Le journaliste François Malye et l’historien Benjamin Stora se sont penchés sur le rôle trouble de François Mitterrand pendant la guerre d’Algérie. L’histoire noire du vieux monarque de gauche égratigne de plus en plus l’icône.
Nous avons connu ces temps d’une vérité solitaire où évoquer, lors de dîners de « gauche », la carrière de Mitterrand à Vichy et sa suite comme guillotineur pendant la guerre d’Algérie, vous valait le qualificatif de « fasciste » et motivait d’aucuns à se lever et à rentrer chez eux avant l’heure du fromage. Heureusement, même trop lente, une démitterrandisation est en cours. Même s’il sert la soupe au vieux monarque, Une jeunesse française, le livre complaisant de Péan, a permis à ses groupies d’entrevoir un peu de l’autre visage de Tonton.
Aujourd’hui, ce sont Benjamin Stora et François Malye qui abordent, enfin, la seconde vie du papa de Mazarine. Celle où, tenant le cordon de la guillotine, il a fait couler le sang arabe dans le panier de sciure de la prison d’Alger. Et pas seulement arabe, puisque Fernand Iveton, militant du Parti communiste et « Français de souche », pour parler comme Le Pen, fera partie de la rafle.
Un seul et faible reproche à ce livre essentiel : s’il décrit clairement l’action du coupeur de têtes, il est plus flou ou plus discret sur l’action quotidienne de Mitterrand, l’inlassable ministre de l’Intérieur ou de la Justice de la Toussaint 1954 à mai 1957. C’est-à-dire le responsable d’une guerre sans nom, que les journaux baptisaient « événements ». Pas plus qu’il ne rappelle l’entêtement de l’ancien président à soutenir les aventures coloniales, Indochine, Suez, Algérie, Irak, expéditions lancées, trois fois sur quatre, contre des Arabes.
Rappelez-vous les heures heureuses de « la force tranquille », il fallait s’aimer et Mitterrand rêvait du prix Nobel de la paix, à défaut de celui de littérature. Qui aurait évoqué l’ami Bousquet ou la francisque aurait été envoyé au cabanon de l’infamie, ce qui fut le cas de ce dingo de Jean-Édern Hallier. Entre Mitterrand, Moulin, Alleg et Jaurès, il n’y avait pas l’épaisseur d’une feuille à cigarette.
Le bouquin de Stora et Malye, moins montré à la télé que celui de Houellebecq, est la cloche qui sonne la fin de la récré, l’épilogue d’une imposture. Comme d’habitude quand on le questionne sur sa vie, Mitterrand ment, flanche de la mémoire. Le 5 décembre 1990, il déclare à Stora avoir « donné sa démission » de ministre de la Justice en mai 1957… Manque de chance, c’est tout le gouvernement qui a été viré ce jour-là ! Lorsqu’il était à Vichy, sentant un vent contraire monter, celui d’un débarquement anglo-américain, François est devenu un résistant de la onzième heure, bien discret avec son ami, l’ancien collaborateur André Bettencourt. Pour l’Algérie, c’est deux mois avant la chute du gouvernement que Mitterrand est pris de scrupules, il rédige une note sur les comportements, de flics ou de militaires, qui pourraient faire honte à la patrie des droits de l’homme. Ouf, l’honneur est sauf.
Restent les archives. On ignore que, dès son arrivée au pouvoir, Mitterrand a expédié quelques Attila nettoyer les méchants souvenirs qui dormaient dans ces boîtes en carton qui font l’histoire. Hélas, l’éradicateur a oublié des documents sur les étagères du Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Résumons. Le 4 février 1957, Mitterrand signe un article de loi qui réduit le délai de recours en grâce. Pourrissent alors en prison un gros paquet de « terroristes fellaghas », qu’il va bien falloir éclaircir. Deux jours plus tard, le 6 février, le CSM examine, en une heure et demie, les recours de 21 condamnés à mort. Ce qui fait, si on ajoute le temps de fumer une clope, quatre minutes par dossier. Sur la table figure celui d’Iveton, le coco d’origine « métropolitaine ». Il a posé une bombe qui n’a pas explosé. Le ministre Mitterrand vote sa mort. Comme toujours, ou presque, puisque Stora et Malye ont compté 45 exécutions pendant le séjour de Tonton place Vendôme, avec sa signature, un « oui », dans 80 % dans cas.
Si le Mitterrand cuvée 56 n’était pas Pol Pot, il n’était pas très pote avec la vie des combattants de la liberté. Quant à vous, même si Stora et Malye veulent faire pardonner leur audace en donnant exclusivement la parole aux amis de Tonton, vous êtes condamné à lire ce livre. Débaptisons les rues et la bibliothèque François-Mitterrand !
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