À l’heure de tourner la page, notre journaliste politique Louis Cabanes revient – avec humour, comme de bien entendu – sur ses années à Bakchich.
Journaliste politique. Un titre de noblesse usurpé qui, sur les étagères de la modernité, me classe au rang des chirurgiens dentistes, opérateurs back-office ou concepteurs en architecture d’intérieur. Et fait rêver, qui plus est, ma propriétaire, ma Mémé et une amourette ratée. Ce qui n’a pas de prix. Car, pour elles, la conférence de rédaction, c’est encore un romantique Panthéon (« Entre ici, Louis Cabanes »). Un lieu où souffle l’esprit, tous unis pour secouer en riant le prunier bleu de l’actualité. Pour qu’il en tombe des prunes rouges qui enivrent les lèvres de nos fidèles lecteurs.
En cela, Bakchich a été mon jardin secret. D’où sont nées des curiosités, d’enquête et de ton, sitôt déracinées. Quel malin plaisir y ai-je pris ! L’hebdo, c’était mon galop pour la pensée. Et le site, un rallye auto. Fouetté à la cravache par « l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace » ! Mais, comme Danton, notre tête va rouler dans la sciure des vieux os de la presse. Après avoir planté des échardes dans quelques pieds, des talonnettes de Sarko aux pattes d’eph’ des socialistes et chaussures Richelieu d’affairistes qui sentent l’encaustique des parquets cirés. Et j’en passe.
Pourquoi je vous dis tout ça ? Car le journalisme politique, on s’y lance armé de ses seuls sens, à l’instinct. Contrit de déontologie, certes, il en faut bien, mais toujours nu comme un ver. Au fil des mois, on observe chez ses confrères la multitude de comportements d’une faune abondante. Il y a les lèche-cul, les pédants, les poseurs, les faux savants, les savants, les agressifs, les réservés et les chuchoteurs. Dans ma Cabanes familiale au fond du jardin, journalisme et politique n’ont toujours fait qu’un. L’un servait l’autre, comme la faucille, le marteau, ou Alain Minc, Nicolas Sarkozy. C’est comme ça, chez nous, on a toujours préféré une France rouge à une France qui rougit. Mais l’Huma, ce n’est pas ma boîte d’allumettes. L’aventure Bakchich a été ma poudre d’escampette. Sans carte de visite, sans notes de frais, sans portable professionnel et avec, au départ, une seule carte de presse dans la tête. Amplement suffisant !
Pour obtenir ses infos, il y a les meilleurs horaires, comme pour les cachetons : au petit dej’ – plus opulent à l’UMP qu’à Solferino –, à midi – quand ce n’est pas trop cher – et, pour les confidences, au souper. Mais, en politique, comme ailleurs, les tonneaux vides sont ceux qui font le plus de bruit. Et c’est un véritable travail d’orpailleur que de passer au tamis le fumet tiède des pensées d’où s’extrait, après multiples lavages, un grain de sel d’information. Qui, selon la saison et la renommée du parolier, se noirciront à l’encre des rotatives, car il faut bien vendre ! Dans notre jargon, on appelle ça des « marronniers ». Un sujet qui donne invariablement le même fruit. Pourri. Dans mes jumelles de matelot naufragé, j’en vois deux pour 2011 : le retour ou non de DSK et Marine Le Pen, coiffée en sainte Catherine, mi-fashion mi-facho. À Bakchich, nos oies déplumées nous mènent la vie dure à la barre des tribunaux : Philippe Val, Éric Besson, Dédé Santini, David Douillet ou le sérénissime Albert II de Monaco.
Espérons que Nanard, qui a si bien dit « pourquoi acheter un journal quand on peut acheter un journaliste ? » me sauve de ces eaux. Tapie, je suis tout à toi désormais !