Arthur, alias Henri Montant, est décédé le 18 juillet dernier. Petit tour des écrits de ce journaliste engagé, dont Bakchich eut les honneurs de la plume. Virevoltante et vorace.
Arthur, de son autre nom Henri Montant, est mort samedi soir. Il avait 70 ans. Il était qui ? Pas celui de la télé. Ah non, surtout pas. Arthur était un ami, « un-coup-de-bouleur » formidable de Bakchich, un journaliste de talent, un redoutable joueur de tennis (un temps classé parmi les 200 meilleurs français), un mec qui faisait rire n’importe quel triste, un cow boy amoureux d’une femme et de la Bretagne. Et surtout, un de ces rares de la génération des soixante-huitards à n’avoir jamais trahi ses idées. En voilà au moins un qui ne sera pas passé du col mao au Rotary. Ni en pensée, ni en actes. Anti-capitaliste et écolo d’avant-garde, il était de toutes les aventures libertaires constructives. « Arthur n’a jamais cherché la gloire. C’était les idées avant tout », résume sa fille, Marie Montant.
En 1988, il avait donné les clefs de sa pensée dans un livre, Mémoires d’un paresseux (éditions de l’Aleï) :
« « Quel dommage » disait-on de moi. « Avec son intelligence, il pouvait aller si loin ». Pourquoi est-il si paresseux ? ». Pourquoi ? Je vais vous dire : c’est qu’à l’Université où je ne foutais pas les pieds, j’avais rencontré – dans les marges enfumées des troquets à l’entour – des êtres humains. Tout à fait vivants. Des gens qui avaient le sens du gratuit. Des femmes au lit accueillant. Des hommes désintéressés. Des intellectuels curieux. Des scientifiques sceptiques. Bref, j’avais fait la connaissance du doute. La fête pour la jubilation des sens. Le doute pour la réjouissance des neurones. La marche arrière est impossible. C’est tout le problème de la science : son phare n’éclaire pas grand chose. Laisse plus de zones d’ombres que d’artères éclairées. Mais quand tu as appris à savoir, quand tu sais, pas question de mettre des œillères à ton envie de voir plus loin. La découverte de l’humanité devait me couper à jamais le goût de revenir aux pâlotes saveurs des carrières bourgeoises. » (page 25)
C’est vrai, comme journaliste, il a commencé à travailler pour la télévision. C’est vrai aussi, la télévision était alors (nous sommes dans les années 1960) verrouillée par le régime gaulliste. Mais son état d’esprit n’a pas collé avec les contraintes télégéniques : « La prison est le seul endroit aux Etats-Unis où l’on n’empêche pas les noirs d’aller », lâchait-il dans un reportage. Résultat, il n’est pas resté bien longtemps derrière le petit écran.
Haro sur la presse satirique ! Co-fondateur avec Fournier et Isabelle Soulié de La Gueule Ouverte, « le journal qui annonce la fin du monde », en 1972, Arthur était, pour Isabelle, le « seul journaliste professionnel de la bande [avec Delfeil de Ton], et ni lui ni moi ne parvenions à inculquer quelque notion de lisibilité aux militants bavards ». (lire le texte d’hommage d’Isabelle Soulié dans le prochain Bakchich Hebdo, à paraître samedi 24 juillet). Surtout, Arthur était l’un des premiers journalistes à s’intéresser à l’écologie. En 1974, il a poussé loin le bouchon. En encourageant René Dumont à se présenter à l’élection présidentielle.
Puis Arthur a trempé sa plume au Matin de Paris, à Charlie Hebdo, plus tard à La Grosse Bertha, un beau canard, crée par Cabu, Philippe Val et Frédéric Pagès, avec Arthur. « A l’époque, confie Frédéric Pagès, journaliste au Canard Enchaîné, on se disait que le meilleur journal qu’on pouvait faire, c’était le notre ». La Grosse Bertha ne dura pas (de 1991 à 1992), victime de désaccords rédactionnels entre Cabu, Philippe Val (et d’autres) et Jean-Cyrille Godefroy, le directeur de la publication, Frédéric Pagès, plus quelques autres. Et quel camp choisit Arthur ? Celui des anti-Cabu / anti-Val. Dans le genre prémices de ce qui arriva plus récemment, entre le même Philippe Val et Bob Siné… Là encore, Arthur choisit sa fratrie, Siné Hebdo.
Arthur aussi, a écrit des chroniques au Monde et depuis plus de dix ans collaborait aux zig-zag anonymes de la page 5 du Canard Enchaîné. Avec Frédéric Pagès comme compagnon de route. « Arthur a toujours eu cet esprit soixante-huitard version libertaire-écolo. Ce qui lui donnait une version du journalisme particulière, plus d’opinion que d’enquête. Il était un “journaliste en pantoufles”, comme il le disait en riant », témoigne Pagès. Cela n’empêcha pas notre journaliste de faire, à ses heures, de l’investigation. Il a par exemple participé à la réalisation d’un ouvrage consacré à l’ancien maire de Nice, Jacques Médecin, paru en 1990 : J.M., le feuilleton niçois. L’enquête avait été rondement menée, avec Catherine Sinet.
Bizarrement, l’esprit décapant d’Arthur n’a pas effrayé le Centre de formation des journalistes de Suisse. Dans les années « nonante », il apprenait aux rédacteurs à Lausanne à écrire court et mordant. Il est d’ailleurs l’auteur de Commentaires et humeur : l’écriture satirique et de L’interview écrite et le portrait. Deux livres qui circulent dans les écoles Hélvètes, et même pas sous le manteau !
La Suisse en poche, Arthur choisit de partir vivre en Bretagne. Six ans qu’il vivait dans le Finistère ! C’est aussi là-bas qu’il est parti, entouré de ses proches. « La grande richesse de mon père, c’est tous ses amis qu’il a connus en Bretagne : la plupart des artistes et des marginaux », explique Marie Montant. Alors, quand il passait par Paris, on se précipitait pour le voir. A chaque fois, il proposait à la tablée toute entière de venir quelques jours dans sa maison de Plougasnou. Et à chaque fois on en mourrait d’envie.
Nous vous invitons à relire les articles d’Arthur, publiés dans Bakchich en 2008 et 2009 :
Avec quelques décennies de retard, notre bien-aimé « journal de référence », j’ai nommé Le Monde, sort des nouvelles pages écolos appelées « Planète ».
Bienvenue au club ! Mais son directeur, notre très bien-aimé Fottorino, prévient d’emblée (24/9) : « Ni (…)
Huit ans. Huit ans que je n’avais pas pleuré. Depuis la mort de mon père. Et voilà qu’aujourd’hui mon mouchoir est tout humide… Dis-moi pas que tu nous as fait ce coup-là, Henri ??? Parce qu’Arthur, je l’ai plutôt connu Henri, à l’époque du Centre romand de formation des journalistes à Lausanne, sur les coups de 1997-1998. Nous étions tout farauds, futurs pisse-copie en devenir, la plupart pleins d’ambition, qui sait, un jour la télé peut-être… D’emblée nous nous sommes plu. Avec déjà quelques feuillets au compteur dans un journal d’entreprise, je rêvais de m’affranchir des carcans, d’oser de-ci de-là une giclée d’encre acide pour effaroucher gentiment le bourgeois. Et lui venait nous allécher avec son art d’écrire dru, velu, couillu. Henri a immédiatement su canaliser mes velléités désordonnées vers un style plus ramassé, plus percutant, en m’encourageant à oser, sans me regarder écrire. C’était l’époque où il commençait à livrer quelques "Zig-zags" et "Drôles de zigs" au Canard, et il m’a entraîné dans l’aventure. Semaine après semaine il m’a aidé à peaufiner, améliorer, progresser, n’hésitant pas à me soumettre ses propres billets quand il séchait sur ces maudites chutes jamais assez percutantes à son goût. J’ai pondu deux ou trois billets chaque semaine jusqu’à l’an dernier, Henri était déjà reparti vers d’autres horizons un peu plus tôt, du côté de sa chère Bretagne. Puis est venue la parenthèse "Siné Hebdo", et Arthur a repris du service pour faire plaisir à son vieux pote Bob. J’étais tenté moi aussi, mais deux ou trois visites du côté de Montreuil m’ont laissé rapidement entrevoir comment finirait l’aventure. Et c’est juste au moment de la sortie du dernier numéro de Siné Hebdo que j’ai rejoint une joyeuse bande de fines plumes et de dessinateurs pour lancer un nouveau satirique en Suisse. Après vingt-six numéros le petit "Vigousse" se porte bien, et Henri ne manquait pas de nous encourager chaque semaine.
Le petit monde de la presse libre ne sera plus le même sans lui…