L’Iran instrumentalise l’affaire Reiss pour contraindre l’Élysée à dialoguer en direct avec Téhéran. Pour Ahmadinejad, pas question de passer par les Syriens.
Le sort de Clotilde Reiss, accusée d’espionnage par la République islamique d’Iran et isolée à l’ambassade de France à Téhéran dans l’attente du verdict de son procès, donne lieu depuis plusieurs semaines à une fine partie de billard diplomatique entre la France, la Syrie et l’Iran. Après avoir rendu publique l’arrestation de la jeune universitaire survenue le 1er juillet dernier, la France s’est activée pour obtenir sa libération. En voulant faire d’une pierre deux coups.
Le chef de l’Etat français est en effet l’un des principaux artisans du retour sur le devant de la scène de la Syrie du président Bachar el-Assad, invité en grande pompe aux festivités du 14 juillet 2008 à Paris. Son pays avait littéralement été excommunié par Jacques Chirac qui le soupçonne d’avoir trempé plus que de raison dans l’assassinat de son ami libanais Rafic Hariri en février 2005, à Beyrouth.
Autre président, autres orientations géopolitiques. Aux yeux de l’Elysée, Damas est aujourd’hui susceptible de jouer un rôle clé d’intermédiaire et de médiateur dans les dossiers qui tourmentent le Moyen-Orient. Dont celui de Clotilde Reiss, certes mineur eu égard aux enjeux au Liban, en Irak ou dans le conflit israélo-palestinien. Bachar el-Assad ne manque en effet jamais une occasion de vanter aux visiteurs étrangers qui se pressent dorénavant à Damas les mérites de l’alliance stratégique qu’il a nouée avec le régime des mollahs et du président Ahmadinejad, impliqué, lui aussi, dans tous les dossiers chauds de la région.
Mais Téhéran — qui observe d’un œil circonspect la lune de miel entre la Syrie et ce que le Guide suprême Khamenei appelle l’« Arrogance mondiale » (l’occident et en particulier les États-Unis) qui cherche à diviser le « camp de la résistance » — n’entend pas tout céder à l’ami syrien. Pour les mollahs, le leadership régional incombe à l’Iran, et seulement à l’Iran.
Dans l’affaire Clotilde Reiss, Téhéran a par conséquent voulu signifier à l’Elysée que, dorénavant, mieux valait dialoguer en direct, plutôt que de passer par la Syrie. Les remerciements appuyés de Nicolas Sarkozy à Damas donnent l’impression que l’intermédiation de Bachar el-Assad a pesé lourd dans la remise en liberté conditionnelle de Reiss le 16 août. Il n’en reste pas moins que la jeune Française est toujours bloquée en Iran.
Pourquoi cette attente ? La diplomatie iranienne a multiplié les contacts à Paris avec l’espoir de prendre langue avec Claude Guéant. Leur message, qu’explique à Bakchich un des amis du régime, est clair : que Paris les aide à trouver un cadre général pour régler l’ensemble des contentieux, dont le nucléaire, et pas seulement la libération d’une otage. Avec un additif sans ambiguïté : tout sauf Kouchner et ses déclarations peu diplomatiques.
Sur ce dernier point, on ne peut pas leur donner entièrement tort.
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