Un grand merci à Philippe Val, le nouveau boss de France Inter, sans qui nul ne saurait choisir les « sources crédibles ».
Vétéran de l’ancien ORTF, et viré en Mai 68, j’ai connu le bonheur de travailler dans une radio, France Inter, où l’information circulait directement du producteur au consommateur. C’est-à-dire du bureau du ministère de l’Information à la sensible oreille de l’auditeur bien aimé. Jeune, mais quand même surpris par la méthode, j’ai vite quitté le terrain de l’information « lourde » pour m’exiler au paradis du théâtre et du ciné : Beckett, Godard, Régy, Lavelli, Arrabal, Pinter, Seyrig, Bouquet, Beck, Brook. Le placard avait un double fond ouvert au grand air, celui de la liberté.
Après des années d’avatars, tel le canard sans tête qui continue de courir, mais en zigzag, l’ancien ORTF avait fini par trouver une formule de laisse molle, de laisse à dérouleur, qui restait bâtarde avec, cependant, le seul avantage d’être moins pire que les radios-télés d’Etat de la veille.
Nicolas Sarkozy, qui aime tellement les journaux qu’il les fait diriger ou écrire par ses amis, a mis fin à ce statut de semi-liberté pour le remplacer par le boulet électronique. Modification de la procédure de nomination du PDG de ce nouvel ORTF : et c’est le président de la République qui nomme directement un pote. Voilà donc Jean-Luc Hees, couronné président de Radio France, qui a dès lors pour mission de nous expliquer que plus indépendant que lui serait mourir. En ce qui me concerne, dans une boîte, une association, une administration, je n’ai jamais vu nommé d’emblée le type compétent, mais toujours le pote qui a la meilleure gueule de courroie de transmission et nous celui au profil de vis sans fin.
Mais ce qui est plus rigolo dans ce style de nomination princière, même pas osée par De Gaulle, et qui conduit un type à diriger la radio-télé que nous payons tous, c’est l’arrivée à Inter de Philippe Val, un propriétaire de journal. Vous me direz que Le Nouvel Obs, en désignant directeur un Olivennes qui venait tout droit de chez Pinault, ce n’est pas donner le bon exemple…
Val est un chansonnier /animateur de MJC, qui à force de lire dans les gares, entre deux trains, deux bus, a fini par s’imaginer intellectuel. Pas un cerveau de Ligue Nationale, mais une tête de Première Ligue : Val a constaté qu’il est Spinoza et l’a fait savoir. Comme il gratouillait des petites blagues à Charlie Hebdo et que le journal avait un trou d’air de finance et de gouvernance, Val a racheté Charlie de conserve avec le dessinateur qui déteste le plus les gens du peuple : Cabu.
Voilà donc notre Philippe devenu propriétaire, patron de presse, homme d’affaires. Emporté par l’ambiance et le décor, comme ces cyclistes sur home-trainer qui se prennent pour l’Aigle de Tolède, Val a rêvé qu’il était devenu le maître étalon du journalisme. Parait même qu’il est allé voir son concurrent, en platine iridié, qui dort sous cloche au Pavillon de Breteuil… Donc, pour la première fois, France Inter, bonne radio de service public, est dirigée par un propriétaire de presse. C’est ça la « rupture ».
Installé à France Inter, où il a été nommé, ne l’oublions pas, par un ami lui-même élu par Nicolas Sarkozy, Val, au lieu de fermer sa gueule, se prend pour un Dos Passos qui aurait cumulé tous les prix Pulitzer ou Albert Londres, tous les World Press. Pour un reporter qui aurait pleuré et écrit sur les champs de bataille et déniché tous les scoops. Et sa nomination à France Inter ne serait que la très juste récompense d’un immense journaliste sentant la poudre, la sueur et la misère des autres, un journaliste ayant toujours réconforté les faibles et affligé les puissants. On s’étonne qu’Inter ait pu fonctionner jusque là sans Val. Pourquoi pas ? J’ai bien une chatte qui se prend pour Marilyn.
Ce qui est un peu con et malhabile, c’est que Val, hyper journaliste, comme le maître de son pdg, se met d’entrée à dévoiler sa stratégie, à annoncer le programme. Un exemple quand il déclare au Parisien/Aujourd’hui en France : « on ne peut pas traiter de la même façon le site Internet Bakchich et celui du « Parisien », celui du « Monde ». On est là pour donner aux gens le goût des meilleures sources possibles ». Ainsi ce Val qui coule de source nous explique ce qu’il faut croire. Ce qui est normal puisqu’il a été nommé pour ça. Mais c’est courageux de l’avouer.
Merci Philippe, ton baromètre du vrai nous fera gagner du temps : il suffira de connaître la liste de tes « sources crédibles », labellisées Val, par toi l’ami de l’élu du président de la République, l’ami de Carla, pour aller s’informer ailleurs. Quand on a accepté le jeu du prince, celui de recevoir son Saint Chrême, d’être oint de sa main, on place, par cette soumission à la nouvelle norme, sa liberté au Mont-de-Piété. Et on gagne le droit de fermer sa gueule, de ne plus dire un mot du bien et du mal, de prononcer le mot liberté.
A lire ou relire sur Bakchich.info
Bonjour, Jacques-Marie,
Article riche en enseignements et en mots aussi bons que profonds pour certains.
Tout régime de nature autocratique (ou voulant le devenir) nourrit malheureusement, mais naturellement, des Philippe Val qui sont la plaie purulente du journalisme et la maladie infectieuse de la liberté de l’information.
Le problème le plus ennuyeux- pour Philippe Val- est que, si sa soumission au Président actuel de la France est une évidence pour quiconque pense (même un peu ou a minima), cette France n’est plus celle de 1964.
Elle est même au bord de l’explosion sociale éruptive qui pourrait- en passant sur l’Elysée et le gouvernement qui lui est inféodé- laisser Philippe Val sans travail, réduit à l’état pitoyable d’ancien serviteur de l’ancien régime, ce qui ne lui offrira un avenir nulle part.
Pourvu donc- pour cet étalon- millimètre- ou mini-maître- de la pensée que le pays n’explose pas bientôt de colère sociale longtemps contenue, que l’on sent partout en France et dans les milieux les plus divers.
Bien amicalement à vous
un peu d’ethymologie (signification des mots/noms)
Au sens originel du terme, un laquais est un valet portant livrée aux armes de son maître.
Apparu dans la langue française aux environs de 1450-1470, avec quelques variantes orthographiques à ses débuts, ce mot, d’origine inconnue, a subi divers glissements sémantiques, tous dans un sens péjoratif, et ce dès la première moitié du XVIIIe siècle (expression « mentir comme un laquais »), voire auparavant.
Le sens élargi de « personne servile » (c’est-à-dire manifestant une soumission avilissante et quasi-masochiste à autrui, indigne d’un homme libre), est probablement apparu vers la même époque.