Par crainte de voir le tournoi de Roland-Garros émigrer en grande banlieue, le maire de Paris est prêt à tout lâcher à la puissante Fédération française de tennis.
La richissime Fédération française de Tennis ( FFT) qui menace de délocaliser le tournoi de Roland Garros en grande banlieue peut sauter de joie. Le maire de Paris n’est pas un joueur très coriace. C’est même un grand sentimental qu’il est facile de faire craquer.
Voilà des mois et des mois que ses dirigeants mènent un odieux chantage et jouent avec les nerfs et l’orgueil du premier édile. La stratégie des dirigeants du tennis hexagonal est bête comme chou mais très efficace : faire imaginer à Delanoë qu’il pourrait rester dans l’Histoire comme le maire de Paris qui a fait perdre le tournoi du grand Chelem à la capitale.
La FFT qui se trouve trop à l’étroit dans le XVIe a en effet mis en compétition plusieurs communes prêtes à l’accueillir : Versailles, Gonesse, Marne-la Vallée, près de chez Mickey. Ce dernier site à 20 km de Roissy et desservi par une gare RER et TGV semble beaucoup plaire. « On toucherait un nouveau public international et on aurait beaucoup plus d’espace qu’aujourd’hui ».
Une délocalisation de Roland Garros au bout d’une ligne RER ? De quoi horrifier PPDA, Bruel et autres pipoles qui durant la quinzaine du tournoi prennent leur quartier porte d’Auteuil.
C’est mi-février 2011, que la deuxième fédération de France (environ 1 million de licenciés) présidée par le rusé Jean Gachassin, assisté de Jacques Ysern (DG), et Alain Riou (DGA) doit rendre son verdict : quitter ou non Paris après 2015. Cette année-là prendra fin l’actuelle convention d’occupation des terrains qui sont propriété de la Ville. Le suspens est à présent quasi-inexistant.
Car au dernier conseil municipal de mi-décembre, Delanoë a fait une grande déclaration d’amour. « Paris aime Roland-Garros et est fière de ce tournoi, élément majeur de son identité, de son rayonnement international et de son dynamisme économique ». Poète, le socialiste a aussi clamé : « l’âme de Roland-Garros puise ses racines dans la terre battue de la Porte d’Auteuil. »
Et quand on aime, on ne compte pas. Auditionné début décembre par les dirigeants du tennis pour défendre l’offre de Paris, Delanoë a donc promis de céder en tous points pour retenir “Roland“ : accorder un bail pour l’éternité ou presque (99 ans) à la FFT avec des terrains supplémentaires ; l’autoriser à construire un court de 5000 places en grignotant la verdure mitoyenne. Les Serres d’Auteuil doivent être amputées d’une partie de leur terrain ; aider la fédé à hauteur de 20 millions d’euros dans ses investissements estimés à 250 millions d’euros. Et pour soulager la propriétaire du tournoi de ses efforts, continuer à lui fixer un loyer à prix d’ami.
On ne peut qu’applaudir la stratégie qui renverse la vapeur. Car il y a deux ans, la fédération a vraiment eu chaud aux fesses. L’inspection générale de la Ville de Paris a mis son nez dans le contrat d’occupation du site signé par Chirac. Son rapport de mai 2008 qui a fuité a montré combien la puissante fédération se la coule douce Porte d’Auteuil. Avec Roland Garros, la FFT transforme la terre battue en or.
Entre les billets, les sponsors, les droits télé, elle brasse des dizaines de millions. Un chiffre d’affaires de 118 millions d’euros en 2007 (140 l’an passé). Sur lesquels elle dégage des « bénéfices substantiels » : plus de « 318 millions d’euros cumulés sur la période 2000-2006 » . Ce qui, au fil des ans, lui a permis de faire de judicieux placements mobiliers. Sicav et compagnie étaient valorisées pour 54 millions d’euros en 2007, note l’Inspection générale. Pas mal pour une simple association loi 1901 !
Certes la FFT ne garde pas tout pour elle. Sur 16 ans, elle avance avoir investi « 180 millions d’euros » à Roland-Garros. Et « mission de service public » oblige, elle jure réinvestir les bénéfices nets dans le développement du tennis en France.
Très bien, mais le contribuable parisien a-t-il vocation à subventionner les pratiquants de la baballe jaune ? L’Inspection générale a passé une soufflante aux élus de la ville de Paris. Elle les a enjoints de hausser le loyer (la redevance) au niveau pratiqué en général par la ville (15 % du chiffre d’affaires et non 1,2 %). La capitale devrait ainsi réclamer à la FFT un loyer de « 19 millions d’euros » au lieu du 1,6 million actuel.
Mais finalement pour Delanoë, pas question. Il propose d’amener la redevance à 3 millions annuels d’ici 2016 et de la porter ensuite entre 5 et 7 millions en fonction du chiffre d’affaires du tournoi. Car justifie-t-il, « la hausse de la redevance devra être d’un niveau raisonnable et évolutif dans la durée en étant compatible avec le caractère non lucratif de la FFT ».
L’argument en fait rigoler beaucoup. Restaurants, salons, “espaces“… il suffit de reprendre l’inventaire réalisé par l’Inspection générale pour constater qu’à Roland-Garros, la FFT exploite tous les coins et recoins comme le ferait une boîte privée. Ces dernières années, elle proposait par exemple pour 9600 euros la journée de location du « Pavillon des Loges », un restau adossé au court Suzanne Lenglen. Et pour mettre de l’ambiance dans les séminaires, la fédération propose aux entreprises de dégoter « magiciens, caricaturistes, danseurs, DJ, photographes ». L’esprit service public…
Rien n’est trop beau pour garder “Roland“. Dès septembre, Delanoë a déjà fait un beau cadeau à la FFT. Pour l’inciter à rester, la mairie lui a confié à un très bon prix et pour 20 ans la gestion du fameux stade Jean-Bouin, à proximité de Roland-Garros. Décidément un symbole de toutes les générosités du maire de Paris, ce stade du XVIe arrondissement. L’organisation n’est certes pas toute seule dans l’affaire. Elle est alliée à la Ligue de tennis de Paris et à l’insubmersible Association Paris Jean-Bouin qui auparavant faisait équipe avec l’infortuné Arnaud Lagardère.
Mais comme elle l’a montré dans son dossier de candidature, ce sont moins les équipements sportifs ( court de tennis laissés à ses deux partenaires ) qui intéressent la Fédé que toutes les parties commercialement exploitables ( restaurant, club house etc ) où elle prévoit de réaliser quelques investissements. A Jean-Bouin, elle compte en effet « développer une opération de relations publique durant le tournoi qui aurait pour effet de privatiser une partie du restaurant » a-t-elle expliqué à Paris. La location de salles et l’organisation « de mini- événements » sont aussi prévues. Et si elle prolonge son bail à Roland-Garros, elle souhaite pouvoir installer à Jean-Bouin son centre national d’entraînement.
La FFT qui n’aime pas évoquer le sujet, se frotte aussi les mains à l’idée de tirer le maximum de profit du “Petit Jean-Bouin“. Un vrai joyau, cette petite enclave à la lisière du bois de Boulogne. Elle compte quatre courts de tennis placés juste en face de Roland-Garros. L’association explique dans un échange avec la commune de Paris qu’elle a prévu « de dédier les tennis du Bois de Boulogne à l’entraînement des meilleurs joueurs du tournoi sur le modèle de l’Aorangi Park de Wimbledon ». Pour être clair, elle commercialisera à prix fort le m2 à des sponsors qui seront heureux d’inviter leurs clients regarder Federer ou Nadal empoigner la raquette.
Jusqu’à 2010, pour faire ses opérations RP durant le tournoi, la Fédération louait à Boulogne-Billancourt cinq courts de tennis sur les terrains du club TCBB pour un montant de 170 000 euros selon nos informations. Grâce à la générosité du maire de Paris, les as de la fédération de tennis vont faire de belles économies. Les occupants de Jean-Bouin ne verseront en effet les deux années qui viennent que 40000 euros de redevance à Paris, 80 000 en 2014 et 2015 et 200 000 à partir de 2016, avec une petite part indexée sur le chiffre d’affaires.
Mais qui est donc le patron à Paris ? Bertrand ou les rois du sport business ?