Thierry Jonquet est mort dimanche 9 août. Ses polars étaient des modèles de construction. Pour le reste ça se discute.
Publié pour la première fois en 2006, Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte est une analyse caricaturale des conflits de banlieue. Une analyse qui ferait passer les reportages de TF1 pour des analyses sociologiques impartiales. D’un côté les « feujs », de l’autre les « rebeus » et, entre les deux, quelques Gaulois perdus.
De la seconde guerre mondiale jusque dans les années 1990, les intellectuels français sont pratiquement tous sionistes. Les abominations de l’antisémitisme qui ont conduit à la Shoah ne permettent alors aucune alternative. Puisque l’on ne peut garantir l’éradication de l’antisémitisme, il faut aider les juifs à se doter d’une nation. Les juifs d’Europe ont choisi Israël, l’Occident qui avait laissé commettre ce génocide ne pouvait qu’adhérer et soutenir. Les autorités françaises ayant devancé les ordres allemands doivent faire oublier leur comportement. La France participe donc activement au soutien du jeune Etat. Une partie des équipements de la nouvelle armée israélienne (Tsahal) est française. L’armée française intervient même militairement pour soutenir Tsahal. Ce fut le cas en 1956. Israël bénéficie, à cette époque, d’un statut privilégié dans l’inconscient collectif hexagonal. Marginalement, les origines laïques et socialistes de l’Etat d’Israël participent de cette adhésion quasi universelle. L’antisémitisme nazi et ses abominations ont, pendant de longues années, légitimé le sionisme.
Puis progressivement, les années passant, le génocide des juifs d’Europe est entré dans l’histoire. Il trouve sa place dans la liste des abominations humaines. Une place particulière, originale, singulière comme toutes les abominations. Son statut va se transformer. Son actualité va progressivement disparaître pour laisser la place à de pleines pages dans les manuels d’histoire de classe de Terminale.
Débarrassée de sa mauvaise conscience antisémite, la lecture des acteurs va évoluer. L’actualité va progressivement entraîner une transformation de la perception du sionisme. La Palestine avant que les juifs viennent l’occuper était peuplée d’arabes en majorité musulmans. Cette population a été chassée de son territoire par les sionistes. Très rapidement et très légitimement ces Palestiniens vont demander à revenir sur leur territoire. Israël refuse. Le système démocratique donnerait très rapidement le pouvoir aux Palestiniens à la démographie galopante. Le conflit s’installe. Les pays arabes et musulmans à la recherche d’un thème fédérateur vont s’en saisir pour souder leur population. Ce thème évite de remettre en causes les rentes, voire la corruption de leurs élites. Fort de ce soutien, les abominations vont se succéder. Les attentats, l’utilisation de kamikazes, entraînent une radicalisation des Israéliens. Les origines laïques et socialistes de l’Etat Israélien font aujourd’hui partie de l’histoire. Dans cette démocratie le pouvoir appartient à la minorité religieuse ultra qui fait la pluie et le beau temps à la Knesset. Les violences vont crescendo et dans une partie l’inconscient collectif français, et chez de nombreux de ses intellectuels, le statut des juifs d’Israël va changer. Les sionistes, de victimes, vont devenir persécuteurs. Le statut d’opprimés va changer de camp.
Le retournement va être long, mais va être une nouvelle ligne de fracture dans l’intelligentsia française. Progressivement dans les années 1990 une partie de la gauche, avec pratiquement toute l’extrême gauche prend fait et cause pour le peuple palestinien privé de ses terres. L’essentiel de la droite protège Israël au nom de la défense de l’Occident. La communauté juive va suivre le mouvement. Une partie de la communauté soutenait jusque là la gauche par méfiance contre la droite jugée antisémite, elle va voter pour une droite favorable aux sionistes. Ce clivage devient très important en ces débuts du XXIe siècle.
Ces événements ne vont pas avoir que des conséquences sur le milieu intellectuel. La France est aussi un des pays d’Europe où vivent d’importantes communautés juives et musulmanes. Dans les deux camps, une part des français de chaque origine, voire de chaque confession, se sent solidairement engagée dans le conflit Israélo-palestinien.
Le monde du polar ne pouvait pas être absent de cette polémique.
Dans sa dernière œuvre Thierry Jonquet va remplacer « la violence des rapports sociaux » qu’il admirait tant chez Manchette par la violence du communautarisme que la société des années 1990 a laissé mettre en place. Son roman se passe en banlieue parisienne. Dans son 93, les villes et les quartiers de banlieues se définissent par leur communauté. Le maire de Vadreuil a choisi de laisser s’installer une communauté juive. Certigny est peuplé en majorité de Musulmans. Un parc, une erreur médicale et le conflit du Proche-Orient séparent les deux communautés.
Dans ce monde impitoyable, Jonquet a fait son choix, c’est celui d’Alexandre Adler. Le roman a donc été accueilli avec gêne, comme le dit notre confrère de Rue89. Jonquet, un ancien de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), dresse un portrait flatteur de l’ancien du Bétar qui n’a jamais renié ses engagements, alors que le plus modéré des musulmans est présenté comme un alcoolique. Voici les professions qu’il a distribuées à ses personnages. Les musulmans appartiennent tous au lumpenproletariat. Le père de Lakdar est un technicien de surface, le frère de Djamel est un champion de karaté qui a terminé videur dans un sex-shop à Pigalle. Les salafistes tiennent une librairie musulmane. Alors que les juifs sont profs et se dévouent aux élèves ou médecins dans un hôpital de banlieue.
Dimanche, Thierry Jonquet est mort. Mardi, Thierry Jonquet était considéré par Libération comme une des références du néo polar. C’est un styliste hors catégorie. Il avait surtout compris comment construire un polar. Il avait dans ce domaine du talent, un génie de la construction. C’était en plus un narrateur de très grande qualité.
Pour le reste il a les qualités ou les défauts de nombres de penseurs de sa génération. Passé de la critique du système capitaliste, via la LCR, il a progressivement perdu toutes ses convictions, n’hésitant pas à consacrer un livre entier à la critique du PCF.
Puis, la dérive s’est progressivement engagée vers une critique acerbe et caricaturale des musulmans, des blacks et de tous ceux qui ont du mal à s’intégrer, d’abord dans « Jours Tranquilles à Belleville » puis dans ce dernier ouvrage. Toujours avec une certaine plume et des romans extraordinairement bien construits.
À lire ou à relire sur Bakchich.info :
bon d’abord j’ai pas lu le bouquin, ni même l’auteur, mais 2-3 petites choses me dérangent dans cette critique : en premier lieu, la part la plus importante de la critique n’est pas consacrée au livre et ensuite je ne comprend pas exactement quand vous dites "Ses polars étaient des modèles de construction"… pourriez-vous détaillez un peu ? (et vous utilisez le pluriel alors que vous ne parlez que d’un livre)
ça n’empêche que je lirai jonquet un jour
Monsieur
C’est le choix que j’ai fait. Mettre la critique dans son contexte historique. Rappeler dans quel contexte ce livre a été écrit.
C’est mon choix je l’assume.
J’ai fait la même chose avec tous les livres que je traite.
Cdt
Bertrand Rothé
Cher monsieur
Je relisais ce roman quand Jonquet est mort. Je ne voulais pas écrire dessus tellement il me semblait caricatural et viscéralement anti-arabes. Lisez-le si vous ne l’avez pas fait, ou relisez-le.
Voilà. Pour le reste je dis aussi du bien du défunt. C’est un styliste de très haute qualité.
Avec le recul j’ai beaucoup de mal à comprendre que la LICRA ait remis un prix à Jonquet pour ce bouquin. Je ne vois pas d’explication. Ce bouquin me parait limite. Je le pense et je l’écris.
Trés cordialement
Bertrand Rothé
Monsieur
Merci. Mon article est une réaction aux deux nécro de Libération et de Rue89. Deux nécro qui ne faisaient aucune allusion à la dérive phobique de Jonquet.
Celle du Monde est plus nuancée. Vous avez compris que je regrette cette dérive, ce qui n’empêche que j’admire le romancier Jonquet.
Si vous permettez, j’admire aussi Céline, je pense que c’est un de nos plus grands auteurs ; mais je ne comprends rien à son délire non plus, ni à son évolution.
Cdt
Bertrand Rothé
Cher lecteur
Le Monde d’hier parle de "néo réac" sans trop se mouiller. Je n’ai pas été jusque là.
Je vous conseille de lire ce livre, c’est bourré d’amalgames et ça ne veut que jeter de l’huile sur le feu.
J’en ai été moi même surpris.
Très cordialement.
Bertrand Rothé
Monsieur
Jonquet a travaillé en banlieue il y a très longtemps. Je suis prof en banlieue (actuellement) à Sarcelles (considéré comme une banlieue très chaude et où vit une très importante communauté juive). J’ai donc une certaine expérience du terrain.
Je peux dire que la banlieue que décrit Jonquet n’a pas grand-chose à voir avec la réalité. Elle n’est pas très rose, j’en conviens, pas la peine de la caricaturer ni de jeter de l’essence sur le feu. Entre autre, je vous le dis, la communauté juive n’est pas au dessus du conflit.
Pour terminer je suis d’origine juive comme le confirme mon nom de famille. Je ne m’en suis jamais caché à mes élèves. Je n’ai jamais été insulté par mes élèves pour cela.
Cdt
Bertrand Rothé
Bonjour
D’abord, vous pourriez préciser prof en IUT, ce serait tout sauf faire injure à vos élèves qui ont réussi à entrer dans votre établissement et ont travaillé pour ça…
Ensuite, sept grossieretés en cinquante secondes, ce n’est pas du jamais vu, c’est du vécu… en école primaire, quand j’étais emploi jeune, et plutôt quotidiennement !
Je ne vous jette surtout pas la pierre d’enseigner en IUT, ayant moi-même obtenu un DUT métiers du livre grâce au plan emploi-jeune. Je dis simplement que vous êtes plutôt chanceux de pouvoir enseigner à Sarcelles dans une telle structure et à un tel public, là où des professeurs des écoles, dès le CP, s’échinent à minimiser le retard que prennent leurs classes sur le niveau attendu au stade des apprentissages fondamentaux.
PS : mon commentaire aurait plutôt eu sa place en dessous de votre questionnaire sur la journée de la jupe, mais puisque c’est ici que vous nous parlez de votre expérience de professeur…
PPS : à propos de la Journée de la Jupe, la relative faiblesse du film est de ne montrer qu’un collège de ZEP, mais c’est dans la mesure où la faillite de l’enseignement public est globale.