Google News, Wikio… La consommation d’info en ligne accroît le rôle des intermédiaires entre les médias et les internautes. On a voulu en savoir plus avec le chercheur Nikos Smyrnaios.
Nikos Smyrnaios est maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’université de Toulouse 3, où il travaille dans le Laboratoire d’études et de recherches appliquées en sciences sociales (Lerass). Sa thèse en 2005 portait sur les modèles de l’information en ligne.
- Que sont les infomédiaires ?
Les infomédiaires sont des intermédiaires qui établissent une relation entre une offre d’information diversifiée et une demande éclatée. Au départ, au début des années 1980, le terme a été utilisé pour parler de l’informatisation de la société. Le concept a été repris aux États-Unis puis en Europe pour designer le métier de courtier en information, sur le modèle de l’intermédiation professionnelle de la presse classique (vente de revues de presse, diffusion, argus…). A la fin des années 1990, des chercheurs de Harvard l’ont appliqué au net.
Aujourd’hui les infomédiaires du web assurent une fonction qui consiste à extraire et classer des contenus d’actualité particulièrement nombreux et dispersés afin de proposer aux internautes une information à la fois exhaustive et personnalisable. De ce point de vue l’infomédiation est une réponse à l’individualisation de la consommation d’information.
- Qui sont les principaux infomédiaires sur le web ?
En France, on a eu le cas particulier de Net2One créé par Jérémie Berrebi (1999), qui se proposait de recenser et d’indexer tous les sites d’information en reproduisant les titres des articles sous forme de liens. Au début, ce service était disponible par mail. Les éditeurs ont été très mécontents. Net2One est devenu un site payant puis a été racheté par Presse+. C’était un acteur qui n’était pas assez puissant, mais il a lancé un truc… D’ailleurs, l’avocat de Net2One, Yoram Elkaïm, est devenu le conseil juridique de Google pour l’Europe.
Après Net2One arrive Google et Google News, en 2002. Un infomédiaire typique, car il va au-delà de la recherche d’information : organisation des articles, création de "unes", tout ça automatiquement. Mais à l’époque, même Médiamétrie s’étonnait que le Geste (Groupement des éditeurs de services en ligne) s’inquiète des statistiques de Google News, qui étaient marginales. Aujourd’hui, Google News devance Le Monde et Le Figaro…
La France a une place importante dans l’infomédiation, avec d’autres projets comme Wikio, de Pierre Chappaz, un acteur très innovant, présent dans plusieurs pays. Lui aussi, il offre des accès aux lecteurs sans héberger l’information. D’autres acteurs plus récents existent comme PaperBlog, qui héberge l’information mais seulement en provenance des blogs, ou Fuzz.fr, une forme d’infomédiation participative.
- Existe-t-il une spécificité française par rapport à ces infomédiaires ?
En France, Google a une position dominante, beaucoup plus qu’aux USA : 90% des recherches passent par Google contre seulement 70% aux Etats-Unis, où le marché est plus grand, plus diversifié. La situation est similaire dans toute l’Europe, où les éditeurs n’ont pas apprécié que Google News débarque en disant : "je prends votre contenu sans concertation". D’où des répliques de pays comme la Belgique, l’Italie, la Grande-Bretagne et les pays scandinaves contre les pratiques de "deep linking", les liens "profonds", qui renvoient directement aux articles de presse sur le net en reprenant du contenu sans autorisation.
Avec Google News, il y a deux aspects. D’abord les droits d’auteur : les éditeurs estiment qu’on ne peut pas tout faire avec un titre, un châpo, sans demander. Ensuite, il y a le partage des revenus. Les contenus génèrent du trafic, de l’audience, donc des recettes publicitaires. On note qu’il n’y a pas actuellement de pub sur Google News, ce qui correspond à un équilibre précaire des relations avec les éditeurs. Mais en même temps, Google s’impose sur le marché de la pub et tire les prix vers le bas avec les liens sponsorisés.
- L’infomédiation est-elle nécessairement un business ?
L’infomédiation peut s’inscrire dans un contexte marchand, mais pas forcément. Partager des liens sur un réseau social est également une forme d’infomédiation. Avec Twitter par exemple, la démarche des utilisateurs qui sélectionnent et rediffusent des liens n’est pas encore de gagner de l’argent directement, mais de la notoriété ou de la crédibilité. On peut aussi citer les communautés peer-to-peer : la plateforme eMule est aussi un infomédiaire, non marchand. Ou encore un site comme aaaliens.com, animé par une communauté d’internautes aguerris, qui propose un partage de liens.
Lorsqu’un infomédiaire compte énormément d’utilisateurs, cela engendre nécessairement des coûts (hébergement, serveurs) et on arrive à un modèle financé soit par les dons, comme Wikipedia, soit par la pub. Mais ce qui m’a intéressé, c’est justement qu’internet propose une cohabitation de modèles, qui s’articulent de manière complexe, avec des outils marchands et non marchands. Après, des acteurs ont intérêt à occuper certaines fonctions, mais ce n’est pas exclusif.
- Les internautes pèsent-ils dans les processus d’infomédiation ?
Pour Google News, on sait que les clics ont une influence sur la hiérarchisation des sources. Le discours de Google est de dire : "on est neutre, on est objectif, nous sommes des ingénieurs". Mais progressivement, Google News s’adapte au monde médiatique pour satisfaire le public et les éditeurs. Il y a donc une prime aux médias reconnus. Cela dit, il existe quand même des centaines de sources d’information alternatives sur Google News.
Pour lutter contre la standardisation, Google dit qu’il essaye de donner une prime à l’original reporting, au reportage. Comment traduire la curiosité et des logiques sociales dans un algorithme ? C’est tout le problème.
Par ailleurs, une demande constante des éditeurs est de donner accès via Google News aux articles payants, ce qui a commencé. Mais les gens ont tendance à aller aux articles par des liens profonds, et s’arrêtent au "mur du payant". Selon l’étude State of the Media 2009, on constate que de plus en plus la consultation d’articles se fait à l’unité ; le critère n’est plus la source, mais d’avoir une information rapidement : c’est l’usage majeur des infomédiaires.
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