En rupture avec le Medef, qu’il représentait au sein de différents organismes paritaire, Eric Verhaeghe publie un livre détonnant. Très instructif sur le prêt-à-penser patronal.
Il a claqué la porte du Medef la semaine dernière, avec un sens incontestable de la mise en scène. Eric Verhaeghe, directeur de l’APEC et représentant du Medef dans plusieurs organismes paritaires, convoquait la presse pour annoncer qu’il renonçait à tous ses mandats tout en annonçant la sortie le jour même d’un livre : Jusqu’ici tout va bien sous-titré « énarque, membre du Medef, président de l’APEC, je jette l’éponge ». Un livre en forme de coup de gueule contre le prêt à penser patronal en matière économique qui est aussi celui, bien souvent, des élites politiques et administratives.
Pour lui, la crise financière de 2008 a été une révélation, un tremblement de terre faisant s’écrouler l’édifice de certitudes patiemment acquises des bancs l’ENA aux salons feutrés du Medef. Au départ, il faut bien le dire, on est pourtant surpris, voire déçu, par la déconcertante naïveté de ses découvertes. Ah bon, la libéralisation forcenée de nos économies n’aurait pas apporté un mieux-être pour tous ? Comment, les inégalités n’ont cessé de se développer depuis vingt ans et tout sacrifier au dogme de la croissance est un non-sens ? Quoi, « loin du romantisme entrepreneurial », « les grandes fortunes ne sont pas entre les mains d’acteurs isolés mus par un individualisme aventureux » … Bienvenue sur Terre !
A moins que le plus intéressant ne tienne peut-être justement à ce que, dans les cercles patronaux, dans les hautes sphères de l’administration où il a navigué, ces vérités sont donc toujours aussi difficilement audibles.
Eric Verhaeghe décrit ainsi un monde patronal « tout entier guidé par des certitudes acquises sur le tas : refaisons partir les affaires, ce qu’on appelle la croissance, et pour cela diminuons les charges et les contraintes, et tout le reste suivra ». Et tant pis si, dans les faits, « la croissance se traduit pas un regain de pauvreté et un approfondissement du fossé entre de moins en moins de gens de plus en plus riches, d’une part, et de plus en plus de gens de moins en moins riches d’autre part » note-t-il en citant la très peu gauchiste OCDE.
L’emploi ? le Medef n’en a cure, explique-t-il. « Certes, il existe bien une commission des relations du travail mais son positionnement est essentiellement tourné vers une négociation du droit du travail. Les enjeux économiques de la création d’emploi sont pour le reste très peu traités avenue Bosquet voire complètement ignorés, sauf sous la litanie de l’allègement des charges » Au bout de six mois, le Medef enterrera cette commission fantoche.
Candide au pays des merveilles patronales, Verhaeghe décrit une caste coupée du monde, ressassant ses lubies : « Très vite, j’identifiai dans ce monde étrange un code implicite que je mis longtemps à déchiffrer : la critique de l’Etat et des fonctionnaires. Elle est un passage obligé de toute réunion au Medef. Pour y être reconnu il faut sacrifier à la litanie de l’Etat incapable, des fonctionnaires fainéants et incompétents » Pourtant quand il propose, à l’allemande, la neutralité de l’Etat dans les négociations paritaires, les patrons haussent les épaules et notre Candide découvre alors le « lien congénital entre le patronat français et l’Etat » le premier ayant trop besoin du second pour maintenir ses avantages.
La démonstration qu’il propose à titre d’exemple sur la question de la baisse du coût du travail est, sur ce point, extrêmement convaincante. A force de brandir le spectre du chômage et des délocalisations, avec une récurrente mauvaise foi, explique-t-il, « la conviction s’est faite avec une telle force auprès de l’opinion, concernant le coût du travail, que les pouvoirs publics ont cru nécessaire de prendre des mesures fortes pour répondre à la question posée par les détenteurs du capital. » En réalité, « le travail ne coûte pas trop cher mais l’aristocratie ne s’estime pas assez rémunérée », écrit celui qui a décidément rompu avec la langue diplomatico-technocratique des énarques. Qu’importe si tout porte à croire que l’impact sur l’emploi de ces allègements de charge a été quasi nul, il a représenté un colossal cadeau aux entreprises. Et il serait donc idiot de la part du Medef de ne pas continuer à entonner ce sempiternel refrain, puisque cela « prend » si bien.
Les passages sur le fonctionnement des organisations paritaires où il siège sont aussi assez savoureux. A la CNAV (caisse nationale d’assurance vieillesse), que le Medef réintègre en 2008 pour « participer au débat sur les retraites », les partenaires sociaux ne seront bien sûr jamais d’accord. « En attendant il fallait siéger. …Il fallait trancher sur différents problèmes de communication ; La partie syndicale s’est étripée pendant deux heures sur la musique d’accueil du standard téléphonique de la caisse. Certains la trouvait trop longue, d’autres trop chargée de notes… On mesure la farce que constitue la présence des partenaires sociaux dans cette instance ».
Depuis la sortie de son livre, la FFSA, la puissante fédération des assurances où il détenait encore un mandat, a entamé une « procédure disciplinaire » contre lui. Mais Eric Verhaeghe n’a, semble-t-il, pas l’intention de se taire.
Interview de l’auteur à suivre demain jeudi sur Bakchich.info
Pffffffffff…Le mec se remue bien tard, comme par hasard à quelques mois de la fin de son mandat ! Les salariés de l’Apec, notamment les journalistes de Courrier cadres qui lui ont réclamé en vain un plan social, ignoraient qu’ils avaient un Guevara caché pour président…
Alors pourquoi ce livre : 1/ Parce que le Medef ne lui a pas proposé à un poste à la hauteur de l’idée qu’il a de lui même ? 2/ Parce qu’il compte bien retourner "au chaud" au sein de l’appareil d’Etat ? 3/ Parce qu’il se verrait bien en "Soubie de DSK" ?
Opportuniste, pas éthique et pathétique !