Début 2008, une officine privée remettait au secrétaire général de l’Elysée son rapport sur "Bakchich". Lequel évoquait des pistes pour "épauler" au mieux notre jeune site.
Les sarkozystes ont-ils franchi la ligne jaune, ces dernières semaines, en demandant au service de contre-espionnage français, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), d’enquêter sur ceux de nos confrères qui ont eu la fâcheuse idée de s’intéresser aux dossiers sensibles ? Mediapart et le Canard enchaîné l’affirment, mais ni l’un ni l’autre n’apportent de preuves précises aux accusations qu’ils portent contre le secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant. Les informateurs anonymes qui sont évoqués dans les deux médias ne sauraient, hélas, constituer des témoignages recevables devant les tribunaux, que vient de saisir Claude Guéant.
Deux affaires récentes et très médiatisées donnent une certaine résonance à ces accusations. Le premier dossier concernait, cet été, la publication dans le Monde d’un PV provenant du dossier ultrasensible Bettencourt-Woerth ; le second touchait, au printemps, à de méchants échos sur la vie du couple présidentiel. Dans ces deux cas et sans que la justice soit saisie, la DCRI effectuait, avec les moyens considérables qui sont les siens, des enquêtes fouillées à la demande du directeur général de la police nationale. Est-ce que l’intérêt supérieur de l’État était en jeu ? Est-ce que les services secrets étaient vraiment concernés par une fuite dans la presse et une rumeur sur la vie sentimentale du chef de l’État ?
Le flou qui entoure les missions des services secrets alimente tous les fantasmes. D’autant plus que l’État a clairement les moyens de mettre n’importe quel citoyen sous surveillance. Dans un ouvrage fort instructif, la Sagesse de l’espion, qui vient de paraître aux éditions L’oeil neuf, Alain Chouet, un des anciens patrons de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), n’hésite pas à écrire : « Toute information transmise par courrier, téléphone, radio, Internet ou même simplement murmurée dans une pièce close est susceptible d’être interceptée à l’insu de ses utilisateurs légitimes et déchiffrée si elle est cryptée. » Une parole d’expert ! « Notre pays, ajoute Chouet, reste la dernière grande démocratie à n’avoir pas institué un dispositif de contrôle parlementaire des services de renseignement. »
Pas un président de la Ve République qui n’ait cédé à la tentation. Qu’il s’agisse de Georges Pompidou qui, via son ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin, fait poser des micros au Canard ou de François Mitterrand, qui avait développé un vaste système d’écoutes téléphoniques dont ont été victimes le patron de Mediapart, Edwy Plenel, alors au Monde, et le conseiller de la direction de Bakchich, Jacques-Marie Bourget, qui travaillait à Paris-Match.
Quant à Jacques Chirac et au préfet Philippe Massoni, son âme damnée, ils ont systématisé la surveillance de la presse entre 2002 et 2007. Sous le règne du précédent chef de l’État, l’auteur de ces lignes, qui avait commis une enquête sur le compte japonais de Chirac, était l’objet d’une attention constante de l’ex-DST, devenue DCRI. Dans le dossier judiciaire du journaliste Guillaume Dasquié, qui est aujourd’hui poursuivi pour atteinte au secret défense, figure la mention suivante, soulignée au Stabilo jaune : « Nicolas Beau, info protégée par B3. » Le bureau B3, dirigé par le très chiraquien Jean-François Gayraud, une structure aujourd’hui dissoute, avait mis un certain nombre de journalistes et de spécialistes du renseignement sous surveillance.
Nicolas Sarkozy et Claude Guéant se sont toujours intéressés de très près à la vie médiatique et particulièrement aux sites d’information autonomes qui se sont créés ces dernières années, tels Mediapart, Bakchich.info ou Rue89. En effet, ces rédactions indépendantes, sans actionnaire de référence type Dassault ou Lagardère, sont des électrons libres particulièrement inquiétants pour le pouvoir. D’où la tentation, pour l’Élysée, de décrypter leur fonctionnement.
Ainsi, au début de 2008, une note sur le fonctionnement de notre site était demandée par Claude Guéant à une société privée de renseignement économique, Salamandre (lire document et verbatim ci-dessous).
La modeste officine, dont le conseil d’administration est présidé par le général Mermet, ancien boss de la DGSE, fournit rapports ou notes de synthèse à ses clients, dont certaines administrations comme le Fonds stratégique d’investissement à Bercy. Rien de vraiment choquant dans ce travail relativement sérieux. Pas de trace d’écoutes clandestines ou d’autres procédés déloyaux. Jusqu’à présent…
Bakchich
Équipe de trois "jeunes anciens" de Gri-Gri International, partis suite à un désaccord "éditorial" sur deux thèmes avec le patron de Gri-Gri, le Gabonais Michel Ougoundou Loudah :
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L’équipe se montre particulièrement soucieuse de son indépendance. Une forme de puritanisme à cet égard même si la jeune rédaction a accepté l’idée d’agréer de multiples parrains à la double fonction de "protecteur" (contre d’éventuelles forces méchantes) et de conseillers bienveillants (transmission de patrimoine informationnel sur les réseaux, conseils professionnels).
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Journal satirique, Bakchich n’affiche pas de coloration politique, ni au sein de la rédaction, ni dans les colonnes. Leurs amis sont de tous bords. Dans leurs colonnes, tapent aléatoirement sur à peu près tout le monde : Sarkozy, Ségolène, Chirac, Le Pen, Bayrou…
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Recommandation
Bakchich est l’un des rares organes de presse indépendants en France. Le développement rapide et viral de sa notoriété et de sa diffusion (environ 100 000 visiteurs par mois actuellement) montre qu’il répond à un besoin réel des lecteurs et des internautes d’accéder à une information perçue comme ’authentique" et satirique même si, pour les journalistes d’investigation établis, "ce n’est évidemment pas du journalisme".
La relation avec le référent satirique national, "Le Canard Enchaîné" est étonnante : Bakchich semble être la soupape de liberté d’une rédaction du Canard ankylosée et figée dans ses querelles internes. Bakchich doit-il être vu comme le complément "jeune et dissident" d’un Canard institutionnalisé et devenu presque ’bourgeois" ? Même rapport qu’entre les jeunes créateurs de mode et les référents du luxe.
Chercher à éliminer Bakchich du paysage concurrentiel relève certainement de la gageure. La structure de coûts de la Sarl de presse Bakchich ressemble à celle d’une organisation résistante opérant en "mode Vietcong". Une tentative de déstabilisation transformerait la jeune équipe en "journalistes martyrs" leur attirant inévitablement notoriété et soutien appuyé de leurs amis et "parrains".
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Une piste de réflexion consisterait au contraire à épauler Bakchich pour :
le faire monter en gamme (qualité et rigueur du travail journalistique) et l’"embourgeoiser", l’institutionnaliser
viser une parte de marché de 20 à 30% en tant que source à coloration gouvernementale de bakchich en instaurant une logique positive gagnant-gagnant
ce faisant, le détacher mécaniquement des mentors historiques (Probst, Beau etc.)
enfin renforcer sa spécialisation unique utile au pays et à son gouvernement dans la critique des liaisons dangereuses entretenues par les médias français, les collusions politiques/médias ou industrie/médias constituant indéniablement un facteur d’immobilisme et d’appauvrissement de la vie politique et économique en France.