Au début des années 90, cinq agents cubains sont chargés de surveiller les terroristes qui visent leur île depuis cinquante ans, notamment à partir de la Floride. En 1998, les États-Unis les jettent en prison, où ils croupissent.
Gerardo Hernández. Fernando González. René González . Antonio Guerrero. Ramon Labañino. Ces noms devraient nous être connus : ce sont ceux des cinq victimes d’un des pires scandales judiciaires des années 2000. Cinq Cubains qui croupissent depuis plus de dix ans dans des geôles américaines, après ce qu’il faut bien appeler une parodie de procès. Leur crime ? Avoir informé leur gouvernement – qui a ensuite transmis ces renseignements aux plus hautes autorités des États-Unis – sur les auteurs des attentats qui, depuis un demi-siècle, ensanglantent Cuba.
Mais qui a entendu parler de cette campagne de terreur ? Et qui connaît le nom des « Cinq », comme les appellent les militants – personnalités de premier plan, parmi lesquelles plusieurs Prix Nobel, ou anonymes – qui, partout dans le monde, se battent pour obtenir leur libération ? Maurice Lemoine, ancien rédacteur en chef au Monde diplomatique et excellent connaisseur de l’Amérique latine, a voulu rompre cette omerta en publiant Cinq Cubains à Miami : un roman à clés. Pour que nul ne puisse plus dire qu’il ne savait pas. Une enquête qui s’avère être un passionnant thriller, comme seuls les spécialistes américains du genre savent les réussir.
Pour comprendre, il faut remonter au 6 octobre 1976. Ce jour-là, un avion de ligne de la compagnie Cubana, piégé par des terroristes, explose en vol au-dessus de la Barbade. Bilan : 73 morts – dont la totalité des escrimeurs de l’équipe nationale cubaine, qui venait de remporter les Jeux transaméricains. L’un des instigateurs du massacre est un éminent représentant de l’extrême droite cubaine exilée à Miami : Luis Posada Carriles. Incarcéré au Venezuela, il s’évade en 1985 – avec l’aide de la CIA. Il rallie le Guatemala, où il met son enthousiasme anticommuniste au service des Américains dans leur guerre secrète contre le gouvernement sandiniste du Nicaragua.
L’attentat de la Barbade s’inscrit dans une suite ininterrompue d’exactions qui ont fait à Cuba, depuis un demisiècle, 3 400 morts, autant que les attentats du 11 septembre 2001 – sans que cela émeuve outre mesure les opinions occidentales. L’effondrement de l’URSS, principal soutien de Cuba, n’a aucunement mis fin à cette campagne de terreur : en 1997, par exemple, des bombes ont explosé dans plusieurs hôtels de l’île, tuant un vacancier italien. Objectif : frapper au portefeuille un régime sous embargo américain et dont le tourisme est l’une des principales ressources.
Pour lutter contre ce terrorisme, le gouvernement cubain envoie en Floride, au début des années 90, cinq agents dont la mission est d’infiltrer les organisations paramilitaires qui ont juré de renverser Fidel Castro. Ces infiltrés se distinguent très vite par « la qualité des informations qu’ils recueillent et transmettent ».
En juin 1998, deux hauts responsables du FBI se rendent à La Havane, où les autorités de l’île leur remettent un volumineux dossier, minutieusement documenté, sur les agissements criminels des groupes anticastristes. Aussitôt, les Américains, plutôt que d’appréhender les auteurs de ces crimes, arrêtent les cinq agents cubains : immédiatement mis au secret, ces derniers resteront un an et demi sans pouvoir préparer leur défense.
Deux ans plus tard, à l’automne 2000, s’ouvre leur procès, à Miami. Ville où « la possibilité de sélectionner douze [jurés] qui soient capables d’être impartiaux dans une affaire impliquant des agents déclarés du gouvernement cubain est pratiquement nulle » (1), comme le relèveront maints juristes. Qu’importe, puisque la Constitution des États-Unis prévoit que tout accusé a droit à un jugement rapide et impartial…
De nombreux officiers américains de haut rang témoignent qu’à aucun moment les Cinq – dont la mission était strictement limitée à la surveillance des anticastristes – n’ont menacé la sécurité nationale des États-Unis. Le tribunal échoue à fonder son accusation d’espionnage.
Mais qu’importe, là encore : en décembre 2001, dans le contexte ultrasécuritaire de l’après 11-Septembre, les Cinq sont condamnés pour « conspiration » à des peines maximales – « démesurées, irrationnelles », observe Maurice Lemoine. Elles seront d’ailleurs réduites, en 2008, par la cour d’appel d’Atlanta, qui les jugera « excessives et contraires aux normes juridiques ».
Les terroristes de Miami, eux, bénéficient d’une totale impunité… Luis Posada Carriles s’est vanté, dans un entretien publié en 1998 dans le New York Times, d’avoir été à l’origine de la vague d’attentats qui a frappé des hôtels cubains en 1997, qualifiant la mort d’un touriste italien d’« incident insolite ». Puis d’ajouter, sans rire : « Je dors comme un bébé. » Il est vrai : Carriles coule à Miami des jours paisibles…
Au mois de septembre 2010, l’acteur Sean Penn a signé une pétition demandant au président Obama de libérer les Cinq. Puis, le 4 octobre, dans un courrier adressé au ministre américain de la Justice, Amnesty International, sans se prononcer sur « l’innocence ou la culpabilité des cinq hommes », a demandé un réexamen de leur affaire, estimant que « l’équité et l’impartialité de leur procès [étaient] douteuses ».
À ce jour, toutes ces démarches sont restées infructueuses : les Cinq sont toujours en prison. Cela fait déjà douze ans que l’épouse de Gerardo Hernàndez n’a pas eu le droit de le voir. Celle de René Gonzàlez, quant à elle, a vu son mari pour la dernière fois en 2000.
Cinq Cubains à Miami, par Maurice Lemoine, éd. Don Quichotte, 1 048 pages, 24 euros.
(1) Washington contre Cuba, l’affaire des Cinq, sous la direction de Salim Lamrani, éd. Le Temps des cerises, 231 pages, 15 euros.
Il est un peu facile de rapporter la propagande du régime cubain et d’oublier que si ces 5 hommes sont en prison, c’est parce qu’ils faisaient de l’espionnage pour une puissance ennemie des Etats-Unis et que cette activité d’espionnage avait abouti à ce que 2 avions d’une organisation humanitaire qui venait au secours des boat people cubains avaient été abattus par la chasse cubaine au dessus des eaux internationales, faisant 4 victimes… C’était le 24 février 1998.
En ce qui concerne "terrorisme" de l’exil cubain, faut il rappeler que plus de un million de Cubains avaient fui la dictature communiste, qu’entre 10 et 20 000 personnes ont été fusillées et des centaines de milliers d’autres enfermés pour des raisons politiques dans les années 60 et 70…
Mais le plus affligeant est que le régime cubain continue à accuser l’exil de terrorisme alors que les seuls combattants de la liberté sont souvent des octogénaires incapables de tout acte de violence. Les nouvelles générations d’exilés ne jurent plus que par les droits de l’homme et la désobéissance civile…Et ils ont bien raisons car rien ne serait pire pour les Cubains qu’une nouvelle guerre civile.
"Les terroristes de Miami…"
De quel droit vous permetez-vous de traiter ces militants de terroristes ?
Ils défendent une cause qu’ils croient juste. Ils sont admirables.
Comme l’étaient les militants palestiniens de la grande époque. Oseriez-vous, Bakchich, critiquer ceux-là ?
Résumé et définition :
Militant : terroriste défendant une cause agréée par Bakchich.
Terroriste : militant défendant une cause non agréée par Bakchich.
Ca s’appelle la relativité.