L’avalanche de réactions suscitées par mon « coup de boule » sur Philippe Val me contraint à une mise aux poings historique, à l’attention des jeunes générations. Lesquelles se demandent – parfois avec raison – pourquoi ces bisbilles de cours de récréation quand gronde l’orage sarkoziste. Alors faisons un peu d’histoire en abandonnant pour une fois le second degré.
Prolongeant le succès du mensuel « bête et méchant » Hara-Kiri, l’hebdo Hara-Kiri devenu Charlie-Hebdo en novembre 1970 à la mort de De Gaulle suite au fameux « bal tragique à Colombey », réunissait la plus formidable panoplie de talents satiriques, autour du tandem de vrais potes Cavanna-Professeur Choron. On y trouvait – excusez du peu –, les noms de Reiser, Gébé, Cabu, Willem, Wolinski, Fournier, Isabelle Cabut, DDT, rejoints plus tard, dans le milieu des années 1970 par Siné, Manchette, Berroyer, Sylvie Caster, Arthur, Nicoulaud, Soulas, Carali et autres puis Coluche et Desproges. Que du beau monde ! (Sauf Arthur).
Mais cet hebdo irrévérencieux qui tapait tous azimuts, gauche et droite confondues, avec l’humour pour seul viatique, qui vendait 150 000 exemplaires en 1974, à la mort de Pompidou, qui avait déblayé le terrain pour Mitterrand, (un moindre mal), a perdu ses lecteurs en 1981 pour tomber à 30 000 exemplaires.
Voulant épargner son mensuel, Choron, qui nous payait malgré dettes et procès, a mis fin à l’hebdo, ce qui donna lieu à la plus belle émission télé-alcoolisée de TF1 (« Droit de Réponse » de Polac).
En 1990, une relance fut tentée par un éditeur courageux, Jean-Cyrille Godefroy : La Grosse Bertha, titre inventé par Gébé, à la veille de la guerre du Golfe. On y trouvait de nouvelles signatures, Lefred-Thouron, JJ Péroni, Frédo, Kafka, quelques anciens de Charlie et un chansonnier en rupture de MJC, le dénommé Philippe Val, complice de Patrick Font.
A la surprise générale, dont la mienne, PV ne tarda pas à prendre le pouvoir, se faire nommer « rédacteur en chef » d’une équipe de libertaires ( !) et imposer une « ligne » avant, n’y arrivant pas, de quitter la Grosse pour relancer Charlie avec l’aide du chanteur Renaud.
C’est de là que date la véritable scission de l’internationale satirique et – au-delà des querelles idéologiques –, c’est ce que l’on peut reprocher le plus à Val : avoir séparé une bande de copains sans hiérarchie, rigolards, pour en arriver aux procès où le pauvre Choron – qui voulait garder son titre de « Charlie » – fut traité d’escroc par l’avocat de son ami Cavanna, alors qu’il avait nourri toute la bande pendant plus de vingt ans ! Choron tenta de relancer ensuite Hara-Kiri Hebdo avec sa bande (dont Vuillemin et Berroyer) mais en vain. Les soutiens médiatiques étaient de l’autre côté.
Pendant ce temps, à Charlie, Val multipliait les exclusions et encourageait les départs sous les yeux complices de Cabu et indifférents de Cavanna. La liste est longue : Lefred-Thouron, Boujut, Fajardie, Corcuff, Camé, Cyran et j’en oublie. Ayant connu Val à la Grosse, j’avais décliné l’offre de Gébé de rejoindre Charlie et DDT puis Caster ont fait long feu. Val était enfin le seul maître à bord, avec ses éditos bobos dans le vent socialo, pénibles digressions moralisatrices et sans humour truffées de citations. Voilà pourquoi Charlie n’est plus Charlie et pourquoi les anciens lecteurs ne le lisent plus. Les jeunes ignorant l’histoire ne peuvent pas savoir. Bénis soient-ils !
Internautes, à vos tomblons : feu à volonté ! J’ai le cuir épais ! Mais au moins vous êtes informés. Quant à Val, promis : plus jamais ça ! Je tire la chasse.
Tout cela est triste. C’est bien vrai, désormais, je prends plus de plaisir à lire le Nouvel Observateur … non, tout de même, n’exagérons rien … disons, Téléstar (il y a moins de pub que dans le Nouvel Observateur), que Charlie Hebdo.
Ah, l’éditorial aussi hebdomadaire que pédantesque de Philippe Val, quel délice ! Lieux communs prudhommesques, citations mal entendues, reflexions digestives, stérilité boursoufflée, quelle beauté ! Un prix Goncourt, de l’Académie française ou Nobel, ou tout ce qu’il plairait à vos charmes, pour ce charmant jeune homme, vite, ça urge ! Qu’on le panthéonise fissa, de son vivant, je connais un marbrier pas cher, qui nous fera ça très bien !
Cet étalage complaisant d’une culture puisée dans les plus belles pages du Lagarde et Michard, du Larousse de poche (illustré !), et de Wikipedia ! Et toute cette cascade de livres, "de la Pléiade", s’il vous plait - car M. Val n’achète pas, comme un vulgaire prolétaire, ou un étudiant loqueteux, des bouquins dans la collection Folio ou du Livre de Poche, non merci, c’est pour les pauvres cela, ceux qui traînent leur guêtres racornies et leur manches élimées chez Gibert (Jeune), en faisant des cornes aux pages, en cachette, pour avoir une remise de 4 % (pauvres diables !) - , de cette Pléiade au sein de laquelle la postérité lui a réservé une place, au premier rang, entre Jodelle et du Bellay, Roux et Combalusier, Jacob et Delafon, Luc Ferry et Bernard Henri Lévy (nous rappelons que Bernard, Henri et Lévy constituent une trio de choix pour animer vos fins de banquet) ! J’aime Philippe Val, depuis si longtemps, que l’on ne sait même plus ce que je faisais avant. Sans doute divaguais-je, à la recherche d’une idole. C’est dire.
Pourquoi tirer sur M. Val ? Après tout, si on le considère comme l’un de ces intellectuels organiques de la bourgeoisie qui partout foisonnent (notamment sur les plateaux télévisés, qui sont friands de ces évanescences conceptuelles), nous pouvons nous réjouir : la pensée insignifiante de ce trublion conformiste signifie heureusement la déchéance dans laquelle est tombée notre glorieuse et multiséculaire bourgeoisie.
Oui, je sais, on se console comme on peu.
Du reste, je l’avoue, je suis jaloux de M. Val ; non pas de son talent d’écrivain ou de penseur (car on est rarement envieux de ce que les autres ne possèdent pas), mais bel et bien parce que le paradis lui est promis. Car l’Evangile (qui vaut bien un éditorial de M. Val pour ses vertus analgésiques) ne dit-il pas : "heureux les simples d’esprit, les cieux leurs sont ouverts" ? Et c’est tant mieux, il y retrouvera Ingrid Betancourt. Moi, j’irai en enfer avec Siné. On a les fréquentations que l’on peut.