Voilà un livre qui ne va pas arranger l’image des politiques et des médias dans l’opinion publique. « L’info-pouvoir, manipulation de l’opinion sous la Ve République », de Jean-Pierre Bédéi, publié en février 2008 (Actes Sud), retrace avec précision les tumultueuses relations des journalistes et du pouvoir qui se sont, l’ouvrage le montre, souvent construites au détriment de l’information et du citoyen.
A la fois historien et journaliste, Jean-Pierre Bédéi a enfilé ses deux casquettes pour remonter aux origines de la Ve République et dresser, à travers des archives inédites et des interviews exclusives, une petite histoire de la manipulation de l’opinion. Et il porte la plume là où ça fait mal.
Depuis de Gaulle jusqu’à Sarkozy, l’auteur réaffirme, pour tous ceux qui en doutaient encore, que tous les gouvernements sans exception, qu’ils soient de gauche ou de droite, ont manipulé l’opinion à des fins personnelles. Parfois contre les journalistes, mais il faut bien l’admettre, bien souvent avec eux. « La dissimulation est le savoir des rois », disait Richelieu. Les présidents de la Ve République l’ont bien compris.
Guerre d’Algérie, Mai 68, maladies des présidents Pompidou et Mitterrand, Tchernobyl, tragédie d’Ouvéa… Autant d’occasion pour le pouvoir en place de vouloir contrôler l’information. Émissions censurées (sur l’ORTF, la « voix de la France » selon de Gaulle, même les émissions de divertissement de Pierre Bellemare ont subi des pressions politiques), mensonges d’État ( la maladie gravissime de Pompidou fut présentée jusqu’au dernier moment comme une grippe), suspension de la liberté de la presse (lors de la tragédie d’Ouvéa, les journalistes n’ont pas pu circuler librement en Nouvelle-Calédonie pendant deux semaines). Les exemples se comptent par centaines.
Et ce fut d’autant plus facile pour les hommes politiques qu’ils ont toujours mis beaucoup d’énergie à tisser des liens très forts avec le monde médiatique. Ainsi, en 1993, alors que Jean-Pierre Elkabbach vient d’être nommé à la tête de France Télévisions, l’attaché de presse de Matignon se fend d’une jolie note exhumée par l’auteur des archives de Pierre Louette (alors au cabinet du Premier ministre Edouard Balladur, qui deviendra en 2005 président de l’AFP), à destination du bon Elkabbach : « En politique, à aucun prix : Jean-Luc Mano, Rachid Arab [sic], Olivier Lerner. A l’intérieur, Arlette Chabot est très bien [chef du service politique], ne surtout pas la mettre dans un placard car elle retournerai [sic] à TF1. Éventuellement à engager : Philippe Reinhart, le PM lui a promis. Philippe Séguillon. En économie, le chef du service éco Véronique Auger est nulle ».
Un exemple édifiant, et très révélateur des pratiques qui ont cours encore aujourd’hui. Que dire de la nomination de Laurent Solly (ancien co-directeur de campagne de Nicolas Sarkozy) à la direction générale de TF1, annoncée qui plus est par l’Elysée, quand on connaît la proximité du président et de Martin Bouygues ? Et l’auteur de multiplier des exemples tout aussi saisissants sur les liaisons dangereuses qu’entretiennent les médias avec le pouvoir.
Un chapitre passionnant revient sur le rôle parfois trouble qu’ont pu jouer les instituts de sondages. Avoir à la fois comme clients des hommes politiques et des organes de presse, tout en fonctionnant avec les objectifs de profits d’une entreprise privée relève parfois du funambulisme déontologique. Michel Brulé, ancien directeur-fondateur de l’institut BVA explique à l’auteur : « Lorsque vous êtes titulaire de contrats avec les pouvoirs publics, tels l’Elysée, Matignon ou tel ou tel ministère qui ont acheté énormément de sondages depuis les années 1980, vous êtes dans une situation délicate si un média vous demande une enquête et que celle-ci est néfaste pour votre client. Lorsque les chiffres sont très critiques pour votre autre client de l’Élysée ou de tel ou tel ministère, on essaie de vous tordre le bras en vous signifiant qu’ils n’apprécieraient pas que tel ou tel chiffre soit publié ou soit continué à l’être. Ça m’est souvent arrivé ».
Plus loin, l’auteur, revient sur le rôle de la communication politique qui n’a cessé de croître pour atteindre son paroxysme avec le président actuel. Le Monde avait ainsi révélé que lors de la campagne, l’UMP avait engagé ETC, une entreprise privée, pour filmer les meetings de son candidat. L’objectif étant de réaliser les meilleures images, et de les proposer ensuite gratuitement aux grandes chaînes. Ce qu’elles ont fait sans rechigner. Finalement, à lire ce livre, l’info-pouvoir est toujours une réalité aujourd’hui. Les choses ont changé, mais bien plus sur la forme que sur le fond. « Un jour, qu’au conseil des ministres, quelqu’un parlait de la presse d’opposition…’Il n’y en a pas d’autres’, interrompit de Gaulle ». Une phrase qu’on retrouverait volontiers dans la bouche de Nicolas Sarkozy.
En décryptant les mécanismes de transmission de l’information dans ce qu’ils ont de plus pervers, Jean-Pierre Bédéi appelle les politiques à la prudence, les journalistes à la remise en question, et les citoyens à la vigilance. Voila un ouvrage essentiel pour comprendre le panurgisme qui frappe parfois les médias et le cynisme qui va souvent avec le pouvoir.
Malheureusement (ou pas), Nicolas Sarkozy avait lu ce livre avant même qu’il ne soit écrit.
Voir la vidéo de Bakchich sur le sujet
Malheureusement, ce livre ne fait que confirmer ce qu’on supposait déjà, à défaut de connaître !
Ce qui est aussi malheureux, c’est que, dans les démocraties, on ne découvre en général les "choses" que lorsque c’est … trop tard (Meurtre de Ben Barka, par exemple) !
Sans aucun doute : "dans les démocraties, on ne découvre en général les "choses" que lorsque c’est … trop tard"…. Mais on les découvre, finalement ! Dans les dictatures, on ne les découvre jamais… Pas même en retard… !
Saluons le courage de JEAN PIERRE BEDEI qui a osé nous éclairer sur tout cela, malgré les pressions que l’on peu supposer énorme !
Gageons que les "marketeurs politiques" et autres sondeurs parti prenante dans le jeu politique (cf : Pierre Giacometti patron de boite et ami de Nicolas Sarkozy), auront encore plus de mal à nous berner après cette lecture, pour quérir nos suffrages.
Salut à tous, et bravo pour votre nouveau média.
Juste un petit mot pour vous dire à quel point j’apprécierais que, dans vos colonnes, les auteurs fassent preuve d’un tant soit peu de connaissance de la langue française. Certes, nous n’en sommes pas au langage SMS, mais tout de même, des passages comme "tous les gouvernement sans exception, qu’ils soit de gauche ou de droite", "même les émissions de divertissement de Pierre Bellemare ont subit des pressions politiques", "des exemples tout aussi saisissant" n’ont pas leur place dans une publication de qualité. Pour avoir moi-même travaillé dans la "grande presse parisienne", je demeure attaché à l’idée que des correcteurs, puis des réviseurs, relisent la copie des journalistes, ne serait-ce que parce que, comme on di(sai)t dans le métier, "le diable est dans le BAT" —Bon à tirer, NDR. Certes, les modèles d’aujourd’hui, comme la presse en ligne, ne font plus guère appel au moindre BAT. Certes, les économies qui découlent de la suppression de cette étape sont peut-être celles-là mêmes qui permettent de faire vivre une rédaction sans beaucoup de ressources. Mais ce type de "coquilles" m’écorche les yeux, autant que la cervelle et sachez que, pour ma part, j’ai beaucoup de mal à m’y faire et je ne dois pas être le seul. N’oublions donc pas que le rôle d’un journaliste ne se réduit pas à l’investigation mais s’étend bien à la rédaction. Car comme le disait un illustre penseur, "ce qui se conçoit bien s’énonce clairement…". Loin de moi l’idée de jouer les donneurs de leçons, mais souvenez-vous, chers collègues, que la crédibilité du fond tient pour beaucoup à la forme, tant du point de vue de l’investigation elle-même que de la rédaction du papier qui en découle. C’est précisément la raison pour laquelle la bonne tenue de l’une, comme de l’autre, constitue un préalable indispensable à l’existence d’une presse de qualité, crédible autant que lisible.
Merci de votre attention et sans rancune aucune,
S.A.