Loin des thèses académiques, JB Pouy propose son histoire de Mai 68. Du Mad Max avant l’heure.
Publié pour la première fois en 1979, Spinoza encule Hegel est la transcription par « écrit du conte oral » de mai 68. Conte que JB Pouy racontait aux élèves qui l’interrogeaient sur les évènements de mai. Il avait progressivement transformé « la relation exacte (donc assez pauvre) des faits et événements historiques [qui le] gonflait passablement ».
Les nostalgiques veulent y voir « le plus important mouvement social de l’Histoire de France au XXe siècle ». Ils y voient bien plus qu’une révolte, une révolution. Excusez du peu. L’objectif est de contester la « vieille Université », mais aussi la société de consommation qui n’avait pas encore équipé les deux millions de salariés payés au SMIC et encore moins les habitants des bidonvilles, mais qu’importe. Les étudiants de Nanterre qui vivent à vingt mètres du plus grand bidonville de France, pensent sûrement que ceux-là peuvent vivre sans. Comme à chaque fois, le capitalisme était aussi une cible facile et assez populaire.
D’autres, plus paternalistes et réalistes, y voient une révolte d’une ampleur exceptionnelle. Une tempête puissance 6 sur l’échelle de Richter. Mais une tempête saisonnière comme celles qui ont lieu tous les deux ans, à la veille des examens. Une de ces grèves qui secoue les universités et les lycées au printemps et fournit au même rythme le PS en jeunes opportunistes. Cette année-là, la puissance de l’évènement est liée à la superposition de deux phénomènes. D’abord à l’arrivée à l’âge adulte des premiers enfants du baby-boom. Une vague impressionnante, un million de jeunes adultes exigent une place dans la société. Le chômage refait son apparition.
Pour faire face, en 1967 le gouvernement a créé l’ANPE. Face à ce raz-de-marée, le pouvoir gaulliste a vieilli. En place depuis 10 ans, il a aussi perdu de sa légitimité. 23 ans après la libération de la France, la résistance est devenue une rente. La gestion de la crise algérienne, autre fait d’armes gaulliste, est sagement rangée sur les étagères de l’histoire. Les plaies sont à vif parmi les alliés traditionnels de la droite française. D’autant plus que dans cette période apaisée et prospère, des valeurs du Grand Charles paraissent d’un autre âge. Sa morale est très vieille France. Paternaliste. Cette révolte lyrique fut donc l’occasion d’une longue discussion entrecoupée d’assemblées générales, de prises de parole endiablées, d’utopie. Une crise d’adolescence créative et généreuse d’un million de personnes. Rien de plus.
Les plus critiques ne se sont pas laissés abuser par la symbolique révolutionnaire. Les drapeaux noirs et rouges flottent sur la Sorbonne. Les barricades bloquent Paris comme aux grands moments de la Révolution. Mais la comparaison s’arrête là. Ces observateurs constatent que la plupart des lycéens et des étudiants ne veulent pas du pouvoir, ils n’attendent qu’une « libéralisation des mœurs ». Entre 1961 et 1967, moins de 15 % d’une classe d’âge passe son baccalauréat et rentre à l’université. Les fils de prolos ne sont pas pléthore à la Sorbonne, 92 % des étudiants sont des privilégiés. Le droit à la mixité dans les résidences universitaires éloigna l’essentiel de ces bourgeois de la lutte des classes. Certains, cyniques, s’en réjouissent, alors qu’un petit groupe beaucoup plus perspicace voit déjà le libéralisme pointer derrière la libéralisation des mœurs.
La quatrième interprétation est beaucoup plus personnelle, c’est celle de JB Pouy.
JPB , Jean-Bernard Pouy, nous raconte son histoire à la Mad Max (écrite bien avant le film) ou des bandes rivales se frittent entre elles sans raison apparente. Une espèce de guerre romantique, avec de nombreux morts. La chianlie est dense, difficile d’y retrouver ses enfants. Mais pour simplifier, quatre types de bandes se font la guerre. « Les gauchistes » ont la sympathie de l’auteur. Elles ont des blases intellectuels : Spinozistes, Hégéliens, Fouriers Roses, et des mœurs très libérales. Le narrateur jouit de son homosexualité. Ils sont divisés en petits groupes : marxistes-léninistes, prochinois, trotskistes, anarchistes. Leurs chefs élaborent des thèses plus au moins baroques. Les staliniennes, Thorez Rouge et consorts, sont plus grégaires, moins stratèges, brut de décoffrage. Les fascistes jouent un rôle marginal. Ce sont les féministes qui gagnent la bataille.
Dans ce conte, la Gauche prolétarienne (GP dans le texte), l’Union des étudiants communistes (UEC) passent plus de temps à s’affronter qu’à faire la révolution, mais ils s’amusent beaucoup et passent de très bons moments, sanglants.
A l’époque où le conte a été élaboré, JBP était éducateur dans un lycée à Ivry. Il dirigeait la cinémathèque. « La cabine de projection [était] devenue, peu à peu, lieu de rendez-vous pour les âmes à moitié perdues du bahut, ça ne loupait pas, ces chères têtes brunes et frisées me demandaient de leur raconter Mai 68, la Geste barricadière et molotoviste ».
Depuis JBP est devenu un écrivain prolixe et le second père du polar français. Bienveillant, généreux, chaleureux, il a permis à de nombreux auteurs d’écrire, de publier. Il est l’un des créateurs du Poulpe et d’autres collections.
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"la société de consommation qui n’avait pas encore équipé les deux millions de salariés payés au SMIC et encore moins les habitants des bidonvilles, mais qu’importe. Les étudiants de Nanterre qui vivent à vingt mètres du plus grand bidonville de France, pensent sûrement que ceux-là peuvent vivre sans."
Il est dommage de justifier la prédominance de la société de consommation par les besoins supposés des habitants des bidonvilles. D’autres sociétés ont pu exister par le passé, apportant habitations et respect aux habitants, sans l’artifice de la publicité, du marketing et des hypermarchés. D’autres développements sont possibles. Sur ce, en écrivant ce genre de choses, vous êtes mûrs pour travailler pour Libération, le Nouvel Obs, etc…
Est-ce que pour autant les préoccupations des étudiants et celles des ouvriers étaient identiques et synchrones ?
Pourquoi beaucoup d’acteurs des "évènements", reconnaissent aujourd’hui que ce n’était pas aussi simple, selon vous ?
Cher François
J’ai envie de vous répondre avec humour, si je suis mür pour écrire dans le Nouvel Obs, voire dans Libération. Vous n’êtes pas mûr pour passer votre CAPES d’histoire.
Toutes les innovations que vous décrivez sont soit contemporaines de Mai, voire ont été développées par les étudiants qui défilaient en Mai.
La première pub télé a été diffusée en 1968. Boursin, et aujourd’hui les enfants de mai sont effrayés par la disparition de la pub à la TV.
En 1968 il n’y avait pas plus de 10 hypermarchés en France. Le reste s’est développé ensuite.
Les services marketing ont été créée dans les années 1970 et sont dont peuplés par les étudiants de Mai. Ce fut même avec les agences de pub un des débouchés créés pour l’occasion.
Pour le reste je partage votre point de vue, et je suis un fervent partisan de la décroissance, mais je ne vais pas dans les bidonvilles pour en venter les bienfaits.
Très cordialement.
Bertrand Rothé
Kristin Ross : Mai 68 et ses vies ultérieures Traduit de l’anglais par Anne-Laure Vignaux Une coédition Complexe / Le Monde diplomatique, Bruxelles / Paris, 2005 250 pages, 19,90 euros
http://www.monde-diplomatique.fr/livre/mai68/
http://www.la-bas.org/article.php3 ?id_article=713