide d'un commando de Marines). La France fut vivement critiquée, son ambassade à Abidjan (où Ouattara avait trouvé refuge à la demande même du président ivoirien) assiégée par la foule (qui demandait en revanche un engagement américain, aux cris de "USA is better" [20]), et le ministre Dominique de Villepin effectua début janvier dans la capitale ivoirienne une visite très difficile, longuement bloqué par une manifestation hostile à sa sortie du palais présidentiel.
Les accords de Marcoussis, conclus au terme d'une semaine (15-23 janvier 2003) de négociations entre toutes les parties, avec la présence d'une utile fermeté d'un facilitateur, Bernard Stasi, Médiateur de la République et constitutionnaliste expérimenté, convenaient de bases acceptables pour assurer la réconciliation nationale, la formation d'un gouvernement où toutes les tendances devaient être représentées, et la pacification du pays tout entier. Une conférence tenu à Paris les 25 et 26 janvier avalisait ces accords en présence de plusieurs chefs d'État africains et du secrétaire général de l'ONU, et de nouveau une forte implication de la France, en la personne du président Jacques Chirac et du ministre des affaires étrangères Dominique de Villepin.
Par la suite, la CEDEAO ainsi que le Conseil de sécurité de l'ONU entérinèrent également ces accords, de même que les États-Unis. Le maintien d'un dispositif militaire français, renforcé ultérieurement par des forces africaines, assura pendant quelques mois le calme; en revanche, la formation du gouvernement, sous la direction de Seydou Diarra, se heurta à de sérieuses difficultés, dues notamment à l'opposition du président Gbagbo à la nomination aux postes ministériels de sécurité de représentants des rebelles, rebaptisés Forces nouvelles, nominations qu'il avait pourtant semblé accepter à Paris. La situation politique reste difficile, et de nouvelles violences restent à craindre [21], blocage et troubles que l'action diplomatique de la France, confortée par les contingents français et africains et appuyée par les institutions internationales et régionales, cherchera sans nul doute à régler. |
[19] en fait, l'Union européenne a déjà relayé, en mars 2003, la force de l'OTAN en Macédoine.
[20] cet engouement apparent pour un rapprochement avec les États-Unis se manifeste dans d'autres pays francophones d'Afrique, sans que Washington y donne réellement suite sur le plan politique. Ainsi, la République islamique de Mauritanie, qui a noué (lors d'une cérémonie tenue à Washington) des relations diplomatiques avec Israël, soutient Washington sur l'Irak. Djibouti a en 2003 autorisé les États-Unis à installer une base militaire (pour un "loyer" annuel de 31 millions de dollars, ce qui a amené Paris à réviser en hausse ses propres versements à Djibouti, de 18 à 35 millions d'euros). Des chercheurs et des universitaires de plus en plus nombreux se rendent aux États-Unis pour des études ou des recherches, chemin que connaissent bien déjà hommes d'affaires et même petits commerçants style "bana-bana". Quant à l'influente confrérie sénégalaise des Mourides, elle a depuis longtemps investi certaines rues de New York. Il est vrai que la politique française de visas est plus stricte que celle des États-Unis; celle-ci vient pourtant de se durcir sensiblement pour les ressortissants de 25 pays, essentiellement arabes ou musulmans (le nombre d'étudiants arabes aux USA a baissé de 30% entre 1999 et 2002). De même le nombre de réfugiés admis aux États-Unis en 2002 (27.300) est inférieur de 40% au chiffre de 2001 (68.426) et nettement inférieur au quota officiellement autorisé (70.000).
[21] l'assassinat par un policier ivoirien du journaliste de RFI Jean Hélène, le 21 octobre 2003, a de nouveau éprouvé les relations franco-ivoiriennes. Il faut noter la concommitance de cette mort avec l'expulsion par le Sénégal de la correspondante de RFI, mise en cause pour avoir interviewé le porte-parole du mouvement séparatiste de Casamance, région du Sud du Sénégal où une guerrilla meurtrière sévit depuis 1980; les perspectives d'une négociation politique, amorcée voici quelques années par le président Abdou Diouf et le leader indépendantiste l'abbé Diamacoune pour écarter une solution militaire, semblent s'éloigner, en dépit des efforts du président Abdoulaye Wade pour ramener un calme assurément souhaité par la majorité de la population locale
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Quelques progrès en Asie et en Europe
En Asie méridionale, les forces indonésiennes ont conclu le 9 décembre 2002 à Genève un accord de cessez-le-feu avec le mouvement séparatiste de l'Atjeh libre, province - désormais dotée d'un régime d'autonomie spéciale - de l'île de Sumatra riche en pétrole et en gaz naturel, dont le sécessionisme a commencé il y a plus d'un quart de siècle. Près de 150 observateurs veillent au respect de cet arrangement, obtenu sous l'égide d'une ONG suisse, le Centre Henri Dunant pour le dialogue humanitaire (HDC). Le gouvernement indonésien y reconduit pourtant la loi martiale.
C'est sous l'égide de la Norvège (forte de la réputation et de l'expérience acquises naguère grâce à son rôle dans le processus d'Oslo sur le Proche-Orient) qu'un accord de cessez-le-feu assorti de mesures de confiance destinées à favoriser un dialogue direct a été conclu le 23 février 2002 entre les autorités sri-lankaises et les Tigres de libération de l'Eelam Tamoul (LTTE), qui luttent avec une grande violence, depuis le début des années 80, pour l'indépendance de cette province peuplée majoritairement de Tamouls pratiquant la religion hindoue (amenés par les britanniques dans l'ancienne Ceylan - essentiellement bouddhiste - depuis le Tamil Nadu voisin, au Sud de l'Inde, pour travailler dans les plantations de thé). Assorties d'un cessez-le-feu, les conversations ont commencé en septembre 2002 en Thaïlande et se sont poursuivies en Norvège; elles devraient reprendre fin 2003, mais le processus - qui pourrait aboutir à une administration autonome dans les régions majoritairement tamoules - se heurte à de nombreux obstacles qui rendent son heureuse conclusion difficile, sinon aléatoire. La présence d'une importante communauté musulmane, silencieuse jusqu'ici, présente un élément de risque supplémentaire. La question du Cachemire est redevenue d'actualité brûlante depuis que les événements autour de l'Afghanistan et la montée en puissance du fondamentalisme islamique dans cette région ont relancé dans ce territoire les menées séparatistes et les activités terroristes des militants dont Delhi ne doute pas que le Pakistan soutient l'action, qui déborde maintenant jusque vers la capitale indienne et Bombay. Les dangers de ce différend, l'un des plus anciens dont l'ONU ait eu à connaître [22] sont encore accrus parce que les deux pays ont un réel potentiel de frappes classiques et nucléaires, qu'ils n'ont signé ni l'un ni l'autre les traités de non-prolifération en ce domaine, et qu'ils recèlent l'un et l'autre dans les cercles gouvernementaux quelques fauteurs de guerre prêts à appuyer sur le bouton nucléaire. Dans le contexte - renforcé par les événements du 11 septembre 2001 - de la lutte contre le terrorisme et les actions de Ben Laden, du mollah Omar et du groupe Al Qaida, la crainte de la fabrication d'une bombe atomique islamique hante pas mal d'esprits [23].
C'est évidemment dans ce cadre qu'il convient d'apprécier le spectaculaire rapprochement entre Israël et l'Inde, pays pourtant traditionnellement favorable aux palestiniens, du fait de son rôle éminent dans le non alignement et aussi de l'importante communauté musulmane qu'il abrite; à la suite de la visite du premier ministre Ariel Sharon à Delhi, début septembre 2003, Israël pourrait en devenir le premier pourvoyeur d'armes, remplaçant dans ce rôle la Russie [24], dont l'alliance reste cependant acquise comme par le passé à l'Inde. De son côté, Washington soigne également sa relation avec l'Inde [25], tout en maintenant ses anciens liens avec le Pakistan, liens éprouvés cependant par l'assassinat de Daniel Pearl (dont Bernard-Henri Lévy a dans un livre-choc montré combien l'enquête menée par ce journaliste américain du Wall Street Journal sur la politique pakistanaise impliquait des services officiels de ce pays). La Chine fait également l'objet de l'attention de Delhi et d'Islamabad; le président Pervez Musharaff y a fait en octobre 2003 une visite officielle, confirmant l'excellence traditionnelle des liens entre les deux pays; de son côté, le premier ministre indien Atal Behari Vajpayee s'est rendu à Pékin en juin 2003, rendant la visite qu'en 2001 avait rendue à Delhi le chef du gouvernement chinois de l'époque, Zhu Rongji; des exercices navals conjoints ont eu lieu en novembre 2003; longtemps dégradées en raison de différends territoriaux et de l'accueil réservé par l'Inde au Dalaï Lama et aux exilés tibétains, éprouvées par un conflit armé en 1962, les relations entre Pékin et l'Inde se sont progressivement améliorées depuis la fin des années 80, avec une première visite en Chine du premier ministre Rajiv Gandhi.
Au regard de l'évolution de ce dossier et en dépit des appels de Washington, de Londres [26] et de l'Union européenne, les quelques signes positifs qu'ont constitués en septembre 2002 les premières élections tenues au Cachemire depuis de longues années, en avril 2003 la visite du Premier ministre indien Vajpayee dans la capitale cachemirie (premier voyage d'un chef de gouvernement indien depuis seize ans) son émouvant appel affirmant que l'entente avec le Pakistan et le règlement pacifique de la question du Cachemire seraient l'oeuvre qui couronnerait sa vie politique, les réactions plutôt positives du président pakistanais Musharaf, ont été rapidement démentis par une série d'attentats, une escalade verbale inquiétante (le ministre indien des affaires étrangères déclarant que le Pakistan était un "cas pour des frappes préventives") et un net regain de tension. Le 22 octobre 2003, Delhi propose cependant un série de douze mesures de confiance, ainsi que des rencontres avec l'un des mouvements séparatistes, tout en rappelant que la fin du "terrorisme transfrontalier" conditionne le dialogue avec Islamabad.
En Europe aussi, quelques signes de détente où la diplomatie joue son rôle. Ainsi, en septembre 2003, la première visite en Serbie-Montenegro du président de la Croatie a rasséréné des relations exécrables depuis 1991, lorsque cette dernière avait obtenu son indépendance; les deux chefs d'État ont exprimé des regrets pour les violentes exactions réciproques infligées au cours de plusieurs années de durs conflits. En octobre 2003, de premiers contacts à Vienne entre les responsables kosovars et les autorités de Belgrade peuvent aussi être considérés comme un progrès sur la voie d'un règlement négocié du statut de la population d'origine albanaise.
Objet depuis l'éclatement de l'URSS d'un contentieux territorial entre la Russie et l'Ukraine (qui concerne aussi le port et la base navale de Sébastopol), l'île de Tuzla (entre la Mer noire et la mer d'Azov) a provoqué une crise entre Moscou et Kiev, jusqu'à ce que le gouvernement russe ordonne en octobre 2003 la suspension de la construction d'une digue, en attendant de prochaines négociations bilatérales.
Enfin, alors que le problème chypriote semblait bloqué depuis des années en raison de la partition de fait de l'île depuis l'intrusion en 1974 de l'armée turque dans sa partie Nord et de la farouche opposition d'Athènes et d'Ankara sur cette question, l'adhésion de Chypre à l'Union européenne pourrait faire bouger les choses là où les tentatives de solution sous l'égide de l'ONU ont échoué, en poussant les dirigeants des deux communautés d'origine grecque et turque à s'entendre sur un régime plus proche du fédéralisme. |
[22] le groupe d'observateurs militaires stationné sur la "ligne de contrôle", fort d'une cinquantaine d'hommes, a été créé par le Conseil de sécurité en 1948. Depuis le regain, en 1989, de l'activité terroriste, au moins 38.000 personnes auraient été tuées dans le Cachemire indien (plus du double selon les chiffres des séparatistes).
[23] Les révélations publiques faites par le professeur Khan, responsable pendant plusieurs décennies des recherches nucléaires au Pakistan, sur les fuites d'informations qu'il a organisées vers certains pays donnent du crédit à ces inquiétudes...
[24] parmi les principaux vendeurs d'armes du monde, la Russie (en 2001, 3,1 milliards de dollars; en 2002 4,8 milliards et 12% de part du marché; et 5,1 milliards en 2003) a ravi à la France (1,8 milliard et 7%) la troisième place, derrière les États-Unis (10,2 milliards de dollars en 2002 et 40% du marché) et la Grande-Bretagne (4,7 milliards et 18,5%). La Chine vient en 5ème position (800 millions), suivie de l'Ukraine (600 millions), de l'Allemagne (500 millions), de l'Italie (400 millions), d'Israël (300 millions) et du Brésil (200 millions). La Corée du Nord exporterait 110 millions d'armes (en matériels militaires usagés acquis ailleurs). Le contrat d'un milliard signé avec l'Inde fera remonter sensiblement la part d'Israël. En 2003, les exportations d'armement de la Pologne se sont élevées à 900 millions de dollars
[25] des manoeuvres navales conjointes en mer d'Oman ont eu lieu en octobre 2003; les exercices militaires indo-américains ont repris en mai 2002 après 39 ans d'interruption; l'Inde a cependant refusé d'envoyer en Irak les 10.000 hommes que souhaitait Washington. Par ailleurs, les États-Unis commencent à s'inquiéter de la délocalisation vers l'Inde d'activités américaines en technologies modernes
[26] Tony Blair s'est rendu sur place en janvier 2002, rare geste d'un responsable britannique pour proposer de remédier à une situation héritée de la décolonisation de l'Empire britannique.
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Le droit et la justice s'imposent parfois
Parmi les quelques signes positifs où le droit l'emporte sur la force, mentionnons aussi le progrès des juridictions pénales internationales. La Cour criminelle internationale est entrée en vigueur le 1er juillet 2002, afin de juger les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les actes de génocides commis après cette date. Mais les États-Unis, qui refusent toute juridiction de la Cour, ont multiplié les pressions pour obtenir qu'un certain nombre d'États signent avec eux un accord soustrayant les ressortissants américains (notamment les militaires) à sa compétence..
Le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, siégeant à La Haye, a tenu parfois six procès simultanément, a examiné 29 affaires au fond, et a rendu sept jugements portant condamnations. L'action engagée contre l'ancien président Slobodan Milosevic se poursuit, sur la base de 3 actes d'accusation et de 60 chefs d'inculpation. Mais 17 coupables présumés sont encore en fuite. Le tribunal pour le Rwanda, qui siège à Arusha, a rendu 15 jugements (14 condamnations et un acquittement) et mené 26 enquêtes concernant 22 détenus. Un tribunal spécifique pourrait être créé pour la Bosnie, un autre pour l'Irak; un tribunal a été créé en Sierra Leone, un autre est sur le point de l'être au Cambodge, et le président de la RDC Joseph Kabila a demande qu'il en soit créé un pour juger les actes commis sur le territoire de son pays. En revanche, le sort juridique des terroristes (ou présumés tels) arrêtés par les Américains en Afghanistan, en Irak ou ailleurs (et dont beaucoup sont détenus sur la base de Guantanamo dans des conditions qui ont entraîné des critiques, notamment du Comité international de la Croix Rouge et d'une saisine de la Cour suprême des États-Unis) n'a pas été défini et aucun jugement n'a encore eu lieu.
Toujours dans le domaine de la justice internationale, la Cour internationale de justice de La Haye a rendu son arrêt dans le différend qui opposait le Cameroun au Nigeria à propos de la riche province pétrolière de Bakassi, que les troupes nigérianes avaient depuis plusieurs années occupée. Se basant sur des traités conclus à l'époque coloniale, elle a reconnu le bon droit du Cameroun, tout en faisant quelques concessions mineures à la thèse d'Abuja [27]. Les conséquences de cet arrêt risquent cependant de créer des difficultés diplomatiques dans le golfe de Guinée, notamment à propos des droits off shore intéressant le Cameroun et la Guinée équatoriale, qui a par ailleurs un contentieux territorial avec le Gabon.
Un incident mineur, rapidement réglé à l'été 2002, a un temps assombri les relations entre le Maroc et l'Espagne à propos de la souveraineté sur le petit îlot de Persil (Leila pour les Marocains); mais Rabat ne manque jamais de rappeler également ses revendications sur les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, cependant que l'Espagne et le Royaume Uni n'en finissent pas de discuter du statut de Gibraltar. Ce dernier (dont l'Espagne a fermé la frontière en novembre 2003 pour la première fois depuis Franco, sous prétexte de protection sanitaire) continue d'ailleurs de figurer sur la liste des territoires non autonomes examinée annuellement à l'ONU, au milieu d'une vingtaine d'autres situations, qui concernent la plupart du temps de modesties îles ou des archipels.
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27] rendu malencontreusement public en pleine période de campagne électorale présidentielle au Nigeria, cet arrêt a suscité une certaine opposition chez les cadres supérieurs de l'armée nigériane, qui l'ont contesté en particulier en raison des références à des textes juridiques du temps de la colonisation. Le président Obansanjo (qui a rencontré à plusieurs reprises le président Biya du Cameroun, notamment en présence du secrétaire général de l'ONU) a cependant déclaré que le Nigeria respecterait l'arrêt de La Haye; outre la presqu'île de Bakassi, le Nigéria a restitué au Cameroun 33 villages frontaliers.
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La crise à propos de l'Irak a dominé l'année
Mais ce bilan plutôt sombre des performances diplomatiques de la période récente ne saurait se conclure sans qu'une place particulière ne soit réservée aux opérations militaires en Irak et à ses suites. Pratiquement tous s'accordaient sur la nécessité de désarmer l'Irak et de détecter pour les détruire ses éventuelles armes de destruction massive, tous estimaient que Saddam Hussein jouait habilement sur la durée des inspections de l'ONU et de l'AIEA et sur la pusillanimité de la communauté internationale, bien peu témoignaient de la sympathie à ce régime et beaucoup compatissaient avec un peuple valeureux frappé depuis plus d'une décennie par de sévères sanctions à peine adoucies par le système du "pétrole contre nourriture" contrôlé par l'ONU. Le spectaculaire affrontement diplomatique autour de l'Irak s'est donc joué non pas tellement sur les objectifs, mais plutôt sur les principes, les modalités et l'échéancier.
D'un côté, les États-Unis, décidés à en terminer très vite avec l'un des pays de l' "axe du Mal" [28], dont ils dénonçaient, soi-disant preuves irréfutables à l'appui, qu'il possédait bien des armes de destruction massives prêtes à l'emploi et qu'il avait des liens directs avec le terrorisme de Ben Laden et d'Al Qaida, et dont ils affirmaient que la population accueillerait les troupes de la coalition en libérateurs, que la démocratie et les droits de l'homme y régneraient désormais, que la situation géostratégique de la région en serait transformée, la solution du problème israélo-palestinien facilitée et la paix du monde globalement mieux assurée [29]; autour d'eux, un groupe de pays dont les plus déterminés étaient le Royaume-Uni de Tony Blair, l'Espagne de Jose Maria Aznar, l'Italie de Silvio Berlusconi, certains pays européens (déjà cités plus haut) et d'autres encore, comme l'Australie, le Japon, la Corée du Sud [30], la Macédoine, ultérieurement la Turquie [31], seuls à ce jour à avoir envoyé des contingents ou des unités sur place, loin en tous cas du chiffre de 49 membres de la coalition une fois cité par le secrétaire d'État Colin Powell [32].
De l'autre côté, le "camp de la paix", qui voulait laisser du temps supplémentaire aux inspecteurs et estimait que toute solution valait mieux que la guerre, qui ne saurait être que l'ultime recours; en faisaient partie la France, l'Allemagne, la Belgique, la Russie, la Chine, des voisins des États-Unis comme le Mexique et la Canada, et une grande partie de la communauté internationale, camp auquel le Pape - et plus discrètement le secrétaire général de l'ONU - apportaient également leur appui.
Rarement un affrontement diplomatique aura-t-il autant dépassé les enceintes des chancelleries diplomatiques et du Conseil de sécurité, où une incantatoire intervention de Dominique de Villepin a été applaudie par des délégués, des journalistes, le public des tribunes (fait unique dans les annales de l'institution), l'échange public et direct entre "Dominique et Colin" [33] ne laissant aucune chance à ce dernier de rallier les neuf voix nécessaires à l'adoption d'une nouvelle résolution jugée à ce moment-là nécessaire à Washington.
Rarement un problème international aura-t-il autant mobilisé les opinions publiques, notamment dans les pays dont les gouvernants avaient pris parti pour la guerre. Rarement la presse écrite et télévisée aura-t-elle joué un tel rôle dans l'information comme dans le commentaire, les journalistes étant pour la première fois admis au sein des unités combattantes; la chaîne CNN de Ted Turner (un partisan déclaré de l'ONU) a perdu son monopole - incontesté lors de la première guerre du Golfe - de la couverture en direct des événements et joue un rôle un peu plus modéré que son nouveau concurrent du groupe Murdoch, FOX, ouvertement belliciste (et donc outrageusement anti-français) [34], cependant que la chaîne arabophone Al Jazeira diffuse à côté des prises de position pro-américaines, le point de vue des partisans de la paix, mais aussi bien des enregistrements de Ben Laden ou de Saddam Hussein, sans même parler des surréalistes points de presse du ministre irakien de l'information, Mohamed Saeed al-Sahaf, niant l'évidence de l'avancée des forces américano-britanniques et la conquête lente mais indiscutable de Bagdad [35].
Finalement, ayant renoncé à l'espoir d'obtenir une nouvelle résolution qui les auraient formellement autorisés à intervenir militairement, les Américains durent se contenter d'interpréter la précédente résolution 1441 comme leur donnant cette possibilité. Les opérations militaires commencèrent le 19 mars 2003.
La guerre est gagnée, reste à assurer la paix
La guerre ayant été assez rapidement gagnée sur le terrain, non sans "dommages collatéraux", le régime de Saddam Hussein ayant été effectivement mis à bas, il restait désormais à "gagner la paix", à arrêter les dirigeants déchus, à reconstruire le pays et ses infrastructures, à le "démocratiser" en le dotant d'institutions représentatives [36], à remettre la production pétrolière et l'économie en route, à assurer la sécurité, le tout dans un délai raisonnable. Cette tâche, dirigée d'abord par Jay Garner, général à la retraite, fut ensuite confiée à un diplomate, Paul Bremer. Bien entendu, les sanctions édictées en 1991 contre l'Irak furent levées des le 25 avril 2003 (à l'exception de l'embargo sur les armes) par un Conseil de sécurité unanime.
Six mois après que le président américain eut affirmé, le 1er mai, que les opérations militaires étaient terminées, plus de 140 militaires américains ont été tués [37], et George Bush - dont la popularité bien que sensiblement érodée reste majoritaire - doit faire face à des questions sur la véracité de son argumentation et sur sa gestion de la situation, ne serait-ce qu'en raison de son coût humain et financier.
Sur place, la majorité des dignitaires du régime déchu (le fameux jeu de 52 cartes) ont été arrêtés (les deux fils redoutés de Saddam ayant été tués, Saddam lui-même restant introuvable), le pays se remet lentement en marche sous la direction d'un Conseil de gouvernement nommé (en attendant une nouvelle constitution et des élections libres); les kurdes, que ne ménageait pas le régime déchu, semblent satisfaits de l'issue de la guerre, les Sunnites, qui avaient la faveur de Saddam, semblent en majorité réticents voire hostiles, et sont probablement à la base d'une bonne partie des attentats, cependant que les chi'ites, majoritaires et s'appuyant sur l'Iran voisin, paraissent monter en puissance, tout en restant divisés sur l'attitude à adopter face aux Américains, considérés globalement comme hostiles à l'Islam et aux Arabes, et inspirés par un messianisme évangélique (ce qui concernant tout au moins la Maison Blanche n'est pas tout à fait faux).
Outre l'évolution en Irak même, outre la répercussion de cette affaire sur la crise du Proche-Orient dans une direction qui n'était certes pas celle escomptée par Washington, d'autres conséquences sérieuses n'ont pas fini de découler de cet affrontement.
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[28] il reste d'ailleurs à expliquer pourquoi la Corée du Nord et l'Iran, dont le potentiel nucléaire est avéré, bénéficient de la part de Washington d'un traitement plus souple que l'Irak. Pyongyang s'est retiré en janvier 2003 du Traité de non prolifération signé en 1985 et a annoncé en décembre 2002 la reprise "immédiate" de son programme nucléaire, gelé depuis un accord conclu en 1994 avec Washington en échange de la fourniture de deux réacteurs civils. En juin, la Corée du Nord reconnaît qu'elle cherche à se doter de l'arme nucléaire; mais en octobre 2003, la Corée du Nord semble prête à donner des assurances à ce sujet en échange de garanties de sécurité de la part des États-Unis, cependant que Téhéran s'est engagé à coopérer pleinement avec l'AIEA et à suspendre tout enrichissement d'uranium, résultat d'une démarche conjointe sur place des ministres français, allemand et britannique des affaires étrangères, Dominique de Villepin, Joschka Fischer et Jack Straw
[29] Le 12 septembre 2002, George Bush déclare devant l'Assemblée générale de l'ONU qu'il souhaite que les Nations unies agissent contre un Irak qui n'a pas désarmé; faute de coopération de la part du Conseil de sécurité, il affirme que les États-Unis agiront seuls. Un mois plus tard, le Congrès américain l'autorise à agir même sans aval de l'ONU. Le projet proposé par Washington (c'est en fait Colin Powell qui a convaincu une administration très réticente de le faire) le 25 octobre est adopté à l'unanimité mais après d'intenses discussions le 7 novembre; cette résolution 1441 accuse l'Irak de n'avoir pas respecté les textes antérieurs, met en place un nouveau régime d'inspection et menace Bagdad de "sérieuses conséquences" en cas de violation d'un désarmement "sans conditions". Washington s'engage à revenir devant le Conseil avant de recourir à la force. Le 27 novembre 2002, les inspections de l'UNMOVIC et de l'AIEA reprennent. Le 5 février 2003, Powell déclare au Conseil que l'Irak cache des armes de destruction massive. Le 14 février, les inspecteurs affirment qu'après 11 semaines d'investigations, ils n'ont rien trouvé. Le 24 février, les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Espagne déposent un projet déclarant, dans le cadre du chapitre VII de la Charte, que l'Irak n'a pas saisi la chance ultime que lui offrait la résolution 1441. Paris, Moscou et Berlin demandent plus de temps pour les inspecteurs. Le 28 février, le porte-parole de la Maison Blanche précise que Washington ne veut plus simplement désarmer l'Irak, mais souhaite un changement de régime. Le 5 mars, Paris et Moscou annoncent qu'ils utiliseraient leur droit de veto en cas de besoin (Pékin en fait de même le lendemain). Ce droit de veto serait en fait inutile, puisqu'il est avéré, en dépit d'un lobbying intense de la part des Américains, notamment sur les membres africains (c'est la Guinée qui préside le Conseil en mars), que ces derniers restent opposés à la solution militaire. Se rendant compte qu'ils n'obtiendraient pas le mandat qu'ils espéraient, les États-Unis décident alors de passer quand même à l'action.
[30] 400 soldats sud-coréens sont présents en 2003 dans le domaine logislitique et médical. En février 2004, le parlement sud-coréen approuve l'envoi de 3000 soldats supplémentaires, pour des tâches de maintien de la paix et de reconstruction; ce sera ainsi le troisième contingent en nombre après les États-Unis et le Royaume-Uni. Depuis la guerre du Vietnam, la Corée du Sud n'avait pas déployé de troupes à l'étranger
[31] l'opposition à la présence de troupes turques d'une partie des membres du Conseil de gouvernement irakien - pourtant mis en place par les Américains - et les risques accrus d'affrontement notamment avec les kurdes, font qu'Ankara hésite à donner son accord final. Washington n'avait pourtant pas ménagé ses efforts pour obtenir l'accord préalable du parlement turc sur un contingent de 10.000 hommes, allant jusqu'à octroyer au pays un prêt de 8,5 milliards de dollars (27 milliards avaient été envisagés si Ankara avait donné son accord au déploiement de troupes turques dès le mois de février 2003).
[32] En dehors des pays militairement engagés dans la coalition (qui sont au nombre de 33), certains pays qui ont formellement refusé d'envoyer des troupes et qui sont fort éloignés d'habitude des positions américaines ont fait des gestes significatifs dans le sens souhaité par Washington au nom de la lutte globale contre le terrorisme : c'est le cas déjà cité de l'Inde; c'est aussi celui de l'Algérie, dont la marine a de nouveau participé en octobre 2003 à des manoeuvres navales dans le cadre du "dialogue méditerranéen" lancé par l'OTAN en 2002 (le président Bouteflika s'est rendu en 2001 au siège de l'OTAN à Bruxelles).
[33] certains, y compris parmi ceux qui étaient acquis à la cause défendue par la France, ont regretté que ce débat ait été public, estimant que des consultations privées ou une session à huis clos eussent ménagé la position de Colin Powell, dont on savait qu'il était assez loin des positions jusqu'au-boutistes de la Maison Blanche, du vice-président Dick Cheney et du Pentagone de Donald Rumsfeld
[34] la journaliste vedette de CNN, Christiane Amanpour - elle-même d'origine iranienne - a dénoncé - après coup - la dérive "belliciste" de CNN, aiguillonnée par les positions de Fox. Seule la chaîne ABC a réellement pris une tonalité modérée. Par ailleurs, l'un des principaux éditorialistes de Fox a en février 2004 (après les révélations sur l'absence d'armes de destruction massive) publiquement regretté la position qu'il avait naguère prise.
[35]les projets de télévision ou de radio à destination de l'étranger, notamment des "zones sensibles" se multiplient, au delà des nombreux programmes qui existent déjà : Paris souhaite lancer un "CNN à la française", les États-Unis se sont déjà dotés d'une radio en langue arabe (Radio Sawa, créé en mars 2002) et vont lancer fin 2003 une chaîne de télévision à destination du monde arabe.
[36] une fois de plus, la voix des exilés, pour touchante et fondée qu'elle puisse être, a probablement amené l'administration américaine à se fourvoyer sur certaines mesures et quelques nominations, en faisant exagérément confiance à certains groupes
[37] portant le total des militaires américains tués en Irak à 378 (au 1er novembre 2003).
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Le regain de l'unilatéralisme américain et le questionnement de l'ONU
L'unilatéralisme américain, déjà montré du doigt par l'ancien ministre Hubert Védrine, s'est en cette circonstance manifesté de manière éclatante. Rarement l'exaltation du droit autoproclamé des États-Unis à dire - et plus encore à en convaincre les autres - de quel côté se trouvent le bien, le droit, la justice, la vérité et la civilisation a été poussée aussi loin. Le souci d'une grande partie de la communauté internationale de favoriser le multilatéralisme et la multipolarité est non seulement un concept incompris à Washington, mais ouvertement combattu. À l'UNESCO, les États-Unis ont l'intention de contrer les initiatives sur le dialogue des cultures et des civilisations.
Le rôle, l'utilité et l'existence même de l'ONU ont été mis en cause, non seulement par quelques proches conseillers de Washington, mais par de nombreux observateurs ou éditorialistes. Certains, favorables à l'organisation, ont reproché au secrétaire général Kofi Annan de n'avoir pas su ou pu empêcher l'invasion de l'Irak. Le président Bush a du au début faire contre mauvaise fortune bon coeur et affecter de se contenter de l'appui de la coalition alors formée, mais assez rapidement, il a jugé nécessaire de revenir devant les Nations Unies pour tenter d'obtenir enfin le mandat qui lui avait été refusé en mars et de s'assurer du concours militaire et financier d'un plus grand nombre de pays, concédant un rôle plus important à l'ONU, acceptant un échéancier plus serré de retour à la souveraineté irakienne, tout en gardant dans l'immédiat la maîtrise des opérations civiles et militaires. C'est ce qui fut fait, à l'unanimité miraculeusement retrouvée du Conseil de sécurité, le 16 octobre 2003, par la résolution 1511. Il n'empêche que l'édifice onusien a été fortement ébranlé par les initiatives américaines, son personnel durement touché par les morts du 19 août, et que la question de sa réforme (en particulier celle du Conseil de sécurité) est plus que jamais à l'ordre du jour.
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[38] Michael J. Glennan, Why the Security Council Failed, Foreign Affairs, mai/juin 2003
[39] tels ces missiles soit-disant français et de fabrication très récente qui auraient été découverts en Irak par le contingent polonais, information immédiatement démentie du côté français avant de l'être par Varsovie et Washington
New York Times du 18 septembre 2003. Friedman écrit notamment : "Il est grand temps que les Américains comprennent quelque chose. La France n'est plus seulement un allié contrariant. Elle n'est plus seulement un rival jaloux. La France est en train de devenir notre ennemie."
[43] à la suite de l'adoption de cette résolution, on se trouve peu ou prou dans la situation qui prévaut encore aujourd'hui en ce qui concerne le "UN Command" en Corée, telle qu'elle résulte de la résolution 84 adoptée en 1950 par le Conseil de sécurité (en l'absence, pour cause de protestation contre la présence de la Chine nationaliste, de l'ambassadeur soviétique, qui ne put donc opposer son veto) : les forces de seize pays (dont la France) furent alors placées sous commandement américain. Théoriquement, cette opération onusienne de maintien de la paix perdure toujours, et le général américain qui la commande fait un rapport annuel au Conseil. Lors de la première guerre du Golfe, l'opération "Desert Storm", qui n'était pas une opération onusienne mais avait été autorisée par le Conseil, était également sous commandement américain; toutefois, le Conseil avait fixé un mandat précis et limité : faire évacuer le Koweit, État membre de l'ONU, par les forces irakiennes qui l'avaient envahi.
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La relation franco-américaine éprouvée
Mais c'est sans nul doute la relation franco-américaine qui a le plus souffert de la crise de ces derniers mois; le président Jacques Chirac et son ministre des affaires étrangères sont en effet considérés - à juste titre - comme les adversaires les plus déterminés de la politique menée par l'administration Bush, en Irak en particulier. Si d'autres pays, l'Allemagne, la Russie, la Chine, pour ne mentionner que les plus importants, se sont associés à la France dans le "camp de la paix", c'est essentiellement Paris que montrent du doigt les porte-parole de la Maison Blanche, du Pentagone (plus modérément ceux du Département d'État), ainsi que de nombreux lobbies ou groupes de pression, et une partie de la presse neolibérale et ultraconservatrice. Ceux-ci dénient évidemment à la position française toute motivation pacifique, humaniste ou universaliste, et s'en prennent à un Jacques Chirac "ami" de Saddam Hussein, une France vendeuse d'armes à l'Irak, et une diplomatie qui serait en réalité uniquement soucieuse de l'influence et de la grandeur de la France [38]. Les "preuves" falsifiées [39] et les exagérations ne manquent pas, tel cet éditorial de Walter Friedman dans le New York Times qualifiant la France d' "ennemi" [40], cependant que l'on débaptise ou que l'on boycotte les produits français. Pourtant, bien que le pape ne se soit guère montré moins hostile à la guerre, ait multiplié les exhortations publiques "urbi et orbi" et ait envoyé des émissaires aux principales capitales, personne à Washington ne songe à boycotter les messes ou les édifices religieux catholiques !
Alors que la Russie est réhabilitée (au nom de la lutte anti-terroriste, habilement utilisée par le président Putin pour qualifier les opérations en Tchéchénie) et que l'on pardonne à l'Allemagne, la France reste seule mise en cause; même le protocolaire baise-main de Jacques Chirac à madame Bush a servi à vilipender en première page du New York Post l'attitude de "furet" du président français, les photos d'une Laura Bush souriante étant reléguées au profit de celles où elle apparaissait surprise; le reste de la presse américaine a été plus objectif, et le baise-main semble même devenu le "gadget" social à la mode à Washington !
Née de l'affrontement direct et public de deux diplomaties et davantage encore de deux conceptions du monde d'aujourd'hui, l'une qui serait plus ou moins alignée sur les positions américaines seules porteuses de civilisation (on n'en est quand même pas encore à la création d'un Komintern qui pourrait dénoncer ou exclure les traîtres, les libre-penseurs et les dissidents), l'autre multipolaire et ouvert au dialogue et à la discussion, voire au désaccord, cette crise bien entendu passera, même si son souvenir risque de laisser longtemps des traces [41]. Et il ne serait même pas digne de la diplomatie française de se réjouir d'avoir eu raison trop tôt lorsqu'elle prédisait à Washington les difficultés de l'après-guerre en Irak et le danger de l'enlisement [42]. C'est pourquoi il faut se féliciter de ce que Paris ait profité d'un revirement - tactique - de l'administration Bush quant à la nécessité du rôle des Nations Unies en Irak, pour obtenir, en liaison avec Berlin, Moscou, Pékin et quelques autres, que le délai permettant aux Irakiens d'exprimer leurs choix politiques et de recouvrer leur souveraineté ait été raccourci, permettant ainsi au Conseil de sécurité de voter à l'unanimité la résolution 1511 [43].
Pour conclure, il faut souhaiter à notre monde comme à ses habitants que le bilan diplomatique de l'année prochaine donne davantage de motifs de satisfaction et suscite davantage d'espoirs.
COMPLEMENTS: Heritage 2003 2003, un tournant?
Le terrorisme après Madrid L'Irak
USA: Diplomatie Droit international public Asie Magazine
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