"Les revenus dans la musique ont chuté", "il faut pouvoir vivre décemment de son travail". Le patron de la Sacem, qui touche 600 000 euros par an, ne manque pas d’air mais connait la chanson.
Qui a dit que l’industrie de la musique souffrait du piratage ? La SACEM, en particulier, qui donne fréquemment des leçons d’éthique aux vilains pirates mettant en péril l’industrie du disque. Si la culture est en danger, les dirigeants de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique qui gère les droits des artistes se portent très bien…
Depuis septembre, Yannick Favennec, député UMP de Mayenne, réclame l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur les rémunérations des dirigeants de la Sacem. Dans le collimateur, leur « train de vie mirifique » (600 000 euros de salaire par an pour le président Bernard Miyet) et leur zèle « à réclamer des droits exorbitants aux associations » ; « le week-end dernier, on a même demandé des droits à une association qui réalisait une soirée caritative au profit du Téléthon ! », s’insurge le député dans une interview pour France Soir mardi 7 décembre.
Le dernier rapport (en PDF) de la commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits est sorti en avril dernier. Et la Sacem, comme les autres sociétés chargées de percevoir l’argent pour les ayants droits, y sont pointés du doigt, comme Bakchich s’en était fait l’écho. Epluché à ce moment là par le site Numerama, le document avait été peu repris par la presse (à part par Emmanuel Berretta du Point qui fustige les notes de frais mirobolantes des dirigeants). Il vaut pourtant le coup d’oeil.
Outre les charges de gestion qui augmentent trois fois plus vite que les perceptions entre 2006 et 2008, le rapport dénonce les revenus en vigueur au sein de ces sociétés. Alors que la Sacem a réduit ses effectifs de 43 postes entre 2007 et 2008, les charges de personnel ont fortement augmenté (+4,4% en trois ans). Surtout, la rémunération moyenne brute des cinq plus gros dirigeants de la principale société chargée de distribuer les droits d’auteur a augmenté de 8% de 2005 à 2008 pour passer à 363 908 euros annuel (voir tableau ci-dessous à cliquer pour zoomer). Les principaux dirigeants de toutes les sociétés contrôlées par la cour des comptes ont d’ailleurs vus leurs revenus sensiblement augmenter ces dernières années.
En janvier 2008, au Forum d’Avignon, le patron de la Sacem Bernard Miyet (aucun rapport avec l’inoubliable interprète de "Bioman"), se plaignait des vidéos sur Dailymotion réalisées par des amateurs qui ne s’embarrassent pas des droits d’auteur. « Il importe que tout intermédiaire puisse payer pour les droits d’auteur », s’offusquait celui qui aurait eu plus de 29 000 euros de notes de frais par carte bancaire en 2008. Miyet est très chagriné par « la situation intenable pour les artistes » et insiste sur le coût pour les sociétés de gestion des ayants droits pour surveiller ces vidéos sur internet.
Dans son rapport d’activité 2008, consultable sur son site (en PDF), la Sacem désigne aussi le coupable dans la crise de l’industrie musicale : le téléchargement illégal. « Depuis 2002, le téléchargement illégal a eu des effets désastreux sur l’économie de la filière musicale, dont les revenus ont chuté, entrainant un impact direct sur la création et l’emploi du secteur musical. » Ou encore : « Depuis bientôt 10 ans, l’industrie musicale subit une grave détérioration de ses revenus du fait du piratage des oeuvres sur Internet, ce qui se traduit par ailleurs par un déséquilibre économique grandissant en défaveur des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique dans le partage des revenus de la filière. »
Un « déséquilibre »… Mais pas en défaveur des dirigeants. Le salaire de Miyet est de 30 à 40 fois supérieur à la plus basse rémunération de la Sacem, d’après le rapport initié par la cour des comptes.
Des émoluments d’autant moins cohérents que la Sacem décrit durant toute sa présentation les problèmes économiques que traversent l’industrie (« Le marché du disque enregistre un très fort recul de - 19,9% en 2008 »). Ne manquez pas, d’ailleurs l’hilarant chapitre de la page 16 intitulé "Un exercice de rigueur"…
La solution, c’est bien sûr Hadopi ! « La Sacem suivra avec soin la mise en oeuvre du dispositif de réponse graduée et sera attentive aux effets de la loi sur l’économe de la musique, la rémunération des auteurs et le financement de la création », indique-t-on sur le site de la société des auteurs.
Douché par la décision des Sages qui avait fait retoquer Hadopi 1, Miyet indiquait en septembre 2009 sur la très officielle Diplo TV que « L’ensemble des créateurs mais aussi des producteurs (…) souffrent ou vont souffrir de la piraterie puisque il y a actuellement des pertes de chiffres d’affaires qui sont partout très importants. » « Nous nous efforçons de convaincre que la piraterie a un impact significatif majeur sur le financement des oeuvres », ajoutait-il. Là encore ce sont les internautes et les abonnés qui doivent se « responsabiliser ».
Comment faire pour que les artistes et les producteurs puissent « vivre décemment de leur travail » ? Le président de la Sacem estime qu’il faut moraliser le système : « C’est quelque part la responsabilité financière de l’ensemble de ceux qui bénéficient de la circulation et de la diffusion des oeuvres, contre la sécurité juridique qui fera en sorte qu’ils seront totalement à l’abri de contentieux, de litige qui leur interdirait de se développer. »
Dans cette interview réalisée par l’Autorité de Régulation des Communications Et des Postes (ARCEP) dans le cadre d’un colloque sur la neutralité des réseaux, Miyet soutient qu’il faut, en plus des internautes, taxer les FAI (sans contrepartie) pour compenser le préjudice dont vont souffrir les créateurs même avec l’instauration de la loi Hadopi.
Les opérateurs « qui ont gagné beaucoup d’argent » devraient, donc selon le patron de la Sacem, être taxé « pour rétablir l’équilibre ». « Une mesure de justice et d’équité ».
Les salaires des dirigeants des sociétés de gestion des ayants droits pourraient à la rigueur se justifier par la concurrence. Pensez-vous, le rapport pointe encore le « quasi-monopole » de ces organismes dans la culture. En décembre 2006, déjà, un rapport remis au ministre de l’Economie mettait en évidence des frais de gestion de la Sacem deux fois plus élevés que ceux de ses homologues dans le monde (voir rapport de l’économie de l’immatériel et l’article de Zdnet.fr du 6 décembre 2006).
Pour dénoncer l’absence de concurrent de la Sacem, les rapporteurs indiquaient que « la Sacem et ses satellites perçoivent plus de 75% de l’ensemble des droits prélevés ». Les artistes en France n’ont pas beaucoup d’alternative à ces sociétés. Les auteurs du rapport préconisaient alors une mise en concurrence des sociétés de gestion, pour laisser les créateurs décider qui gère leurs droits et réduire les frais de gestion. Quatre ans plus tard, la situation ne paraît pas avoir évolué d’un iota. Les profiteurs de la création musicale ne sont pas toujours ceux que l’on croit.
A voir sur Bakchich.info :
Il y a une alternative gratuite et légale à la Sacem depuis bientôt 4 ans : L’AIMSA (Association de l’Indépendance Musicale Solidaire Autonome)
http://www.aimsalibre.com
Il serait d’ailleurs temps que les journalistes s’y intéressent…c’est leur métier à la base…
l’AIMSA regroupe déjà un réseau de plus de 600 diffuseurs dans toute la France juste par le bouche à oreilles
Tous les secteurs d’activité sont représentés
La Sacem connait d’ailleurs bien l’AIMSA et va devoir s’habituer à perdre des diffuseurs dans les années à venir
Je suis sociétaire de la SACEM depuis 1978, compositeur et producteur de musique. La dernière fois que j’ai eu affaire à ces mafieux, c’était pour essayer de récupérer une partie des 400 euros que j’ai dû leur donner pour avoir le droit de publier mon propre travail en CD, entièrement composé et produit par moi, et payé à entièrement à mes frais… La SACEM m’a donné un généreux remboursement de … 38 euros !!! Cette entreprise est tout simplement un racket "légal" qui est au service de tout un tas de gens qui profitent des artistes (principalement, maisons d’édition, "détenteurs de droits", ou dirigeants de la SACEM, comme le montre cet article), mais certainement pas des vrais créateurs. On peut essayer de présenter toutes sortes de points de vue, mais le fond est aussi simple que ça.
Dire que le "piratage" va mettre les artistes sur la paille est un mensonge grossier. Les artistes sont déjà sur la paille, la SACEM fait partie des bandits responsables de cette situation.
Prennons un autre exemple : la mode. Les droits de "copie" n’existe pas dans la mode… Et… ça n’empèche pas la mode et le design d’être une industrie qui marche très bien. Regardez la vidéo ci-jointe…