Bourses
Il y a encore 5 ans on n’en parlait pratiquement pas, on ne savait pas bien ce qu’ils faisaient de leur journée, et maintenant…
Ils font la une de la presse à scandale, ils grillent les feux rouges sans prendre de prunes, ils font en plein milieu du trottoir sous les applaudissements, ce sont :
LES TRADERS, en français : les échangeurs.
Le trader, c’est une superstar de la finance, un beach boy des années 2010, le top gun de l’armée économique mondiale. Bref, c’est une Paris Hilton avec le QI d’Einstein.
A la SG, on les appelle les "gagneuses" — parce que leur boulot c’est de faire du chiffre, tous les jours, selon le même rituel. Les traders font et sont soumis au marché.
Chocs pétroliers, bulle des dot.com, 11/09/01, flambée des matières premières, crise du subprime… à chaque période ses bulles et à chaque bulle son krach.
Dans sa tour d’ivoire, le trader s’adapte, choisi son sens d’attaque : haussier ou baissier. Ce qui importe au trader, c’est d’avoir raison plus souvent — ou plus longtemps — qu’il n’a tort.
Aussi, le trader est cyclothymique de base : superpuissant et euphorique lorsque le marché lui donne raison — anxieux et dépressif lorsqu’il lui donne tort.
Dans le jus du matin au soir, il suffit d’une seconde de flottement au cerveau sur-éduqué du trader pour que tout foute le camp dans sa vie : sa carrière, sa femme, ses maisons…
Il le sait, dans un monde de chiffres, où l’on peut perdre des milliards sur une mauvaise opération et faire flancher les économies du monde entier, il n’y a pas le droit à l’erreur.
Analyse froidement, agis vite ! Une guerre civile sanglante, un cyclone dévastateur de récoltes, une marée noire, un accident d’avion à deux battements d’aile de chez eux…
Tout cela n’a plus de sens pour le trader… on lui interdit d’avoir des émotions, c’est toujours : une opportunité de gain — et un chiffre à justifier à la fin de la journée.
Est-ce humain ? Non… Et je crois qu’on commence à le comprendre. Mais cela prend du temps. On commence tout juste à différencier le banquier du médecin de famille…
Tu vois petit trader, les gens te prennent encore pour un homme d’exception… un gendre parfait qui se balade en Porsche, paie en visa black card — qui a réussi, en somme.
Ils semblent ne pas encore saisir le lien entre ton travail et leur vie de tous les jours. Mais moi, en attendant, ça me donne envie de t’égratigner un tout petit peu…
Oh ce n’est pas de ta faute au fond… les gens comme toi spéculent sans s’occuper des conséquences de leur activité, parce que c’est leur boulot.
D’ailleurs, tes patrons l’ont bien compris. L’éthique et la finance, ça n’a rien à voir. Alors les beaux penseurs, merci de penser ailleurs ! Ici, on bosse — comprenez, on fait de l’argent.
Pour obtenir ce qu’ils veulent, ils te paient grassement, te considère comme l’élite, ils se mettent en quatre pour que tu appuies sur le bon bouton, au bon moment…
Tout cela dure tant que tu joues le jeu… Ahaha ! Ça me rappelle l’expérience de Milgram… à la différence que les sujets assujettis à l’autorité, dans ce cas, ne sont pas payées.
Alors toi petit homme, assis devant tes écrans d’ordinateur, si tu dois exploser le prix d’une matière première vitale, et que tu sèmes la famine, tu es payé pour t’en laver les mains.
Ça semble normal à tout le monde, puisque le trader fait son boulot, que ce boulot est légal, que la loi n’a pas encore établi le lien de causalité entre un clic sur un bouton et la mort.
Franchement, j’ai du mal. Longtemps on a répondu d’un ton dédaigneux à tous les cassandres de la finance néolibérale que le marché s’auto-régulait.
On sait maintenant que ce n’est pas le cas. Le marché n’a pas toujours raison, les bénéfices ne sont pas redistribués. Les inégalités se creusent, au niveau mondial.
Trop d’intérêts ? Pas de plan B ? Le jour où le monde de la finance se révèlera à la masse sous son vrai jour, cynique, injuste et nocif, ce monde perdra de son éclat…
Le jour encore où la crise financière, muée en crise obligataire, passera en "crise sociale" — je préfère ne pas être là pour voir ce qu’il se passera — et pourtant…
Et après ? La révolution ? Le retour au point de départ ? Peut-être… nul ne sait. Dans l’immédiat, ce qu’il y a le plus à craindre, c’est que ton activité devienne un symbole.
Si ton travail puise dans les bassesses de la nature humaine, ces bassesses te rattraperont dans la réalité — au travers des foules surexcitées…
Change de boulot petit trader ! Avant qu’il ne soit trop tard ! Avant que le peuple affamé et dépossédé, ne sorte dans la rue pour réclamer son du !
Tu vois, je ne te jette pas la pierre, moi. Tu n’es pas le vrai responsable de tout ça. Mais ceux-là s’en sortiront mieux que toi, je le crains.
Pourquoi l’Homme utilise-t-il toujours les meilleurs de ses cerveaux pour commettre les actes les plus indignes ? Mon petit doigt à cette question me dit qu’ils sont des fusibles.
Et entre les fusibles et la lanterne, le courant passe !