Régis Debray a d’abord fréquenté de très grands bourgeois, des capitalistes comme Jacques Vergès, Fidel Castro, Che Guevara et Salvator Allende. C’est après une rencontre avec François Mitterrand, qu’il est devenu révolutionnaire. Jusqu’à travailler à l’écriture d’un ouvrage majeur, « La résolution dans l’irrésolution », hélas jamais achevé.
Toujours en rupture, en escalade avec sa rigueur mise à changer le monde, il a fini par partager le marxiste caviar des Badinter puis faire marche commune avec Dominique de Villepin qui est Saint Just. Ce n’était pas encore assez.
Le point G de la révolte Régis vient de l’atteindre en accédant à la salle de déjeuner de Drouant où siègent les Goncourt : le voilà juré d’un prix qui n’a pas de prix, le bonheur des marchands qui facilite la tâche des dames de province quand elles veulent faire cadeau d’un livre.
En se présentant au suffrage de cette machine à tresser le laurier, qui est à la littérature ce qu’Elisabeth Tessier est à la sociologie, l’éternel inconscient Debray n’a pas senti passer le frisson du suicide. Pourtant, cette fois, notre homme est mort. Même s’il bouge encore, pareil au canard courant alors qu’il a perdu la tête.
Suicidé ? C’est un peu fort ! Non, quand on sait qu’après De Gaulle et Elie Barnavi, le vrai maître de Régis était Julien Gracq, l’exemple de normalien qu’il a rêvé d’être. Et que ce dernier, auteur immense et homme exemplaire, a refusé le prix Goncourt en 1951 pour son « Rivage des Syrtes », et qu’il a écrit un pamphlet, « La littérature à l’estomac ». Ainsi il restera dans l’histoire qu’à force de faire des révolutions, tel une capsule spatiale, Régis a été fusillé de six ronds de serviette tirés par un peloton d’écrivains couchés dans leur mangeoire. On ne fait pas d’omelette sans casser l’œuf de la fidélité.
Depuis très longtemps, homme d’arrière plan, de fond d’écran, notre philosophe est à la recherche d’un père dont les épaules soient assez larges pour l’abriter. Le dernier était Julien Gracq, petit bonhomme dont l’ombre portée était si large qu’elle faisait office de bunker. Mais Louis Poirier est mort à 97 ans, ne laissant que larmes et regrets. Régis a été contraint de retrouver un modèle qui soit son tuteur et son paratonnerre. Il a rajeuni le domaine de l’extension de sa lutte en prenant la roue du Stéphane Hessel. Autre citoyen admirable et normalien lui aussi et qui n’a que 93 ans.
Alors que, naguère, dans un livre détestable intitulé « Un candide en Terre Sainte » l’ancien ami de Mitterrand ne trouvait que raison et qualité au régime d’Israël, le voilà sous la férule d’Hessel découvrant le terrible sort fait aux palestiniens. Belle surprise à 70 ans ! Le problème, avec le médiologue, est sa fragilité à tout virement de bord de la météo idéologique. Lui qui aime tant se renier, effacer son ardoise, jusqu’à éliminer de la liste de ses œuvres « Révolution dans la révolution » et à adhérer au jury du Goncourt. Que Lanzmann le séduise -bien qu’il ne soit pas normalien- et voilà le Régis nouveau devenu locataire d’un coin de colonie au-dessus d’Hébron…