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Rupert Murdoch, magnat des médias et suppôt des néo-conservateurs

Portrait / samedi 3 mai 2008 par Doug Ireland
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On ne présente plus Rupert Murdoch. L’homme est à la tête d’un empire médiatique qui sert avant tout son idéologie ultra-conservatrice. Prochaine cible de ce prédateur hors pair : le vénérable New York Times qui bat de l’aile. Du coup, c’est tout le paysage médiatique américain qui risque d’être chamboulé.

Quand le multimilliardaire Rupert Murdoch parle, les journalistes tremblent. Et la diversité de la presse écrite aux Etats-Unis a pris un coup de plus sur la cafetière avec l’annonce, le 24 avril dernier, d’un accord verbal pour l’achat à hauteur de 580 millions de dollars du prestigieux quotidien Newsday par Murdoch. L’homme contrôle déjà un empire médiatique estimé à 60 milliards de dollars. Deux jours plus tôt, Marcus Brauchli, le directeur de la rédaction du grand quotidien le Wall Street Journal, que Murdoch a avalé en juillet 2007 pour 5 milliards de dollars, a été limogé avec fracas. Un événement que le très sérieux magazine Columbia Journalism Review (chien de garde de la déontologie journalistique publié par l’université de Columbia) a qualifié de « début de la fin de ce qui a fait du Wall Street Journal un quotidien exceptionnel ».

Que mijote Murdoch ? Son achat du Wall Street Journal (un peu plus de deux millions d’exemplaires par jour) n’est ni plus ni moins ce que le magazine Newsweek en date du 19 avril décrit comme « une déclaration de guerre formelle contre la plus vénérable institution du journalisme américain, le New York Times ». Et c’est effectivement l’intention de Rupert Murdoch qui a mis au point une stratégie d’étouffement publicitaire du New York Times pour mettre la main dessus à terme et à moindre coût. Il faut savoir que Newsday – la dernière acquisition de Murdoch - est un quotidien de qualité couvert de plusieurs prix Pulitzer et dont les 448 000 lecteurs vivent dans les banlieues aisées de Long Island, à l’est de New York City. C’est également dans ces banlieues que le New York Times réalise une part importante de ses ventes. D’où l’intérêt pour Murdoch de capter des lecteurs et des annonceurs du Times par l’intermédiaire de Newsday et du Wall Street Journal. Cette « guerre des journaux » survient au moment où le New York Times traverse une mauvaise passe : sa distribution a chuté de 3,9 % ces six derniers mois et, pour le premier trimestre 2008, le quotidien a annoncé une perte de 335 000 dollars. Une dégringolade pour le « quotidien de référence » des Etats-Unis qui, au premier trimestre 2007, affichait encore un profit de 24 millions de dollars.

En s’emparant du Wall Street Journal et de Newsday, Murdoch a un peu plus consolidé son emprise sur les médias et sur le débat politique aux Etats-Unis. Il possède déjà le studio hollywoodien Twentieth Century Fox, la chaîne de télévision Fox et 35 télévisions locales qui, ensemble, touchent 40% du pays. Ce à quoi il faut ajouter la chaîne National Geographic, 19 chaînes régionales consacrées au sport et la chaîne câblée d’infos Fox News. Cette dernière, véritable outil de propagande ultra-conservateur, a dépassé en 2002 les audiences de CNN et reste aujourd’hui la n°1 en nombre de téléspectateurs. Selon le magazine Business Week, « à tout moment, au moins un foyer américain sur cinq regarde une émission produite ou livrée par NewsCorp » la holding de Rupert Murdoch. Ce papivore est aussi le patron de 177 quotidiens à travers le monde, y compris en Royaume-Uni, où il possède l’hebdo au plus fort tirage du pays, The Sun. Sans oublier le Times de Londres, le Times du dimanche et le tabloïd trash News of the World. Murdoch est aussi bien implanté sur le Net depuis le rachat en 2005 du très populaire réseau de « networking » social MySpace (108 millions d’internautes inscrits) et devrait renforcer sa présence grâce au puissant partenariat qui vient d’êtreagréé entre MySpace, Microsoft et Yahoo (Forbes du 10 avril).

Et Rupert Murdoch qui est un conservateur pur et dur n’hésite pas à instrumentaliser son empire médiatique pour tirer l’Amérique vers la droite. Sans surprise, il a apporté un soutien sans failles à George W. Bush qu’il a loué comme « un homme de grande moralité et d’humilité profonde ». Pour Murdoch, ses titres de presse sont autant d’armes destinées à servir ses points de vue ultra-conservateurs comme ses intérêts commerciaux. Aussi bien dans les colonnes de « news » que dans les éditoriaux de ses médias.

Murdoch est originaire d’Australie et a bâti son empire médiatique à partir de deux quotidiens hérités de son père, Sir Keith Murdoch. Quand il est devenu citoyen des Etats-Unis pour contourner les lois américaines interdisant à un étranger de posséder des chaînes de télévision, il avait déjà acheté le New York Post, fondé en 1803, qui avait alors la réputation d’être le quotidien le plus progressiste des Etats-Unis. Hélas, Murdoch en a fait un journal à sensations et de combat conservateur calqué sur ses quotidiens australiens où les politiques que Murdoch n’aimait pas étaient flingués régulièrement dans ses colonnes via des « reportages » souvent douteux. En enflammant de façon ignoble les tensions raciales, surtout entre les communautés juive et noire, le New York Post de Murdoch, sous la direction de rédacteurs-guerriers importés d’Australie, a joué un rôle clef dans l’élection de Rudy Giuliani, le premier maire républicain de New York City depuis des lustres qui a basé sa campagne sur l’hystérie sécuritaire. Notons au passage que par la suite Giuliani, qui sait remercier ses amis, a accordé une exonération d’impôts de 20 millions de dollars à Murdoch pour la construction du luxueux QG de son empire à New York. Quant au New York Post, il vend aujourd’hui à 702 488 exemplaires par jour.

Lorsque Rupert Murdoch a lancé la chaîne d’infos en continu Fox News en 1996, il a choisi, pour la créer et la diriger, le très conservateur Roger Ailes, ancien publicitaire et stratège médiatique pugnace de Richard Nixon, Ronald Reagan et de George Bush père. L’homme est en outre connu aux Etats-Unis pour avoir été l’auteur de spots publicitaires républicains maniant les peurs raciales. Sur Fox News, déjà disponible pour 85 millions de téléspectateurs américains et dans 55 pays du monde, les commentateurs et présentateurs de « news » n’arrêtent pas de tirer à boulets rouge sur le Parti Démocrate, sur « la menace de l’ultragauche » et sur les prétendus « ennemis » de l’Amérique (l’islamophobie y est galopante). Et assure la promotion des « valeurs familiales », les homosexuels et les supporteurs du droit à l’avortement constituant des cibles privilégiées.

Le soutien à la guerre en Irak dans ses reportages souvent sans fondement y est également notoire et, comme l’a si bien dit la correspondante respectée de CNN, Christiane Amanpour, Fox News a « crée un climat de peur et d’autocensure » en Irak. Une accusation à laquelle le directeur de la chaîne de Murdoch a répondu par la raillerie suivante : « c’est mieux d’être vu comme un soldat de George Bush que comme un porte-parole d’Al Qaida » ! Dans ce contexte, inutile de préciser que les 175 quotidiens de Murdoch ont eux aussi soutenu mordicus la guerre en Irak. Un malheur n’arrivant jamais seul, avec ses énormes succès d’Audimat, Fox News a tiré les autres chaînes d’info, notamment CNN et MSNBC, vers la droite dans la chasse aux téléspectateurs. Dernier exemple de ce phénomène : CNN vient d’embaucher comme présentateur Tony Snow qui a obtenu ses galons d’homme de télé chez Fox News avant de devenir le porte-parole à la Maison Blanche de George W. Bush…

Murdoch a aussi largement contribué a la montée en puissance des néo-conservateurs en les dotant en 1995 de leur propre hebdomadaire, le Weekly Standard. Depuis, cette publication n’a eu de cesse de militer pour une guerre contre l’Irak et réclame aujourd’hui une attaque contre l’Iran. Son influence dans le Washington de George W. Bush et dans les médias dépasse de loin ses 60 000 exemplaires. Même le vénérable New York Times, « the good old grey lady » (la bonne vielle dame aux cheveux gris ) comme on l’a affectueusement surnommé, a embauché comme chroniquer Bill Kristol, redacteur-en-chef du Weekly Standard. Son influence est la raison pour laquelle Rupert Murdoch continue de financer cet hebdomadaire pourtant dans le rouge.

Bien qu’il se soit toujours autoproclamé anticommuniste primaire, Murdoch n’en est pas moins un partenaire loyal de la République Populaire de Chine. Selon le magazine Time, il a été « ensorcelé par la Chine au début des années 90 ». Et ça se voit. La chaîne d’Etat chinoise CCTV est le partenaire des télévisions de Murdoch et partage ses contenus. Qu’importe que la CCTV soit un organe de propagande de Pékin ! Murdoch a même poussé le bouchon jusqu’à exclure la BBC de Star TV, son bouquet chinois, arguant du fait que la BBC « a inutilement attaqué la Chine en repassant en boucle des images du massacre de la Place Tienanmen ». Il en a ensuite été remercié par le Président chinois de l’époque, Jiang Zemin, pour la qualité « objective » de la couverture de la Chine par ses télévisions et titres de presse.

Quand le dernier gouverneur britannique de Hong Kong, Chris Patten, a signé un contrat pour publier ses mémoires avec Harper Collins, la grande maison d’édition américaine que possède Murdoch, ce dernier a piqué sa crise comme le racontait le quotidien de Londres Evening Standard du 12 août 2003 : « quand Murdoch a appris que le livre de Patten critiquerait des leaders chinois avec qui il faisait du business sur les satellites, il a tout bonnement résilié le contrat de Patten ». La presse avait alors beaucoup tartiné sur cette censure scandaleuse excepté, bien entendu, les quotidiens de Murdoch.

Avec un tel passif, il n’est guère étonnant que l’achat du Wall Street Journal par Murdoch ait angoissé la rédaction de ce quotidien. Quoique conservateur dans ses éditoriaux, le Wall Street Journal est respecté, même à gauche, pour sa pratique du journalisme d’investigation, y compris sur le monde d’affaires, et pour la profondeur et le sérieux de ses grands reportages. Mais depuis que Murdoch a pris le contrôle du quotidien l’année dernière, les enquêtes critiques et les longs reportages qui ont fait sa réputation ont diminué, remplacés par de plus en plus de « news » généralistes et aspetisées. Et ce sont là les vraies raisons des départs « volontaires » de bon nombre des meilleurs journalistes du Wall Street Journal ainsi que du départ forcé du directeur de la rédaction.

Pendant ce temps, la nouvelle cible de Murdoch, le New York Times, licencie, en proie à des difficultés financières. De son côté, Murdoch peut se frotter les mains. Avec Newsday, le Wall Street Journal et le New York Post, ainsi que deux télévisions locales, il a maintenant de quoi étouffer le concurrent. Mais, le papivore australo-américain pourra-t-il forcer les propriétaires historiques du New York Times depuis le 19eme siècle, la famille Sulzberger, de le vendre avant de subir des pertes trop importantes ? En tout cas, selon Newsweek, un second acquéreur potentiel du Times songe à se manifester : Michael Bloomberg, le multimilliardaire propriétaire de Bloomberg News et actuel maire de New York.

L’achat du Wall Street Journal et de Newsday par l’empire de Murdoch souligne enfin un fait désolant : la concentration des médias américains entre les mains d’une poignée de multinationales, avec pour résultat un choix d’opinions et de sources d’information de plus en plus réduit et orientées contre les idées considérées comme étant de gauche. Plus de 90% de tous les médias aux Etats-Unis sont maintenant contrôlés par seulement six géants : Disney, Viacom, General Electric, Bertelsmann AG (société allemande), Time Warner…et, bien sûr, NewsCorp de Rupert Murdoch.

Doug Ireland (En 1979, Doug Ireland était chroniqueur du New York Magazine qui tirait à 300 000 exemplaires et a été racheté par Rupert Murdoch. Comme il poursuivait le président Jimmy Carter de ses chroniques assassines, Murdoch a limogé Doug Ireland sans ménagement. Et pour cause, à cette époque le magnat de la presse négociait un prêt de plusieurs dizaines de millions de dollars avec l’administration Carter pour acquérir quatre avions américains destinés à sa compagnie aérienne australienne…)


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9 MESSAGES
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Forum

  • Rupert Murdoch, magnat des médias et suppôt des néo-conservateurs
    le lundi 8 septembre 2008 à 16:56, White Tiger a dit :
    "Tiananmen", même si ça se prononce "Tienanmen" ! A peu près l’équivalent de notre Place de la "Coucourde" où l’on a décapité des milliers d’innocents au nom du Peuple, pendant la révolution dont se réclame le régime démocratique dont nous sommes si fiers.
  • Rupert Murdoch, magnat des médias et suppôt des néo-conservateurs
    le lundi 5 mai 2008 à 00:22

    Très bon article. Pour explorer un peu plus le sujet, vous pouvez regarder le reportage outfoxed. Celui-ci montre la pratique de l’information par la chaine Fox news.

    Ce documentaire est en 5 parties

    • Rupert Murdoch, magnat des médias et suppôt des néo-conservateurs
      le lundi 5 mai 2008 à 11:04, pipeau a dit :
      “Fair and balanced", "We report, you decide" : ah ah ah !!!
  • Rupert Murdoch, magnat des médias et suppôt des néo-conservateurs
    le dimanche 4 mai 2008 à 23:48, freedid a dit :

    je suis stupéfaits par l’hystérie que génère Myspace auprès de tous les artistes. C’est a parier que la plupart d’entre eux ignore même que Myspace appartient à RP et qu’en fait ils bossent gratos pour lui en fournissant du contenu sans contrepartie.

    Je suis sur que dans le lot il doit bien y avoir quelques rebelles numériques qui aux travers de leurs œuvres dénoncent le système capitaliste et grand satan américain.

    Doit bien rigoler le RP

  • Rupert Murdoch, magnat des médias et suppôt des néo-conservateurs
    le dimanche 4 mai 2008 à 17:32, Dewey a dit :

    Petite info du 24 avril :

    News Corp, notamment propriétaire du réseau social MySpace, aurait retenu les services d’un pirate informatique pendant dix ans.

    Christopher Tarnovsky, qui témoignait hier au procès intenté contre NDS, filiale de News Corp, par le réseau DISH Network Corp, a déclaré hier sous serment que NDS l’avait recruté pour mettre au point un logiciel espion pour contourner les dispositifs de sécurité d’un service de télé à la carte par satellite.

    Selon DISH Network Corp, la mission du pirate informatique était de s’introduire dans le système informatique du réseau de télévision par satellite pour s’emparer des codes de sécurité et inonder le marché de cartes piratées permettant l’accès gratuit aux chaînes de télé à la carte.

    NDS, qui fournit des solutions technologiques pour la sécurité, nie l’accusation, expliquant qu’il n’a fait que suivre une procédure standard dans l’industrie électronique en scrutant de près un produit de haute technologie pour en déterminer le fonctionnement et en améliorer la sécurité.

    Sous serment, Tarnovsky a dit que son travail consistait à mettre au point un programme de piratage informatique pour renforcer précisément les dispositifs de sécurité du service de télé à la carte par satellite.

    Présenté comme l’« un des deux meilleurs hackers au monde » par les avocats des plaignants, il a dit avoir été rémunéré régulièrement pendant dix ans et a ajouté avoir reçu un premier paiement de 20 000 $US en liquides dissimulés dans du matériel électronique provenant du Canada.

    Source : http://techno.branchez-vous.com/actualite/2008/04/un_pirate_informatique_a_lempl.html

  • Rupert Murdoch, magnat des médias et suppôt des néo-conservateurs
    le dimanche 4 mai 2008 à 01:41, FCH a dit :
    C’est pourquoi nous aurons de plus en plus besoin de journaux comme Bakchich ! Dénoncez, tapez sur tous ceux qui le méritent, sans parti pris, en faisant abstraction de vos propres convictions, quelles soient politiques ou religieuses… informez, reportez. Quant à Murdoch, il me semble bon de rajouter qu’il est connu pour etre un anti-français "actif", bref il à tout pour nous plaire.
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