Arthur, alias Henri Montant, est mort le 18 juillet dernier. Isabelle Monin Soulié, co-fondatrice de "La Gueule Ouverte", a accepté d’écrire, pour Bakchich, un texte en hommage à Arthur. Son ami de longue date.
Arthur était le co-fondateur de La Gueule ouverte, membre éminent d’Hara Kiri puis du Charlie Hebdo d’avant Val, passé par le Canard Enchaîné, Bakchich, Siné Hebdo, et fatalement pincé le 18 juillet dernier par le Crabe mortifère.
Ma fille me demandait dimanche : « Pourquoi ce ne sont pas les cons qui meurent ? » Et je lui répondais que certainement, dans notre entourage, des gros connards cassaient leur pipe et que nous n’y prenions pas garde. Mais lorsque quelqu’un comme Henri Montant, mon ami, mon frère Arthur, disparaît, c’est un vide vertigineux qui s’ouvre. Arthur, c’était l’amour de la vie, des arts, du sport, la gaîté, l’humour, la tendresse, la fidélité en amitié… et en rancune aussi (voir un certain Philippe Val à ce sujet).
Ensemble, nous avons vécu l’improbable aventure de La Gueule Ouverte. Lancé par Charlie Hebdo en 1973 et confié à Fournier (le premier vulgarisateur de l’écologie en France), ce mensuel avait connu des débuts difficiles marqués par la mort de son rédacteur en chef dès le deuxième numéro. Après des démêlés rocambolesques avec les compagnons montagnards de Fournier, écolos aussi purs que durs, puis quelques désaccords de fond avec Cavanna et Delfeil de Ton, le Professeur Choron décida de sauver le titre… et de me le confier. Arthur lâcha les montagnards et accepta de fonder une SARL de presse avec Danièle Fournier (la veuve du fondateur) et moi.
J’ai évoqué des débuts difficiles ? Tout fut difficile ! Arthur était le seul journaliste professionnel de la bande, et ni lui ni moi ne parvenions à inculquer quelque notion de lisibilité aux militants verbeux. Mais nous tenions le coup, au coude à coude. Il suivit la charrette lorsque le journal transporta ses cliques et ses claques en Saône-et-Loire pour une collaboration fusionnelle et une vie en semi communauté avec des défenseurs de la non violence. Autogestion, tâches tournantes pour la rédaction et la fabrication d’une publication devenue hebdomadaire. Une dizaine de travailleurs… et une trentaine de parasites dans les trois maisons occupées. Beaucoup de bonne volonté et trop d’improvisation chaotique. Le pilpil comme base de nourriture. Des amours tournicotantes. De violentes disputes et de grands enthousiasmes.
Arthur naviguait au milieu de ce désordre, la pipe au bec et les yeux rieurs. Il faisait la navette entre Montélimar, où vivaient femme et enfants, et notre petite bourgade. Les soirs de bouclage, il s’installait sur un coin de table avec son antique machine à écrire : « Combien de signes voulez-vous cette fois ? ». Et au milieu du tohu-bohu, en un rien de temps, sans s’interrompre, il tapait exactement la longueur demandée. Brillant, pertinent, drôle, sans une faute de frappe. Parfois, il tentait de donner un coup de main à la maquette (tout se faisait alors en longues bandes collées et en lettraset) mais ses gros doigts d’ancien rugbyman dérapaient sur les fines lignes de correction à ajuster aux textes. Nous lui demandions de s’occuper plutôt de nous servir à boire. La nuit serait longue.
En huit ans de survie de La Gueule Ouverte, nous n’eûmes qu’une courte brouille lorsque, en accord avec l’équipe, je refusai qu’il rédige un éloge de la bande à Baader. Il bouda une semaine. Mais voir notre journal paraître sans sa signature, c’était trop dur pour lui (et pour nous). Il revint vite. Il nous aimait. Nous l’aimions. C’était Arthur.
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