Les patrons de banques ont été convoqués ce vendredi à Matignon, alors que la BNP va verser un milliard d’euros à ses traders. Retour sur les promesses lancées au plus fort de la crise.
« Comme si de rien n’était »… Le titre du dernier album de Carla Bruni pourrait bien être le tube de l’après-crise. Comme Barack Obama, mis en difficulté par les bonus de Goldman Sachs, Nicolas Sarkozy a maintes fois promis que la crise changerait les pratiques indécentes des institutions financières quand l’Etat leur a avancé de l’argent. Résultat : BNP Paribas s’apprête à distribuer à la fin de l’année un milliard d’euros de bonus à ses traders et les autres banques françaises devraient lui emboîter le pas. L’information révélée le 5 août par Libération a provoqué un tel tollé dans l’opinion que le gouvernement s’est senti obligé de convoquer ce vendredi 7 août les dirigeants des banques à Matignon. Sans doute pour une énième menace suivie d’un effet d’annonce à destination des médias. Depuis un an, en effet, les moulins à paroles politiques se battent contre les moulins à vent financiers sans résultats étincelants…
Business is business… Avant de se remémorer les belles promesses, un petit intermède publicitaire pour une banque qui n’en n’a plus vraiment besoin. Histoire de savourer le cynisme involontaire des commerciaux de BNP Paribas dont le slogan est : « La banque et l’assurance d’un monde qui change » !
Pour reprendre un slogan de la concurrence, la BNP-Paribas semble avoir trouvé avec l’Etat « La banque à qui parler ». Sur RTL, le 22 octobre 2008, son directeur général Baudouin Prot assurait que le groupe allait rembourser le prêt « dès que possible ». L’interview date du lancement du plan de sauvetage de Nicolas Sarkozy. L’aide octroyée par l’Etat ne s’élève à l’époque « qu’à » 2,5 milliards d’euros. Quelques mois plus tard, elle sera doublée. Baudouin Prot, qui se targue de « respecter toujours » les recommandations du Medef en matière de rémunération, se veut optimiste. « J’espère fortement que nous pourrons nous en passer », lance le dirigeant en évoquant l’enveloppe supplémentaire que la banque a finalement encaissée au printemps.
La veille des révélations de Libération, dans une interview à La Tribune titrée sans ironie « Baudoin Prot : la crise nous a changé », le patron de la première banque française paraît beaucoup moins pressé de rembourser l’Etat : « Nous allons attendre la fin de l’année pour faire le point sur l’évolution de la conjoncture et celle de nos résultats. En fonction de cela, nous déciderons éventuellement d’une première étape de remboursement en 2010 fondée sur notre capacité bénéficiaire ». On espère que les clients de BNP-Paribas bénéficient d’une marge de manœuvre aussi souple pour l’échéance de remboursement de leur crédit…
Le directeur général justifie cette lenteur à rembourser (malgré les bénéfices) en se prétendant « inquiet du comportement de certains grands acteurs de Londres et New York, qui sont nos concurrents ». Les bonus toujours plus importants permettent d’attirer les traders de la concurrence. La pratique qui faisait fureur avant la crise s’apprête à ressurgir comme aux plus beaux jours. Les traders sont toujours au centre des transactions financières. Sur les 3,2 milliards de profits de BNP-Paribas au premier semestre 2009, 2,4 milliards proviennent des activités de marchés. Sur RTL, Baudoin Prot ne se vantait pas de cet aspect-là : « Si nous avons traversé la crise jusque-là, quasiment le mieux de toutes les grandes banques mondiales de notre taille, c’est parce que nous sommes restés très proches de l’économie réelle et des métiers de base de la banque qui sont : collecter les dépôts et faire du crédit à ses clients ».
Comme la BNP-Paribas, les banques françaises craignent la concurrence étrangère. Les groupes financiers d’autres pays justifient aussi par la pression de la concurrence mondiale les bonus pour les traders les plus « méritants » (ceux qui obtiennent les meilleures performances). Un cercle vicieux qui contribue à la surenchère du système de rémunération. L’un des premiers objectifs du G20 était donc de normaliser le capitalisme. Et, à en croire les médias qui ont suivi religieusement les commentaires d’auto-satisfaction des participants, la grande messe a rempli sa mission.
« Un G20 pas vain » a titré Libération le 3 avril 2009, au lendemain du sommet anti-crise de Londres, au cours duquel les pontes de la planète s’étaient engagés à réguler le système financier. Hormis L’Humanité (« G20 : ils se moquent du monde ! »), la presse quotidienne est unanime pour saluer le succès du G20. « L’incroyable succès du sommet du G20 », titre Le Parisien, alors que La Croix souligne que « Le G20 est entré dans le concret. Dans son édito au Figaro, le mélomane Etienne Mougeotte chante « La symphonie du nouveau monde », Sud-Ouest soutient avec enthousiasme que « cette fois, on ne pourra pas dire que la montagne a accouché d’une souris », pendant que Le Monde s’émerveille de ce « nouveau monde qui émerge à Londres sous nos yeux » »…
Il est vrai que les fiers sourires des chefs d’Etat de la planète sur la photo de famille prêtaient à l’optimisme. Car Berlusconi, Obama, Sarkozy et leurs amis ont édicté des règles pour encadrer les bonus. Ou plus exactement des « recommandations » pour « éviter les dérives qui ont favorisé la crise ». Les banques qui acceptent de suivre les recommandations du G20 sont priées d’étaler les bonus sur plusieurs années et de se baser sur « une politique de motivation salariale qui promeuve la stabilité et pas la prise de risque ». C’est-à-dire de limiter profondément le système de rémunération basé sur les primes des traders qui a mené le monde vers la crise. Ce code de bonne conduite basé sur l’auto-discipline des banques montre une nouvelle fois ses lacunes. Le G20 était censé aplanir ces différences de traitement selon les pays. Le résultat était « au-delà de ce que nous pouvions imaginer ! », dixit… Nicolas Sarkozy.
Pour le Président « qui dit ce qu’il fait et qui fait ce qu’il dit », pas question d’aides « sans contrepartie ». Lors de son discours de St-Quentin, le 24 mars 2009, Nicolas Sarkozy a annoncé solennellement la fin « des bonus, de distribution d’actions gratuites ou de stock-options dans une entreprise qui reçoit une aide de l’Etat ». Appuyé par l’opinion publique très majoritairement hostile à ces rémunérations outrancières, le Président a prononcé une allocution pleine de promesses. Nicolas Sarkozy justifiait les aides de l’Etat en prônant un capitalisme beaucoup plus moral.
« Comme elle parait dérisoire et d’une certaine façon un peu méprisable la polémique sur l’argent que l’Etat a prêté aux banques », s’avançait un peu rapidement super Sarko. Grisé par la réussite du plan de relance, il en a surtout profité pour se moquer de l’opposition qui demandait la nationalisation des banques : « Comme elle est étrange la perte de sang-froid de ceux qui en pleine panique financière me demandaient de nationaliser toutes les banques alors que l’Etat n’a eu à prendre le contrôle que d’une seule banque pour la sauver de la faillite. Imaginez un peu ce que cela aurait été si en perdant notre sang-froid j’avais écouté ceux qui s’agitaient et nous demandaient de nationaliser toutes les banques ! ».
On ne sortira pas de la crise si on élude les questions de principes et de valeurs […] Mon devoir c’est de respecter les Français. Et la première condition du respect c’est de dire la vérité. […]
Si l’on ne veut pas que l’histoire se répète, chacun d’entre-nous doit se sentir responsable non pas simplement vis-à-vis de lui-même mais vis-à-vis de tous […] Et chacun doit se demander tout le temps -et croyez bien que je me le demande à chaque instant- si ce qu’il décide est juste car la crise, avec les sacrifices qu’elle impose, rend l’injustice dans notre pays encore plus insupportable. […]
Chacun doit donc s’interroger sur les conséquences de ce qu’il dit et de ce qu’il fait. Chacun doit s’efforcer de ne pas céder à la démagogie, car comme toujours la démagogie engendre le populisme. […]
Si l’on ne veut pas faire le jeu des anticapitalistes, alors le capitalisme doit cesser de se caricaturer lui-même. […] Et je le dis comme je le pense, percevoir une grosse rémunération en cas d’échec, ce n’est pas responsable et ce n’est pas honnête. […] Distribuer des bonus dans une entreprise qui met en oeuvre un plan social ou qui reçoit des aides de l’Etat ce n’est pas responsable, ce n’est pas honnête. […]
Je voudrais que chacun me comprenne. Il ne peut pas y avoir d’économie sans morale. Lorsque l’on est patron, on a le devoir d’être exemplaire et ce devoir d’exemplarité est encore plus grand en temps de crise. Alors il ne doit plus y avoir de parachutes dorés. Il ne doit plus y avoir de bonus, de distribution d’actions gratuites ou de stock-options dans une entreprise qui reçoit une aide de l’Etat ou qui met en oeuvre un plan social d’ampleur ou qui recourt massivement au chômage partiel. Pourquoi Mesdames et Messieurs ? Parce que quand on met en oeuvre un plan social ou que l’on recourt au chômage partiel, on recourt aux fonds publics. Et ces fonds publics, ce n’est pas honnête de les utiliser à autre chose que le redressement d’une entreprise et ce n’est pas honnête de les utiliser même de façon petite, pour rémunérer des gens qui ne le méritent pas. Le mérite, cela existe dans la République française. […]
Et quand une entreprise fait des centaines de millions d’euros de bénéfices, des milliards d’euros de bénéfices, il n’est pas acceptable que ne soit pas posée sur la place publique, clairement, la question du partage de la valeur et du partage des profits. […]
Je ne dis pas qu’il faut la même règle pour tout le monde mais je dis que l’on ne peut pas dire : il faut maintenir les salaires bas pour des raisons de compétitivité, maintenir les bonus hauts pour des raisons de motivation et à l’arrivée ne pas accepter de parler de la répartition des bénéfices entre les actionnaires et les salariés et l’investissement pour l’avenir. Ce débat aura lieu et les résultats seront au rendez-vous. […]
La crise nous renvoie à la morale. Elle signe l’échec d’un capitalisme immoral. La crise nous renvoie à la nécessité de la règle. Elle signe l’échec du laisser faire absolu et de la dérégulation à tout va. […]
Mais tous les matins on me dit : M. le Président ce n’est pas possible. Tous les jours à midi on me dit : M. le Président c’est impossible. Et tous les jours, le soir, on me dit : c’est impossible. Et souvent pour des bonnes raisons. Tous les jours je dis : on le fera quand même. Parce que nous n’avons pas le choix […]
Télécharger le discours complet en format PDF en cliquant sur le site de la présidence de la République.
Quatre jours plus tôt, au sommet de Bruxelles, Nicolas Sarkozy était déjà grognon sur la question des rémunérations : « Je répète les choses : quand il y a un plan social ou quand il y a des aides publiques, les bonus, les plans de stock options, les rémunérations exceptionnelles ne sont pas admissibles. […] On ne peut pas solliciter l’argent public pour passer un moment décrit unanimement comme difficile et faire un plan généreux de distribution d’actions ou de bonus ».
Lire le discours complet sur le site de la présidence de la République (format PDF) ou voir la vidéo du passage en question.
Populisme ? Naïveté ? Ou volonté de gagner du temps pour laisser passer la crise ? Toujours est-il que malgré les promesses successives, les nouvelles révélations sur les bonus de BNP-Paribas laissent un désagréable goût de vaseline sur l’huile que l’Etat a injecté dans les rouages de la machine financière. Pourtant, le 27 juillet dernier à l’Elysée, la ministre de l’Economie Christine Lagarde était toujours confiante quant à l’auto-régulation, lors de la cérémonie de signature de l’accord sur la médiation du crédit : « Les banques françaises ont eu une attitude responsable sur la rémunération des dirigeants et des traders. Elles ont eu une attitude responsable sur les paradis fiscaux ». La ministre -qui avait déjà montré l’impuissance de l’Etat français quand Total n’avait lâché à ses salariés que 2% de ses 13 milliards d’euros de bénéfices pour 2008 malgré les injections du gouvernement- lançait quand même une énième menace sans pouvoir évoquer explicitement des sanctions : « Mais nous n’accepterons pas que leur compétitivité soit mise à mal par l’attitude de certains banquiers irresponsables qui ont été sauvés par le contribuable. C’est une question de morale, c’est une question d’équité, c’est une question de responsabilité ».
Six mois avant les deux précédents discours, le 25 septembre 2008, à Toulon, le chef de l’Etat dénonçait déjà les dérives du système financier en promettant des solutions rapides pour moraliser le système de rémunération et responsabiliser les salariés des banques. Fustigeant « la folie » qui s’était emparée du capitalisme « d’avant la crise », Nicolas Sarkozy accusait les spéculateurs qui s’enrichissaient au détriment des travailleurs. Fini le temps des avertissements, l’heure était à l’action : « L’autorégulation pour régler tous les problèmes, c’est fini. Le laissez-faire, c’est fini. Le marché qui a toujours raison, c’est fini ».
Dire la vérité aux Français, c’est leur dire d’abord la vérité sur la crise financière. Parce que cette crise, sans équivalent depuis les années 30, marque la fin d’un monde qui s’était construit sur la chute du Mur de Berlin et la fin de la guerre froide. […]
L’idée de la toute puissance du marché qui ne devait être contrarié par aucune règle, par aucune intervention politique, était une idée folle. L’idée que les marchés ont toujours raison était une idée folle. […]
Pendant plusieurs décennies on a créé les conditions dans lesquelles l’industrie se trouvait soumise à la logique de la rentabilité financière à court terme. […]
On a mis en place des systèmes de rémunération qui poussaient les opérateurs à prendre de plus en plus de risques inconsidérés. […]
On a laissé les banques spéculer sur les marchés au lieu de faire leur métier qui est de mobiliser l’épargne au profit du développement économique et d’analyser le risque du crédit. […]
C’était une folie dont le prix se paie aujourd’hui ! L’économie de marché […] ce n’est pas la loi de la jungle, ce n’est pas des profits exorbitants pour quelques-uns et des sacrifices pour tous les autres. […]
Le capitalisme ce n’est pas la primauté donnée au spéculateur. C’est la primauté donnée à l’entrepreneur, la récompense du travail, de l’effort, de l’initiative. […]
Mais ne rien faire, ne rien changer, se contenter de mettre toutes les pertes à la charge du contribuable et faire comme s’il ne s’était rien passé serait aussi une erreur historique. Nous pouvons sortir plus forts de cette crise. […] Si nous agissons au lieu de subir. […]
L’autorégulation pour régler tous les problèmes, c’est fini. Le laissez-faire, c’est fini. Le marché qui a toujours raison, c’est fini. Il faut tirer les leçons de la crise pour qu’elle ne se reproduise pas. Nous venons de passer à deux doigts de la catastrophe, on ne peut pas prendre le risque de recommencer. […]
Je n’hésite pas à dire que les modes de rémunération des dirigeants et des opérateurs doivent être encadrés. Il y a eu trop d’abus, trop de scandales. Alors ou bien les professionnels se mettent d’accord sur des pratiques acceptables, ou bien nous réglerons le problème par la loi avant la fin de l’année. Voilà quelques principes simples qui relèvent du bon sens et de la morale élémentaire sur lesquels je ne céderai pas. […]
Comment admettre que tant d’opérateurs financiers s’en tirent à bon compte alors que pendant des années ils se sont enrichis en menant tout le système financier à la faillite ? […] L’impunité serait immorale. On ne peut pas se contenter de faire payer les actionnaires, les clients et les salariés les plus modestes en exonérant les principaux responsables. Qui pourrait accepter une telle injustice ? […]
Il faudra imposer aux banques de financer le développement économique plutôt que la spéculation. […]
Opposer l’effort du travailleur à l’argent facile de la spéculation, opposer l’engagement de l’entrepreneur qui risque tout dans son entreprise à l’anonymat des marchés financiers, opposer un capitalisme de production à un capitalisme de court terme, accorder une priorité à l’industrie au moment où l’étau de la finance se desserre, voilà tout le sens de la politique économique que je veux conduire. […]
Télécharger le discours complet en format PDF en cliquant sur le site de l’Elysée.
Le Medef s’était étrangement déclaré satisfait du discours présidentiel. « Je partage l’idéal de modération du président de la République quand il prône des comportements raisonnables en matière de rémunération, c’est cela l’esprit du capitalisme », avait écrit la patronne des patrons Laurence Parisot dans un communiqué, le lendemain.
« Je n’hésite pas à dire que les modes de rémunération des dirigeants et des opérateurs doivent être encadrés. Il y a eu trop d’abus, trop de scandales. Alors ou bien les professionnels se mettent d’accord sur des pratiques acceptables, ou bien nous réglerons le problème par la loi avant la fin de l’année [NDLR : le Président parlait de l’année 2008]. Voilà quelques principes simples qui relèvent du bon sens et de la morale élémentaire sur lesquels je ne céderai pas. »
Les banques et l’assurance d’un monde qui ne change pas…
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Dexia, le parachute qui tombe à pic
moi j’avais adoré la promesse de sarko aux gogos :
« à la fin de l’année 2009, l’argent que nous avons prêté aux banques pour qu’elles fassent leur métier rapportera au budget de l’État 1,4 milliard d’euros que j’utiliserai intégralement pour financer des mesures sociales »
moraliser le capitalisme avec des arguments de capitalisme à 2 balles ???