Il était une époque où mieux valait « se méfier des fenêtres, du vent, des braguettes, des fentes, des brèches ». Ce temps-là, explique Marcela Iacub, juriste et chercheuse au CNRS, dans son dernier essai « Par le trou de la serrure » (éd. Fayard), était celui de feu l’article 330 du Code pénal de 1810, qui posait le délit d’outrage public à la pudeur…
« Pudeur », un mot, selon Marcela Iacub, tombé en désuétude au profit du sexe. Mais comment l’Etat (ou les juges, selon l’auteur, c’est tout un) a-t-il pu statuer sur le sexe, chose privée s’il en est ? L’essai, parfois rigolo quoique assez indigeste, retrace l’histoire jurisprudentielle intense de l’article 330 du Code pénal de 1810, qui instituait le délit d’outrage public à la pudeur.
« Outrage public à la pudeur ». L’Etat napoléonien, par cet article, avait fait le choix de couvrir d’un voile les choses du sexe, pour peu qu’elles se déroulent dans un lieu privé. Il avait donc érigé un « mur de la pudeur » afin d’éviter que la vie sexuelle de ses sujets, qui par ailleurs devait en principe être régie par les liens sacrés du mariage, ne vienne perturber l’ordre social. « Derrière mon mur, je fais ce qui me plaît » aurait pu être la devise des Français de l’époque. Mais voilà, l’Etat, ce grand inquisiteur, décida de ne pas se satisfaire de cet état des choses. Peu à peu, souligne Marcela Iacub, « les lieux publics s’infiltrèrent dans les lieux privés ». Et l’article 330 de punir les comportements sexuels s’ils avaient été vus, avec pour critère principal le consentement des spectateurs. Ainsi, en 1858, furent condamnés de jeunes hommes qui, après un dîner arrosé, s’enfermèrent avec plusieurs femmes pour s’adonner à des actes de libertinage. Les imprudents n’avaient pas pensé à boucher le trou de la serrure (comme on sait que la curiosité est un vilain défaut, on peut au moins s’interroger sur le non consentement de celui qui décide de regarder par le trou de la serrure).
Mais tant se déplace le mur de la pudeur qu’à la fin il se brise. Les lieux se libéralisèrent jusqu’à laisser place à l’espace public érotisé que l’on connaît. Certains endroits publics en vinrent même à se privatiser. Ainsi, ce couple enfermé dans les toilettes de la gare de Dijon afin de satisfaire ses amours, qui fut surpris par des passants qui pensaient venir au secours d’une femme malade, ne fut pas condamné en 1949, au motif que les personnes venues secourir la dame s’étaient « livrées à une véritable gymnastique » pour voir l’interdit.
Artistes, nudistes et « débauchés » menèrent une véritable fronde. Les uns, par la « guerre du nu » chaste ou non, obtinrent de mettre librement en scène le sexe, les autres purent organiser leur « débauche » dans des espaces prévus par la loi. Jusqu’au retrait pur et simple de toute notion de pudeur dans le Code pénal : en 1992, le délit d’outrage public à la pudeur disparut, remplacé par le nouvel article 222-32, punissant « l’exhibition sexuelle ».
En parallèle de la libéralisation de l’espace public et de la soi-disant libération sexuelle, souligne Marcela Iacub, les condamnations pour crimes et délits sexuels n’ont jamais été si nombreuses. Et de dénoncer vivement, avec le tranchant qui l’a fait connaître, l’acharnement des juges contre les exhibitionnistes et pervers sexuels. « La croyance populaire » veut que les délinquants sexuels ne puissent « que récidiver et commettre des crimes toujours plus atroces ». Ce qui a provoqué un alourdissement considérable des peines contre les exhibitionnistes ou pornographes, logés dorénavant à la même enseigne que les meurtriers violeurs d’enfants.
Marcela Iacub maîtrise parfaitement la recette qui a fait d’elle un auteur controversé. Même si la démonstration est un peu laborieuse, Par le trou de la serrure, comme précédemment L’empire du ventre et Le crime était presque sexuel, provoque… et instruit sur le vieux tabou du sexe.