On a beau être vacciné contre la saloperie humaine, mithridatisé contre les vestes retournées, savoir que l’écrivain de droite Jean Cau a commencé sa carrière comme secrétaire de Sartre et que le suppôt des nazis Doriot était un ex-socialo, on reste toujours pantois quand se manifeste la cautèle journalistique. Un ami m’apprend que Philippe Val- encore lui, et cette polémique va lui plaire du moment qu’on en cause, ça lui fait de la pub- a traité Denis Robert d’imposteur dans Charlie-Hebdo et d’affabulateur à la Thierry Meyssan, tout en défendant un nommé Malka, avocat de Clearstream… et de Charlie-Hebdo. Et, dans la foulée, il veut virer Siné qui défend Robert !
Dans quelle sous-couche de la fange t’arrêteras-tu, mon petit Philou ? Dans la fosse septique ? Polac et Cavanna eux-mêmes n’oseront plus te serrer la pince à mains nues !
Denis Robert est un genre de Don Quichotte journaliste, éduqué à Libé, qui a cru que le métier consistait à soulever le couvercle des poubelles pour humer l’odeur des scandales. Il a ainsi dans plusieurs bouquins enquêté sur le rôle d’une chambre de compensation bancaire, Clearstream, domiciliée dans un paradis fiscal (Luxembourg).
En temps normal, toute la presse devrait se féliciter qu’un homme seul et courageux ait osé braver l’hydre bancaire. Et bien que nenni ! Peu nombreux sont les confrères qui ont eu le culot de soutenir Robert. Les banques ont évidemment traîné Robert en justice, des millions contre des clopinettes, et l’ont forcé à rentrer dans le rang pour qu’il ne mette pas en péril sa famille, sa maison, voire sa peau.
Le rôle d’un canard comme Charlie, du moins celui de feu le tandem Choron-Cavanna, disparu en 82, eut été de défendre le veuf et l’orphelin. Mais pas celui de Val : à bas l’homme seul, vive la banque des banques et bravo les fraudeurs anonymes ! Ce forfait valien met en exergue le rôle d’une presse où les enquêteurs à la Péan sont de plus en plus rares, car seul compte le dîner en ville avec les notables et les avocats dont la noble mission est aussi de défendre la pègre, comme à Chicago, ou les dictateurs, comme Vergès. Du beau linge ! Mais une désinfection s’impose au sortir des toilettes des Deux-Magots ! Nul doute que le baron Seillière remettra un jour la légion d’honneur à Val pour services rendus !
PS : Mieux : mon pote Siné, l’ancêtre des caricaturistes, censuré par l’Express de JJSS dans les années 60 quand il s’attaquait à la torture en Algérie, le grand Siné, donc, celui de Siné-Massacre en 68, qui voue à Val une admiration très relative, a été attaqué par Claude Askolovitch (Nouvel Obs) sur RTL le 8 juillet. Motif : Siné a écrit dans Charlie Hebdo :« Jean Sarkozy a déclaré vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera son chemin ce petit… ». Jugement d’Askolovitch : Siné est antisémite. Val devrait le virer. Si Siné avait écrit : « Jean Sarkozy a déclaré vouloir se convertir à l’islamisme avant d’épouser sa fiancée, mulsulmane et héritière des fondateurs de Tati », il serait anti-arabe ? Voilà où en sont les dérives des amis de Val !
Point final : Val veut virer Siné en exigeant une lettre d’excuses ! Les bureaucrates n’aiment pas les esprits libres !
Jean Cau est resté 9 ans secrétaire de Sartre. Il a quitté ce poste de son plein gré. Il a donc fait du bon boulot auprès de Sartre, sinon il aurait été viré. Il n’y a pas à l’attaquer sur ce point.
Mais c’est parce qu’il est devenu un écrivain de droite qu’Arthur l’attaque. Cau s’en est expliqué très longuement dans son livre "Le meurtre d’un enfant" (Gallimard). Je résume : fils d’un ouvrier et d’une femme de ménage, il ne s’est jamais senti tout à fait à sa place dans le milieu de la bourgeoisie intellectuelle de gauche. Mais il appréciait et admirait Sartre, c’est pourquoi il l’a servi pendant 9 ans. (il en fait d’ailleurs un sympathique portrait dans l’un de ses derniers livres, "Croquis de mémoire", édité par Julliard).
Jean Cau a donc un jour repris sa liberté, ce qui était une décision courageuse, car il avait une position bien assise à gauche : les journaux, comme Le Monde ou L’Obs, qui chantaient ses louanges se sont mis soit à l’insulter, soit à faire silence sur lui. Mais Cau a tenu bon, il a préféré être lui-même plutôt que mentir pour faire carrière.
Moi, n’en déplaise à M. Arthur, j’admire le courage, l’intégrité et le talent littéraire de Jean Cau.