Ce richissime héritier américain s’amuse à acheter des compagnies ferroviaires dans le monde entier. Prochain joujou en vue ? Le fret de la SNCF.
De même que Poudlard a son Harry Potter, le monde sinistré du fret ferroviaire hexagonal possède son magicien. Il s’appelle Henry Posner III (prononcez « the third »), est américain et se sent investi du pouvoir extraordinaire de sauver la SNCF du marasme. Voilà presque deux ans que ce richissime excentrique « fait le siège des pouvoirs publics et de la SNCF », raconte un témoin. Son objectif : qu’on lui cède une partie de l’activité des wagons de marchandises. Secteur en pleine restructuration qui a paumé près de 1 milliard d’euros l’an passé.
L’histoire paraît totalement loufoque. Pourtant, à l’origine de l’arrivée de Posner sur les rails, il y a un sous-ministre des Transports, Dominique Bussereau. « Bubusse » – qui a quitté le gouvernement lors du dernier remaniement – est sans doute le seul à avoir pris l’excentrique yankee au sérieux.
Rejeton d’une dynastie d’industriels milliardaires de Pittsburgh, Posner III a hérité d’une compagnie ferroviaire de fret dans l’Iowa. Depuis, il claque sa fortune personnelle en rachetant des bouts de lignes ici où là, en Estonie, au Guatemala, au Mozambique… Envoyés par le gouvernement pour copier les bonnes méthodes du business ferroviaire made in USA, ce sont d’anciens dirigeants de la SNCF qui ont visiblement dégoté Posner.
Détail croustillant, le découvreur en chef, Jacques Chauvineau, père de la décentralisation des TER, est un ancien conseiller de Charles Fiterman, ministre communiste des Transports nommé en 1981… Avec ce Yankee, on va secouer le fret rongé par le syndicalisme !
En mars 2009, le gouvernement annonce ainsi la création d’une joint-venture entre RDC, la boîte de Posner, la Caisse des dépôts et Réseau ferré de France. L’initiative est apparemment restée sans suite, mais, durant l’été 2009, la SNCF est priée d’ouvrir ses portes aux boys du sorcier. « Trois types, dont un venu de l’autre bout de l’Afrique, ont épluché les comptes du fret », narre-t-on. Deux coups de baguette magique plus tard, Posner déballe son plan de reprise. Le Harry Potter du rail réduit les coûts de l’activité du « wagon isolé » (activité sur mesure pour des quantités limitées) de « 132,016 millions d’euros », diminue d’au moins 200 millions les pertes et augmente le business de 73 millions d’euros. Et tout ça doit retirer un million de camions par an des routes.
L’envers de la formule est moins rigolo. Car, pour que la magie opère, l’État doit mettre au pot en recapitalisant la boîte et en subventionnant l’exploitation. Et si le miracle annoncé foire, tout sera à la charge du contribuable français. Quant aux cheminots repris, ils devront accepter de travailler de façon plus flexible.
À défaut de voir s’ouvrir à lui les portes de l’Élysée, Henry Posner III rencontre à plusieurs reprises – et encore récemment – Guillaume Pepy, le PDG de la SNCF, qui l’accueille poliment. Et Pierre Blayau, le patron des marchandises, qui prend moins de gants pour l’envoyer paître. Heureusement, le capitaliste américain peut compter sur l’oreille attentive de Didier Le Reste, l’orthodoxe leader de la CGT Cheminots, qui s’est un peu payé sa fiole. « You know, proclame- t-il dans Paris, M. Le Reste est beaucoup plus sensible à notre plan que les dirigeants de la SNCF. » Un peu naïf, cet Harry Potter-là !
Cher Bakchich,
Alors que je n’ai jamais parlé avec « Emile Borne », Monsieur Borne est évidemment bien informé au sujet des personnes que j’ai rencontrées ces dernières années et il a été en contact avec bon nombre d’entre elles. Cependant M. Borne présente des erreurs factuelles et des distorsions sur le contexte. En particulier : 1. Je n’ai pas hérité du Chemin de fer Iowa Interstate. C’est un investissement que la société RDC a initié en 1991 et cette société avait été créée en 1984. 2. Dans tout projet ferroviaire que l’équipe de RDC entreprendra en France, nous investirons des capitaux significatifs, tout comme nous l’avons fait partout ailleurs dans le monde : notre investissement financier est la preuve de notre sérieux et de notre engagement. C’est d’ailleurs ce qui a réussi à nos partenaires comme à nous-mêmes. 3. Je serai le premier à me qualifier de naïf en ce qui concerne la politique et la culture française. C’est pour cette raison que nous travaillons en partenariat et que nous investissons sous forme de joint-venture, comme c’est le cas pour la JV avec RFF et la Caisse des Dépôts. Et c’est pour cela que nous avons réussi dans d’autres pays… chacun d’eux ayant sa propre politique et sa culture unique.
L’article de M. Borne soulève trois points importants : 1. Quelles sont aujourd’hui les options pour le wagon isolé ? 2. Si le projet en partenariat avec RDC est une de ces options, comment devrait-il être sérieusement mené ? A ce propos, je ne peux que me référer à nos succès, lesquels sont décrits sur notre site Internet www.rrdc.com (à noter que nous présentons nos échecs aussi bien que nos succès). 3. La France est-elle si particulière qu’aucune expérience venue d’ailleurs n’y aurait de valeur ? Les USA reconnaissent l’excellence française des trains à grande vitesse, pourquoi la France ne reconnaitrait-elle pas les composantes transposables de l’expertise américaine dans le fret ferroviaire ?
Parmi les autres aspects qui mériteraient considération, je soulignerai les suivants : 1. Le point de vue des clients : il est étrange qu’il ne soit presque jamais question dans les média français des clients du fret ferroviaire. Les chargeurs américains ont des rapports satisfaisants – et satisfaits – avec les chemins de fer dans le domaine du wagon isolé. Or il y a aux USA beaucoup plus de petits chargeurs (ce sont les principaux clients des services fret par wagon isolé) que de gros chargeurs. 2. L’incohérence entre les mesures prises à la suite du Grenelle de l’Environnement, qui tentent de promouvoir le fret ferroviaire, et les effets sur le trafic routier par camions de la politique actuelle d’abandon du wagon isolé.
Voici quels sont à mon sens les points importants, et Bakchich a un mérite certain de soulever la question du wagon isolé en France.
Bien respectueusement,
Henry Posner III
Intrigué que quelqu’un veuille bien s’intéresser aux trains de marchandises français qui perdent tant d’argent, j’ai cherché des infos sur Henry Posner sur Internet. Et j’ai trouvé, facilement, que ce monsieur est Président d’une entreprise d’investissement, dont la vocation est… d’investir des capitaux dans des entreprises de chemin de fer, en partenariat. Donc Henry Posner serait « naïf » au point de risquer ses propres capitaux dans le wagon isolé en France ? … Et ainsi « tout serait à la charge du contribuable français » ? J’ai aussi découvert que Henry Posner est un cheminot accompli, ayant passé 10 ans à des fonctions opérationnelles chez Conrail, que ses entreprises totalisent 10.000 km de lignes et ont transporté plus de 15 millions de tonnes de fret en 2009.
Si je comprends bien votre raisonnement, un cheminot américain expérimenté, spécialisé durant toute sa vie dans le fret ferroviaire, doublé d’un investisseur prêt à prendre un gros risque financier, serait beaucoup plus loufoque qu’un Blayau, énarque technocrate bien de chez nous (dont on connait les exploits passés chez Moulinex) et qui préfère tuer le « wagon isolé » ?
Le projet de Blayau a notamment pour conséquences de provoquer la colère de ses clients chargeurs (voir http://www.elunet.org/IMG/pdf/Communique_de_presse_Fret_Industries.pdf), d’ajouter des centaines de milliers de camions sur nos routes (forcément, il aime les camions, il est aussi patron de Géodis), et de bafouer les volontés du Grenelle de l’environnement et du Parlement qui tentent désespérément de sauver le fret ferroviaire, par exemple en créant le statut d’Opérateur Ferroviaire de Proximité. Mais en détruisant progressivement le système du wagon isolé, Fret SNCF ne laisse guère de chances aux OFP voulus par le gouvernement.
La France est-elle si exceptionnelle qu’aucune expérience venue d’ailleurs n’y serait pertinente ? Pourtant, les USA sont autant des champions du train de marchandises que les français y sont mauvais. Et s’il existait un « E. Thousand Miles » aux USA, il lui serait facile de se moquer de ces français qui veulent leur vendre des TGV alors qu’ils refusent d’entrouvrir la porte à l’expertise américaine en fret ferroviaire. Pourquoi les USA devraient-ils acheter l’expertise française de la grande vitesse – dont pourtant, beaux joueurs, ils admirent la réussite – si la France refuse l’expertise américaine du fret ?
Pour revenir à notre naïf loufoque pas crédible cheminot-investisseur américain, s’il est un domaine dans lequel il est bien naïf, c’est de croire qu’en France il est facile d’être pris au sérieux quand on est un entrepreneur.
Inspecteur Colombo
"L’envers de la formule est moins rigolo. Car, pour que la magie opère, l’État doit mettre au pot en recapitalisant la boîte et en subventionnant l’exploitation. Et si le miracle annoncé foire, tout sera à la charge du contribuable français."
Je ne vois pas vraiment ce qu’il y a de nouveau là-dedans …