Du préfet de police de Mai 68, on retiendra cette maxime lancée à ses CRS : "Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même".
Vous l’ignorez mais un dénommé Michel Gaudin, préfet et fier de l’être, dirige l’engeance policière qui fait régner l’ordre version Sarkozy-Hortefeux dans la si jolie ville de Paris. Imaginez, par exemple, qu’à la suite d’une manif favorable à « l’ultragauche », démonstration houleuse voire cogneuse, ce préfet Gaudin écrive à ses flics : « Frapper un manifestant tombé à terre c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière… » . Tel un préfet de la Manche qui aurait laissé siffler les siffleurs, ce Gaudin serait viré dans l’instant. Lesté d’un maxi blâme, il s’en irait compter les casques au cimetière des éléphants. Pourtant, cette phrase, celle que vous venez de lire, a bien été prononcée par un préfet de police de Paris. Son nom était Grimaud et il écrivait ainsi à ses flics le 29 mai 1968.
Le destin a récompensé ce fonctionnaire pas comme les autres en le laissant vivre longtemps - il vient de mourir à plus de 95 ans, ce qui démontre que le respect du crâne des autres peut être un bain de jouvence. Coïncidence, Cohn-Bendit vient d’être muté au Panthéon et Grimaud nommé au Père Lachaise, tous deux morts en même temps, pour ce qui est de jongler avec les idées et les héros de la Révolution.
Recette : comment faire éclore un préfet dont les rêves et fantasmes ne soient pas une forêt de matraques ? Tout d’abord lui interdire l’ENA, l’école de l’obéissance. Maurice Grimaud, lui, a fait des études de lettres, aimé Proust, Gide et Valéry et envisagé Normale Sup avant d’entrer dans l’administration. Les lettres conduisent rarement au néant et l’ombre des jeunes filles en fleurs à l’usage du flash-ball. Le jeune Grimaud passait aussi des vacances chez son pote Roger Martin du Gard, qui est ce que BHL ne sera jamais : un philosophe. Penser, ça donne du recul sur la cruauté de l’histoire.
Au Maroc, où pendant la guerre il prend le parti du général De Gaulle, Grimaud rencontre des responsables de l’ordre vichyste, l’exemple de ce qu’il ne faut pas être, comme ce commandant Berger du film Casablanca qui, à la moindre embrouille, fait arrêter « tous les suspects habituels »… En 1954, sa philosophie de pacifiste lui fait fuir le cabinet de François Mitterrand, ministre de l’Intérieur chasseur de bougnouls, où il a été, par erreur, nommé « conseiller technique ».
En 66, sa balade d’une préfecture l’autre s’achève à la préfecture de police de Paris, une ville alors sans maire. Deux ans plus tard, il est toujours grand maître de l’ordre et c’est tant mieux. Pour avoir, en ce mois de Mai, respiré beaucoup de gaz à effacer le sourire, je peux témoigner de la vertu anti-cogne de ce Grimaud venu d’Annonay. Maurice a douché plus d’un chef CRS lassé d’être assimilé « SS », afin de lui faire comprendre que la rue Gay-Lussac n’était pas Stalingrad. On le voyait souvent à un carrefour tentant de lire le sens de la révolte et l’interdit d’interdire. Il était là, petit dans un costume Troisième République, sachant déjà que Cohn-Bendit était un Napoléon sous Bonaparte, un maître de demain.
Ainsi nous avons passé ce mois à tousser mais pas à mourir, parce qu’un petit homme faisait appliquer une vieille recette de l’humanité : « on ne frappe pas un homme à terre »… Aux dernières nouvelles, d’aucuns affirment qu’au Père Lachaise ils ont vu Grimaud jouer de la guitare avec Jim Morrison… A vérifier.
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"Ainsi nous avons passé ce mois à tousser mais pas à mourir, parce qu’un petit homme faisait appliquer une vieille recette de l’humanité : « on ne frappe pas un homme à terre »"
Culte de la personnalite du bon prefet..blah blah blah…
Belle propagande que tout le monde repete en coeur. Le bon prefet… Comme si un homme pouvait controler la prefecture de police, les CRS et les gendarmes mobiles…
Des milliers de blesses, des morts, des mutilations, des detentions arbitraires par milliers dans des commissariats lors de manifestations pacifiques a l’origine. Beau bilan non pas pour un prefet (personne ne l’a vu avec une matraque) mais pour les agents de police.
Ah c’est sur en succedant a Maurice Papon avec Charonne et 1961 sur Seine…il y avait de la marge.
Heuresement que la France avait signe la Convention europeene des droits de l’homme en 1951 et ratifie qu’en…1974 pour qu’un citoyen ne puisse la saisir qu’en 1981. 30 ans de retard par rapport a nos voisins europeens.
Ah si la Convention avait ete ratifie en 1968, la France aurait eu des centaines de condamnations….
Quand on est né dans le "baby boom", on se retrouve environ 20ans après soit sur les barricade en train de régler un vol de pavés, soit à bouffer de la propagande télé au fin fond de sa province natale… J’ai bravement opté pour la deuxième solution, à ruminer contre ces SS cassant de l’étudiant ("on le fait pas exprès" disait Coluche, changeront jamais les "cogneurs patentés" !).
Bref, j’étais loin de me douter que celui que je pensais "ordonnateur de l’assassinat de Malik Oussekine", était en fait plûtot compréhensif… Dont acte : se tromper, même de bonne foi, reste se tromper… l’essentiel est de l’admettre !