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Trader, banque, gros sous et indécence

Chronique du Blédard / jeudi 7 février 2008 par Akram Belkaïd
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On n’a jamais autant parlé de marchés financiers que depuis qu’a éclaté l’affaire dite de la fraude au sein de la Société Générale. Joli cocktail : cinq milliards d’euros de pertes (plus deux milliards en raison des crédits hypothécaires risqués), un jeune homme de 31 ans accusé de tous les maux et présenté tour à tour comme un « calculateur diabolique », un « terroriste », « un jeune homme timide » sans oublier « un pirate informatique génial », cette dernière description étant destinée, communication de crise oblige, à aller de pair avec celle de « piètre spéculateur ». En clair, un employé indélicat, talentueux en hacking mais nul en trading. L’explication paraît bien mince…

Il y a plusieurs manières d’évoquer ce scandale. Je passerai très vite sur le traitement médiatique très déférent auquel ont eu droit les dirigeants de la Société Générale, notamment dans l’actuellement très agité quotidien du soir. Certes, cela n’a pas duré et les doutes et critiques l’ont vite emporté, mais il faut simplement espérer que ce n’est pas parce que l’Elysée a sonné la charge contre la direction de la banque, ou que la BNP et le Crédit Agricole sont en embuscade pour dépecer leur concurrente, que certains confrères se sont réveillés…

En fait, j’aimerais d’abord vous livrer quelle fut la première réaction que j’ai recueillie après l’annonce de la fraude. C’est celle du patron d’une petite entreprise installée dans la région parisienne. Huit employés, un chiffre d’affaires fluctuant et une bataille permanente contre les clients qui paient leurs factures à 120 voire 180 jours.

Régulièrement, ce patron doit solliciter sa banque pour régler les salaires en attendant que l’argent qui lui est dû entre enfin dans les caisses. Je vous laisse le soin d’imaginer les conditions de quasi-usure que son banquier lui impose. Et je vous laisse aussi deviner quels furent ses mots en apprenant que la « SG » permettait à un gamin de s’amuser avec 50 milliards d’euros pour finir par en perdre le dixième.

Cinquante milliards d’euros : c’est le produit intérieur brut du Maroc ! J’imagine aussi la réaction de celui ou celle qui, pour un découvert de 100 euros, reçoit mises en garde et lettres recommandées. Un monde à deux vitesses, assurément.

Il fut un temps où l’on expliquait aux étudiants et au grand public que la Bourse était au service de l’économie. Qu’elle la finançait en répondant aux besoins des acteurs économiques (banques, entreprises, Etat et collectivités locales). A ce besoin de financement, on s’empressait toutefois d’adosser le besoin de liquidité, ce qui impliquait que ceux qui entraient sur le marché boursier devaient avoir la possibilité d’en sortir aussi vite qu’ils le désiraient en vendant leurs titres. Et c’est là que se justifiait l’existence du spéculateur. Sans lui, pas de prise de risque. Personne pour dire « j’achète » ou « je vends », c’est-à-dire personne pour mettre de l’huile dans les rouages et donner de l’oxygène au marché.

Aussi imprécise et angélique qu’elle fut, cette définition de la Bourse était plus ou moins réelle malgré quelques krachs retentissants comme ceux de 1929 ou de 1987. Et puis, est venu le temps « de la création de valeur », c’est-à-dire, pour ne pas vous embrouiller l’esprit, le diktat des actionnaires et des progressions des bénéfices à deux chiffres.

Le financement de l’économie, la bonne vieille réponse aux besoins des entreprises, ne sont plus que bla-bla scolaire gentillet. Comme pour l’immobilier dans de nombreux pays du Golfe et désormais aussi au Maghreb, la Bourse c’est d’abord et avant tout une affaire de spéculation. Et qui dit spéculation sous-entend affranchis et gogos. On peut se frotter aux marchés, on peut même y gagner beaucoup d’argent, mais à condition de faire partie des premiers.

Je me méfie des banques et de leur propagande. Je m’en méfie encore plus quand elles prétendent régner sur la Bourse, car cela signifie qu’elles emploient l’argent de leurs déposants dans une sphère essentiellement spéculative. Ce n’est pas étonnant si les salles de marchés sont emplies de jeunes gens qui n’ont pas toujours la capacité de juger et jauger ce qu’on leur demande d’accomplir. Ils sont une main-d’oeuvre taillable et corvéable, non pas par la contrainte, mais par l’appât du gain.

Qu’un trader de trente ans, qui spécule sur des produits qui n’ont absolument aucune utilité économique (je force le trait, mais c’est volontaire) puisse ne gagner en un an « que » 100.000 euros — c’est ainsi que l’on a présenté l’employé de la Société Générale pour bien faire comprendre qu’il s’agissait d’un « petit » - quand une infirmière en fin de carrière dépassera difficilement les 20 000 euros annuels témoigne bien des « valeurs » de notre temps.

D’ailleurs, les bonus distribués dans les salles de marchés ne sont pas qu’une indécence, ils sont aussi une hérésie économique en ce sens qu’ils privilégient le court terme et, donc, la prise de risque totale au détriment d’une stratégie à long terme. On me dira, avec un sourire de mépris sur les lèvres, qu’il s’agit là d’un raisonnement de marxiste attardé ou d’altermondialiste en mal de doctrine. J’assume et je suis d’autant plus à l’aise que même la bible des affaires, le Financial Times, demande que salaires, bonus et primes distribués dans les banques soient plus sévèrement encadrés.

Oui, je n’ai guère de sympathie pour les banques parce qu’elles sont « un accident qui attend d’arriver » pour reprendre l’expression de Martin Wolf, le célèbre chroniqueur du « FT ».

Et ma défiance est d’autant plus marquée qu’elles n’ont pas leur pareil pour privatiser les gains et mutualiser les pertes. Elles le font vis-à-vis de l’ensemble de la sphère économique quand, par exemple, elles en appellent à l’Etat et à l’argent du contribuable pour venir à leur secours, mais elles le font aussi dans leur propre périmètre.

Si jamais vous passez par La Défense, allez du côté des tours de la Société Générale. A leur pied, vous trouverez sûrement des syndicalistes en train de distribuer des tracts appelant à plus de transparence et plus d’équité dans la répartition des bénéfices. Et, encore une fois, en lisant et en entendant ce qui se dit sur ce scandale, répétez-vous ceci en guise de clé de compréhension : les banques savent mieux que quiconque privatiser les gains et mutualiser les pertes.

©Le Quotidien d’Oran


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8 MESSAGES
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Forum

  • Trader, banque, gros sous et indécence
    le lundi 31 mars 2008 à 21:25, NuklearCocroach a dit :
    ben ouais,privatiser les gains et mutualiser les pertes,sur le plan sémantique,c’est très soft et assez subtil ,mais dans le langage courant et même si ce sont des pratiques communément admises,j’appellerai ça du vol manifeste…car c’en est.
  • Trader, banque, gros sous et indécence
    le dimanche 2 mars 2008 à 18:12, GOMEZ URBINA a dit :
    Bonjour, je suis auteur du livre HACKING INTERDIT, et il est une réalitée, le virtuel n’est pas seul illusion.
  • Trader, banque, gros sous et indécence
    le vendredi 8 février 2008 à 16:52, Trader a dit :
    Travaillant moi-meme dans une banque, de plus petite taille que la SocGen, mais qui a eu le meme probleme de grosse perte de trading…Le probleme a la base est que le trader en question a dispose d’un mandat de risque trop genereux. Dans la prise de risque, il y le gain mais aussi la perte. Cela vaut pr toute prise de risque. Quand au salaire, il est tres facile de le calculer. C’est simplement un % sur ce qu’a genere le trader ou son desk. Malheureusement, un trader genere un profit mesurable par son employeur alors que la contribution d’une infirmiere est plus difficile a quantifer. Les banques d’affaires sont des entreprises tres profitables, et les actifs de ces entrprises sont les employes → c’est cela qui ustifie les salaires. Attention, je ne dis pas que ceci est juste ni que c’est indecent. Mais c’est une realite. Je pense que c’est tjrs dangereux de vouloir regler un marche, je pense que les banques doivent se focaliser sur le controle de risque pour minimiser les pertes. Car des pertes il y en aura toujours. POint final, qqn qui gagne 100k contribue plus que qqn qui gagne 20k a l’economie et a ces concitoyens en payant des impots et en consommant (tva). C’est aussi un point que l’on oublie bien souvent…
  • Trader, banque, gros sous et indécence
    le vendredi 8 février 2008 à 10:50, Michel a dit :

    Je pense (si si ! ;) qu’effectivement, le système a un temps fonctionné : la bourse finançait l’activité économique.

    Désormais cette bourse en est le parasite.

    Demander 15% de rendement est parasitaire. C’est imposer à des gens qui travaillent et qui sont augmentés de 1 ou 2% par an de cracher ces 15% à des gens qui souvent ne foutent rien et qui en veulent toujours plus.

    "Gagner plus sans rien foutre !"

    Mais ces actionnaires - amusant ( ?) retournement - sont aussi parfois des "petits". Ce sont des retraités qui, dans les pays où leur pension est payée par des fonds en bourse, ont besoin de ça pour vivre…

    Sommes-nous en train de voir les retraités parasiter les actifs ?

    C’est un peu simpliste je l’admets, mais c’est une part de la réalité. Il y a bien entendu l’appat du gain qui touche tout le monde, et si notre trader a pu jouer ainsi avec une poignée de milliards (peu de chose, vraiment, au regard des MILLIERS DE MILLIARDS qui circulent tous les jours entre les bourses et les banques), s’il a pu s’amuser ainsi, c’est que sa hiérarchie escomptait bien que ça allait rapporter. Ils n’ont peut-être pas vraiment vu venir les subprimes, et ce qui ne posait pas de problèmes mi-2007 - et qui a même rapporté si je ne me trompe - est catastrophique en 2008.

    La bourse parasite l’économie.

    Olé. M.

    • Trader, banque, gros sous et indécence
      le mercredi 18 février 2009 à 05:57, miluz a dit :
      Un an + tard : ça me rappelle les petits vieux et les autres jeuns et femmes qui traînent au PMU de mon village. Et qui regardent la course à la télé, après avoir passé la matinée à cocher des cases et à ne rien se dire d’autre que des calculs de gains hypothétiques ; pour ne rien gagner vraiment, pendant que les chevaux en bavent et crèvent à 4ans à peine. C’est tout à fait ça. Une maladie qui assèche le coeur et rend prématurément sénile.
  • Trader, banque, gros sous et indécence
    le vendredi 8 février 2008 à 06:23, stef a dit :

    "cela signifie qu’elles emploient l’argent de leurs déposants"

    Non, la titrisation ce n’est pas de l’argent. L’argent ne se matérialiste qu’au guichet/distributeur automatique. Le reste du temps, c’est-à-dire l’essentiel, c’est juste une ligne dans une base de données.

    Sur le fond, j’ajoute qu’il suffirait à la banque de contrôler les écarts-types pour empêcher les traders de compenser des positions par de fausses positions. C’est d’ailleurs la même arnaque à l’INSEE (chômage, inflation, …) qui ne donne jamais les écarts-types.

    C’est à se demander ce que foutent les polytechniciens et autres gens des grandes écoles dans les banques. L’écart-type, on apprend ça au collège…

    PS : l’écart-type cumule les sommes, donc toute manipulation grossière de compensation est détectée. Un outil simple et puissant pour ceux qui veulent contrôler.

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