Devedjian a-t-il voulu provoquer Sarkozy juste avant son interview télé du jeudi 24 avril ? Devant des journalistes, mardi 22, le chef de l’UMP a pris le contrepied du président qui a juré de « liquider l’héritage » de mai 1968. Il a osé une drôle de sortie sur les « aspects positifs » du vent de folie qui voici quarante ans, a soufflé sur la France ! Une phrase qui est aussi surprenante pour quelqu’un qui, avant 1968, usait de la barre de fer contre les gauchistes…
Le timing est important. Deux jours avant la grande interview de Sarko à la télévision française, le secrétaire général de l’UMP tenait une conférence de presse un brin délicate, au moment où notre président lui reproche sa gestion de la maison UMP. Pendant deux heures, Devedjian a manié le robinet d’eau tiède afin de plaire à tout le monde. Il a soutenu comme il se devait le bilan des réformes et vanté « l’ouverture » sarkozyenne, allant jusqu’à distribuer des mérites aux ministres transfuges, au PS, et même à la CGT en la personne de Bernard Thibault, le partenaire des bonnes négociations !
Mais Devedjian a surpris son monde quand il s’est mis à parler des acquis positifs de Mai 68, lui qui dans sa jeunesse maniait la barre de fer contre les jeunes gauchistes et divers chevelus en pulls laineux. Mai 68 aurait signé, rien que ça, « l’entrée de notre pays dans la modernité ». Le minitel et la bombe atomique en prennent un sacré coup !
Certes, Devedjian formule un petit reproche sur les émeutes gauchistes, mais vraiment pas de quoi fouetter un Cohn-Bendit. Il y aurait eu selon lui, dans cette poussée d’acné du mois de mai, un petit côté « enfant gâté » et une « philosophie de la facilité ». C’est dire si on est loin, fort loin même, de la « chienlit » du général De Gaulle ou de la « liquidation » de l’héritage soixante-huitard chère au président Sarkozy !
Comment interpréter cette mesure et cette retenue à l’encontre d’un mouvement que son parti accuse d’avoir précipité le déclin de la France ? Trois interprétations.
Un : après avoir fait venir à ses meetings les socialistes Besson, Kouchner, Bockel ou Attali, l’UMP continue de « faire bouger les lignes » en attirant les maos, les gauchos, les trotskos. Interdit de rigoler : ensemble, tout devient possible.
Deux : Devedjian sait que le roi veut lui reprendre sa baronnie UMP, et qu’il cherche une solution pour se débarrasser de lui. Alors il marque ses distances. Il provoque.
Dernière hypothèse, plus intime, Devedjian poursuit une évolution naturelle qui le pousse à aimer ce qu’il détestait dans sa jeunesse.
À un journaliste qui lui rappelait sa jeunesse soixante-huitarde chez les ennemis les plus durs des barricades, à savoir l’extrême-droite, Devedjian a rétorqué : « Pas du tout ! En 1968, j’avais déjà viré ma cuti. En 1966, je suis devenu aronien ». Décidément, le patron sous surveillance de l’UMP cherche à gauchiser sa bio. Pour comprendre, il faut savoir que deux ans avant la révolte étudiante, le jeune Devedjian avait vécu une illumination.
C’était en 1966. Jusqu’à cette année-clé, il militait dans le groupuscule d’extrême-droite Occident, qui avait pour slogan « Tuez les communistes partout où ils se trouvent ! », approuvait le coup d’Etat des colonels en Grèce, exaltait « l’ethnie française » et se faisait une spécialité du tabassage méthodique des agités gauchistes des campus. Mais sa rencontre avec le philosophe antitotalitaire Raymond Aron en fit un homme nouveau. Un « born again », rempli d’une énergie nouvelle qui le conduira au sommet de l’UMP ; un démocrate !
Enfin, c’est ainsi qu’il dépeint sa légende. Car ce que Devedjian oublie toujours de dire, c’est qu’après 1966, il tarde à remplacer vraiment le gourdin par un bulletin de vote. Le 17 janvier 1967, à Rouen, en compagnie de dizaines de jeunes gens d’Occident, parmi lesquels deux démocrates nommés Alain Madelin et Gérard Longuet, Devedjian cogne à la barre de fer sur le cuir chevelu des étudiants rouennais en lutte pour l’arrêt des bombardements américains au Vietnam. Des « aroniens » encore bien bourgeonnants, en somme, qui finiront ce soir-là leur débat démocratique dans le panier à salade.
Autre moment intéressant de cette conférence de presse, celui où Devedjian répond à une question gênante sur la Chine : il use alors d’une langue de bambou qui n’est pas sans rappeler la froideur des petits hommes bleus qui le 7 avril, se sont jetés sur David Douillet pour souffler sur la flamme olympique.