LES ENJEUX
Sensible à l'accroissement des échanges commerciaux (gérés par l'Organisation Mondiale du Commerce) puis des capitaux (Fonds Monétaire International), le grand public a jusqu'ici prêté une moindre attention aux investissements directs. Ceux-ci ont pourtant joué un rôle essentiel dans la réinsertion des pays en développement et en transition dans l'économie mondiale. Le groupe de la Banque Mondiale avait beaucoup travaillé sur ce projet, complémentaire de l'Agence Multilatérale de garantie des Investissements et de l'Institut International de Règlement des Conflits 'invetsissements.
Elaboré à la demande des grandes entreprises multinationales, le projet d'Accord Multilatéral sur les Investissements vise à leur procurer un cadre juridique homogène et favorable, d'abord au sein des pays industrialisés membres de l'OCDE puis, dans un deuxième temps, dans les pays en développement ou en transition. Il avait été écarté de la négociation de l'Uruguay Round.
Ce projet vise la bonne conduite des états envers les entreprises. Il ne doit pas être confondu avec les projets , étudiés dans le cadre du PNUD, pour un code de bonne conduite des entreprises vis-a-vis des pays d'accueil, ni avec les souhaits de régulation des mouvements de capitaux évoqués au sein du FMI.
LE PROJET D'ACCORD
Les dispositions de l'accord
Droits et garanties aux investisseursLes dispositions de l'accordDroits et garanties aux investisseursLes investisseurs (entreprises multinationales) et les Etats-membres contractants ont des droits égaux: les entreprises apparaissent ainsi comme des "citoyens du monde". Les multinationales ne peuvent être moins bien traitées que les entreprises du pays d'accueil, y compris dans les nationalisations. Le personnel de l'entreprise nationalisée ou le public national ne peuvent bénéficier d'actions privilégiées.Les investissements AMI sont à l'abri des clauses sociales, environnementales ou économiques imposées aux nationaux.Il sera interdit de pratiquer des discriminations pour protection des Droits de l'Homme (comme l'embargo anti-apartheid ou les actuelles lois Helms-Burton et Amato contre les investissements à Cuba, en Lybie ou en Iran)Les mesures de libéralisation sont irréversibles. Les réglements non conformes aux principes de l'accord doivent être annulées.Les mesures d'aide aux petites entreprises, l'agriculture ou les régions défavorisées devront être éliminées.
Les limitations d'accès aux ressources naturelles pourront être dénoncées.
Possibilité de recours contre les législations nationalesLes investisseurs peuvent poursuivre les gouvernements contre toute mesure "ayant fait perdre à une société une occasion profitable". Les états devront se soumettre sans conditions à l'arbitrage international choisi par les entreprises, et notamment la Chambre de Commerce internationale.Les entreprises seront indemnisées pour les troubles civils dans le pays d'accueil.Arguments des partisans de l'accordLe fondement repose toujours dans le postulat de la croissance et de l'emploi par l'accroissement des échanges et la dérégulation des économies nationales.Importance de l'investissement étranger et de l'investissement étranger pour la croissance de tous les pays. La France est le troisième investisseur mondial et tirerait par ailleurs 30% des ses emplois de l'activité en France des entreprises étrangères : elle a intérêt au libre-échange organisé. Une certaine régulation s'impose pour éviter le dumping social ou fiscal des pays d'accueil.
RESERVES ET CRITIQUES
L'exception nationale:
C'est le problème de fond qui tourne autour du désengagement de l'Etat. "L'AMI, comme tout accord international à caractère contraignant, aura pour effet de modérer, dans une certaine mesure, l'exercice de l'autorité nationale" . Pour Milton Friedmann, c'est le marché qui a la capacité de répondre rapidement aux désirs des gens et non le gouvernement, bureaucratique et influencé par des intérêts catégoriels. Aux entreprises, tous les droits, aux états tous les devoirs.Progressivement délestés de leurs pouvoirs économiques, les états-nations apparaissent aujourd'hui comme les pompiers des dommages que suscitent d'une part les restructurations et délocalisations d'entreprises, d'autre part les mouvements erratiques des capitaux directs ou indirects, les uns et les autres préoccupés avant tout de la valorisation à court terme. Les instruments financiers de la solidarité (budget, sécurité sociale) sont amenuisés par les contraintes idéologiques sur la dépense publique. La capacité d'agir par les instruments réglementaires (normes écologiques, sociales etc…) serait également diminuée par l'AMI.Les autres critiques, formulées par des états ou par des groupes d'intérêts spécialisés, ont l'inconvénient de ne pas remettre en principe le fondement même de l'accord, à savoir la substitution du droit d'entreprise au droit des Etats, et indirectement, du droit américain aux droits nationaux. Portant sur environ 40% des secteurs visés, les demandes d'exception permettent cependant:
- de faire l'inventaire des problèmes concrets soulevés par l'AMI;
- de comprendre la diversité des oppositions au traité provenant de "la société civile" américaine, canadienne, française…
L'exception culturelle
Lors des négociations de l'Uruguay round, la France avait réussi en 1993 à faire exclure de l'accord les biens culturels (cinéma, télévision, livre, spectacle) nécessitant des aides nationales pour leur survie. La question est aujourd'hui relancée au sein de l'OCDE mais les Européens semblent unis dans ce refus (Directive européenne: "Télévision sans frontières").
L'exception socialePour l'OCDE, le creusement des inégalités est commandé par la logique économique; elle constitue un aiguillon que ne doit pas émousser "la logique de la dépendance"En cas de grève ou de mesure sociale correctrice, le gouvernement "coupable" pourrait être condamné par un tribunal commercial (Chambre de Commerce Internationale)
Les syndicats demandent l'adoption d'une clause sociale obligeant au respect des normes internationales du droit du travail
L'exception environnementale
La protection de l'environnement est, par définition, liée à des considérations nationales et locales. Elle pourrait être attaquée en responsabilité par une entreprise multinationale en fonction du principe "atteinte aux opportunités de profit" (voir le cas Ethyl au Canada)
Les réactions américaines:
Les ONG américaines, surtout les protecteurs de l'environnement, se sont élevées contre le projet d'accord, notamment devant le Congrès. Les entreprises multinationales s'opposent à leur gouvernement sur les lois extraterritoriales (Helms-Burton et d'Amato) .Le gouvernement US a déposé 300 pages de réserves, répondant ainsi à diverses pressions protectionnistes dans son propre pays.
Les réactions canadiennes:Les Canadiens sont échaudés par le procès intenté par la firme US Ethyl : elle réclame une indemnité de 250 millions $ au gouvernement canadien qui avait interdit l'usage d'une neurotoxine dans les carburants.Canadian Center of Policy Alternatives "Silent Coup. Confronting the Big Business Takeover of Canada" , (J.Lorimer Toronto 1997)
L'exception des pays en développement ou en transition
L'exception des pays en développement ou en transition
Pour le moment, ils n'ont rien à dire puisque la négociation de l'AMI, entamée au sein du GATT puis de l'Organisation Mondiale du Commerce, a été transférée dans le cadre exclusif de l'OCDE. On peut penser que leur opposition s'appuierait sur des thèmes comparables à ceux qui intéressent les états industrialisés. On connaît par exemple les critiques à l'égard de "la clause sociale" (Conférence de Marrakech) et de la restriction des émissions de gaz propices à l'effet de serre (Conférence de Kyoto) Réunis à Paris les 16 et 17 Février, les délégués gouvernementaux ne sont pas parvenus à un accord. L'AMI semble avoir peu de chances d'être conclu pour le conseil des ministres de l'OCDE prévu en fin avril.
COMPLEMENTS Le texte de l'AMI: Négocié depuis 1995 et longtemps tenu secret, y compris, semble-t-il, des parlements des pays concernés, le projet d'Accord a été mis sur Internet par le mouvement "Public Citizen" de Ralph Nader (http://www.citizen.org) puis par "Le Monde diplomatique" ("http://www.mondediplomatique.fr/md/dossiers/ami/"). On peut enfin consulter ce texte de 190 pages, quotidiennement mis à jour, sur le serveur de l'OCDE (http://www.oecd.org).
Voir l'association ATTAC